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Rejetés par le système du MENFP, ces élèves ne peuvent prendre part aux examens officiels

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C’est un problème persistant.

À moins d’un mois de la date butoir, Cherlande Augustin n’est toujours pas rassurée quant à sa validation pour les prochains examens d’État. L’actuelle élève en NS4 au lycée Jean-Marie Vincent peine à cacher sa crainte puisque de toute sa promotion, elle est l’unique à se retrouver dans pareille situation. « Le directeur du lycée m’a dit qu’il n’a pas réussi à m’inscrire parce que le système ne me reconnaît pas comme étant une élève du nouveau secondaire 4 », affirme-t-elle.

Augustin doit son malheur au précédent établissement qu’elle a fréquenté jusqu’en classe de nouveau secondaire 2. En effet, à l’exemple de plusieurs autres écoles, l’Institution Mixte de l’espoir n’est pas autorisée par le ministère de l’Éducation nationale à fonctionner. Autrement dit, quoiqu’elle engage des professeurs et dise contribuer à la formation d’élèves, celle-ci ne peut envoyer de candidats aux examens officiels.

Pour eviter ces institutions, « les parents ont le droit d’exiger que les directeurs leur montrent la licence que le Ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle (MENFP) octroie à toutes les écoles accréditées », informe Renan Michel, directeur du Bureau national des examens d’État. Parce que celles qui en sont privées « inscrivent leurs élèves sous la bannière d’autres institutions scolaires qu’ils payent pour cela. Et malheureusement, cela peut avoir d’importantes conséquences.

Un processus d’inscription plus efficace

Dès les premières semaines de l’année scolaire, les inscriptions aux examens officiels ont lieu aux directions départementales d’éducation (DDE). « Les responsables d’école apportent les dossiers de leurs élèves auxdites directions qui en font la saisie, explique Renan Michel. Puis, des rendez-vous sont programmés pour la validation des candidats ».

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Sans préciser depuis quand, Renan Michel apprend que le principe de validation pour les examens d’État n’est plus le même. Ce qu’il importe de retenir toutefois c’est que « du moment que la formation de l’enfant est correcte, il est validé ». En d’autres termes, les données de chaque élève sont enregistrées année après année au ministère, permettant ainsi au système d’effectuer une authentification continue.

Cette technique passe par la soumission de plusieurs listes au MENFP, deux fois par an. « Au début et à la fin de l’année scolaire, les écoles doivent envoyer les listes de formation des classes, puis celle dite de décision de fin d’année faisant mention des élèves qui ont réussi, ceux qui ont échoué et ceux qui ont abandonné. Une fois ces informations enregistrées, il suffit alors d’entrer le nom de l’élève ainsi que l’année au cours de laquelle il a subi les épreuves pour savoir quelle moyenne il a obtenue. De la sorte, à chaque année scolaire réussie, c’est son dossier pour le terminal qu’il valide ».

Avec ce processus plutôt simple, les élèves qui n’auront pas réussi une année scolaire et voudront malgré cela passer en classe supérieure risquent de ne pas recevoir de fiche pour participer au bac unique. Un cas similaire à celui de Kesner Cadet qui a été en classe de NS2 l’année suivant sa participation aux examens de neuvième année.

« J’y ai participé à deux reprises, confie-t-il. Je n’ai pas réussi à ma première participation, mais je me suis quand même inscrit en NS1. Alors que je venais d’être promu en NS2, j’ai repris part aux examens de neuvième que j’ai cette fois-ci réussis ».

Cadet a donc réussi la neuvième année et le nouveau secondaire 1 la même année. Pour lui, c’est son parcours atypique qui fait qu’au début de son processus de validation il ait été considéré comme un élève de NS3 par le système. C’est en tout cas ce que le directeur de Dessalines le grand, établissement qu’il fréquente, lui a expliqué. « Étant donné que ma participation aux dernières épreuves de neuvième remonte à 2018, pour le système je devais être un élève du NS3 cette année ».

Une preuve de réussite insuffisante

Entre autres difficultés rencontrées lors de la validation des candidats, celle due à l’enregistrement des élèves qui changent pratiquement d’école chaque année revient souvent. « Parce qu’ils ont quitté leur établissement, des directeurs se plaisent à ne pas envoyer les noms des élèves concernés au MENFP », souligne Renan Michel. L’expert en matière d’éducation continue pour dire qu’étant donné que les noms de ces élèves-là ne sont jamais parvenus au ministère, ils n’ont donc jamais réussi l’année scolaire en question pour l’instance étatique et ne peuvent de ce fait être validés.

