SOCIÉTÉ

Le club qui exploitait sexuellement des Vénézuéliennes à Péguy-Ville est fermé par le Parquet

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Hier 7 août, le commissaire du gouvernement a apposé des scellés sur la Mansion. Aucune arrestation formelle n’est encore enregistrée dans ce dossier, malgré la flagrance et les multiples témoignages

Le commissaire du gouvernement indique qu’il va mettre l’action publique en mouvement contre tous ceux qui sont impliqués de « près ou de loin » dans la traite des personnes au club La Mansion de Péguy-Ville.

Ducarmel Gabriel fait cette annonce sept jours après une première intervention de la police nationale et d’un juge de paix le 1er août dans cette maison de prostitution fréquentée par de riches hommes d’affaires et des politiciens haïtiens.

Lors d’une deuxième opération menée dans la soirée du 3 août par le substitut commissaire du gouvernement Frantz Louis-Juste, les autorités avaient appréhendé Ginne (Tutti) Ortuño, copropriétaire de l’espace.

La vénézuélienne sera rapidement libérée alors que son conjoint et manager de La Mansion, Reginald Degand, avait quitté le club précipitamment quelques minutes avant les interventions de la police le samedi 1er et lundi 3 août.

En tout, pas moins d’une quinzaine de victimes, majoritairement des Vénézuéliennes, ont été secourues par les forces de l’ordre.

En interview avec différentes organisations, dont une institution internationale, certaines rapportent qu’elles sont amenées en Haïti, mais ne savaient pas qu’elles auraient à travailler comme prostituées. Arrivées au pays, leurs passeports ont été confisqués et les propriétaires du club les ont forcées à signer une reconnaissance de dette pour laquelle elles doivent travailler nuit et jour.

D’autres savaient que « le travail » promis était de la prostitution, mais ignoraient la saisie de passeport et les différentes taxes, amendes et dettes qu’elles auraient à payer.

Des forfaits indéniables

Parce qu’il y a « recrutement, transport, hébergement, confiscation de documents de voyage », la traite semble être caractérisée, a souligné hier vendredi Ducarmel Gabriel en marge d’une intervention pour apposer des scellés sur l’établissement qui continuait à fonctionner, malgré les descentes de la police.

Trois travailleuses du sexe, un homme et deux femmes, ont obtenu leur libération dans la dernière intervention des autorités, hier vendredi. Le commissaire du gouvernement affirme qu’il compte les interroger ainsi que les autres victimes, bien avant de transmettre l’affaire au cabinet d’instruction.

Lire aussi: Trafic humains et exploitation de femmes vénézuéliennes à Péguy-Ville

Rien n’indique si les premières victimes accueillies par des organisations de la société civile et qui doivent incessamment quitter le pays ont été correctement auditionnées par les autorités judiciaires. « J’attends le procès-verbal du juge de paix [Clément Noël] pour savoir si c’était fait », rapporte Ducarmel Gabriel.

La fermeture de La Mansion — autrefois Casa Grande — constitue « un pas positif dans l’application de la loi de juin 2014 » qui porte sur la lutte contre la traite des personnes, déclare le président du Comité national de lutte contre la traite des personnes (CNLTP) André Ibréus.

Désormais, continue Ibréus, « des mandats doivent être décernés, ceux qui méritent d’être appréhendés doivent être arrêtés pour permettre que les auteurs, coauteurs et complices puissent répondre de leurs actes devant la justice et que les victimes soient réparées. »

Les interrogations persistent

Plusieurs questions restent en suspens dans ce dossier, analysent des personnalités de défenses des droits de l’homme qui exigent l’anonymat compte tenu de la dangerosité du milieu et l’implication de personnalités connues et puissants.

Des témoins rapportent que La Mansion vendait de la drogue. Pourquoi aucune fouille n’a été effectuée lors de la première intervention samedi dernier ? Pourquoi le juge de paix est-il intervenu seul avec quelques policiers, malgré la mise en garde du commissaire du gouvernement qui voulait qu’il soit accompagné par le parquet ?

Qui a informé le présumé trafiquant Reginald Degand des interventions de la police ? Pourquoi l’arrestation de sa femme, Ginne (Tutti) Ortuño, et de quelques employés de l’espace n’a duré que quelques heures lundi 3 août ? Pourquoi fallait-il attendre sept jours pour que le commissaire du gouvernement s’empare du dossier ? Quand est-ce que les premiers témoins et victimes vont être interrogés par la justice quand on sait que certains vont quitter le pays ?

Lire également: Des Vénézuéliennes qui fuient la crise se prostituent à Port-au-Prince

Dans une note parue en fin de semaine, l’Observatoire haïtien sur la traite et le trafic de personnes a dénoncé la libération précipitée de Ginne (Tutti) Ortuño.

L’institution cite un rapport du Département d’État américain publié en juin dernier et qui signale qu’il y a de « hauts gradés de l’État qui s’impliquent dans des cas de traite de personnes et la couverture immunitaire empêche la justice à approfondir des enquêtes ».

Aussi, l’Observatoire rappelle que, le 7 février 2017, neuf présumés trafiquants ont été arrêtés en flagrant délit à Kaliko Beach accompagnés de 31 adolescentes. « Jusqu’à présent, ce dossier est fermé dans le tiroir des autorités judiciaires de Port-au-Prince. »

Selon la loi de 2004, « toute personne reconnue coupable de la traite des personnes commet un crime et est passible de sept à quinze ans d’emprisonnement et d’une amende de deux cent mille gourdes à un million cinq cent mille gourdes. »

Dans la même note qui porte la signature de Leronel Mortime, l’Observatoire « exige l’arrestation immédiate des présumés trafiquants [de La Mansion] et de leurs complices ».

Widlore Mérancourt

Widlore Mérancourt est éditeur en chef d’AyiboPost et contributeur régulier au Washington Post. Il détient une maîtrise en Management des médias de l’Université de Lille et une licence en sciences juridiques. Il a été Content Manager de LoopHaïti.

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