Andreina quittera le pays, après des interventions de la police et de quelques organisations internationales
Andreina frise la vingtaine. Elle parle d’une voix limpide, saccadée de sanglots par moments. Plantée dans ses baskets Converse, la jeune vénézuélienne couve un récit glaçant. « Quand je suis arrivée, ils m’ont expliqué que je devais me prostituer, dit-elle. Pour moi c’était horrible, c’était la pire chose qu’ils pouvaient me dire. »
À « La Mansion », elles étaient plus d’une dizaine. Presque toutes ressortissantes du Venezuela, elles travaillaient à Péguy-Ville pour un réseau de prostitution puissant, fréquenté par de riches hommes d’affaires et politiciens haïtiens. Au moins trois de ces femmes racontent être venues en Haïti, contre leur gré, sous de fausses promesses, ou sans information sur la nature du travail qu’elles auraient à faire en fuyant la précarité insupportable de leur pays d’origine.
Puis, vient août 2020. Pendant les sept premiers jours de ce mois, la police et des institutions internationales effectuent plusieurs interventions à La Mansion, pour libérer les captives. Aujourd’hui, l’alcool, l’excès et la musique forte ont déserté les lieux. Un mandat d’amener dressé contre le propriétaire de La Mansion, Reginald Degand, attend son exécution. Son chauffeur, arrêté dans la foulée, a trouvé sa libération. Le dossier se trouve au cabinet d’instruction qui doit rédiger une ordonnance après enquête.
Peu de témoignages
La justice haïtienne n’a auditionné qu’une poignée parmi la dizaine de jeunes femmes libérées et les multiples témoins appréhendés sur les lieux.
Beaucoup plus de témoignages sont nécessaires pour une compréhension précise du fonctionnement du club et des multiples violations de la loi qui y ont lieu. Les Vénézuéliennes se trouvent sous protection, en dehors du pays, mais le Comité national de lutte contre la traite des personnes effectue des démarches pour recueillir leurs dépositions.
« Tout dans le dossier démontre qu’il y a eu traite des personnes », soutient le président CNLTP, André Ibréus. « Je reste confiant dans la justice de mon pays, je crois que ces gens seront traduits en justice et qu’ils auront à répondre de leurs actes », conclut l’expert.
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Ayibopost s’est entretenu avec Andreina avant son départ, en marge de son sauvetage par les organisations parties prenantes de l’opération. « Les bras ne sont pas baissés, déclare le responsable d’une de ces ONG. Des réflexions sont en cours et l’on envisage le rapatriement de quelques victimes vers Haïti, le déplacement du juge d’instruction, une commission rogatoire avec un juge à l’extérieur du pays ou même des auditions par visioconférence. »
Rien n’indique si le propriétaire très connecté politiquement de La Mansion sera arrêté par la police afin qu’il réponde aux questions de la justice.
Cauchemar sans fenêtre
« Je ne savais pas si je sortirais vivante du club », tranche Andreina. Tout comme les autres jeunes victimes, elle reçoit une assistance psychologique pour se délivrer des pensées suicidaires qui la tenaillent depuis des mois.
Parce qu’en vrai, la jeune fan de l’écrivain Paolo Coello croyait visiter des membres de sa famille en République dominicaine en août 2019. « Un homme et une femme m’attendaient [à l’aéroport], raconte-t-elle. J’ai demandé pour ma cousine. Ils m’ont pris mon passeport à ce moment. Ils m’ont dit que ma cousine vivait avec eux et qu’on devait aller quelque part. C’était une station de bus. »
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La suite sera un cauchemar sans fenêtre. Elle débarque en Haïti, un pays qu’elle ne connait pas. Les trafiquants lui expliquent qu’elle doit 2 500 dollars américains, et qu’elle devra se prostituer pour en faire le remboursement. Sexe. Violence. Drogue. Punitions récurrentes et dégradantes. Promiscuité. Elle et ses compatriotes ont vécu un séjour des plus traumatisants en Haïti.
« Mes rêves restent intacts », explique Andreina. « Tout ce qui s’est passé n’est que des obstacles. Je vais reprendre mes études quand je serai au Venezuela. Je veux devenir hôtesse de l’air. »
Widlore Mérancourt
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