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Cherlande Augustin en témoigne. En dépit du fait qu’elle s’est servie de son dernier bulletin scolaire pour s’inscrire au lycée Jean-Marie Vincent, elle ne figure pas sur la liste des admis en NS3 au niveau du ministère de l’Éducation nationale. Son ancien directeur d’école n’a rien fait pour elle, ni pour deux de ses anciens camarades aujourd’hui élèves de l’Institution mixte des frères Mathieu.

Avoir un carnet scolaire en main ne suffit donc pas pour prouver que l’on a réussi une année scolaire. Tout se joue au niveau de la liste de fin d’année envoyée au ministère de l’Éducation nationale.

« Ayant appris les difficultés pour ma validation, je me suis rendue à mon ancienne école. Après une longue discussion, le directeur m’a laissé entendre que tout était rentré dans l’ordre et que je pouvais même lui référer d’autres élèves s’ils rencontraient des difficultés eux aussi. Mais, mi-juin le directeur de l’institution mixte des frères Matthieu m’a affirmé le contraire. Je n’étais toujours pas validée ».

Ne pas être en règle est certes stressant, mais les examens fixés dans moins d’un mois le rend encore plus insupportable. Pourtant, tout aurait pu être réglé dans les temps, selon Renan Michel. Puisque, nous apprend-il, « l’ensemble des responsables d’écoles sont avertis de quels élèves ont des problèmes avec leur validation dès les mois de février et mars. Le fait est que certains directeurs en informent immédiatement les élèves concernés. D’autres, pas du tout pour  que l’élève ne quitte pas l’école et que lui-même ne touche pas les frais ».

Cherlande Augustin a quitté son ancien établissement malgré l’insistance du directeur, pourtant son nom n’a pas été envoyé au ministère. Renan Michel y voit un classique. « C’est le cas du directeur qui fait croire qu’il s’agit d’un long processus pour lequel on devra payer l’école, car on n’y est plus inscrit en tant qu’élève ». Augustin reconnait effectivement qu’après l’avoir menée en bateau une première fois, son ex-directeur lui a recommandé d’apporter 2 500 gourdes pour récupérer sa fiche pour les prochains examens.

« Dans ces cas-là, il faut porter plainte, exhorte Renan Michel. Il existe un département pour cela au sein de la Direction départementale ». Il poursuit de manière à mettre en garde contre tout directeur qui promet de permettre aux candidats dont les dossiers ne sont pas en règle d’obtenir des fiches.

« Aucune démarche ne peut être faite dans ces cas-là. Si l’élève n’est pas en règle, il n’aura pas de fiche. S’il n’a pas de fiche, il ne peut participer aux examens. Et même s’il y parvient sous prétexte que son directeur entreprend des démarches au niveau du ministère, il n’aura pas de résultats lorsque ceux-ci seront rendus publics ».

Dès qu’on a l’intention d’ouvrir une école, il importe de contacter la DDE, car toutes les demandes y sont effectuées. Une fois la demande faite, « un formulaire à remplir sera donné, explique Michel. Ensuite l’inspecteur visitera l’espace pour voir entre autres s’il répond aux normes, si les salles sont adéquates, quel est le corps professoral ou encore si l’environnement est correct. On étudie le dossier du demandeur. Et si enfin, la demande est agréée, un certificat est décerné ».

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Et quand bien même, un directeur trouverait le processus contraignant, Renan Michel estime qu’« il est toujours préférable de répondre aux normes, puisque chaque année il faut payer une autre institution en règle pour permettre à ses élèves de participer aux examens ».

Hormis la licence qui ne leur est pas décernée, il n’y a pas d’autres réelles contraintes pour empêcher ces écoles de fonctionner.

Toutefois, Renan Michel reste positif.

« La licence d’une école accréditée est supposée être affichée à la direction de l’école. Si ce n’est pas le cas, parents et élèves ont le droit de demander de la voir ». Et histoire de se mettre à jour, « le ministère travaille sur une plateforme officielle qui permettra que tout élève puisse, depuis un téléphone intelligent, vérifier lui-même s’il est inscrit aux examens officiels en entrant son numéro d’ordre et l’année au cours de laquelle il a participé aux examens de neuvième année».

Reste à espérer que rien ne viendra bouleverser l’avancement du projet dont la finalisation est prévue peut-être pour un ou deux ans.

Rebecca Bruny est journaliste à AyiboPost. Passionnée d’écriture, elle a été première lauréate du concours littéraire national organisé par la Société Haïtienne d’Aide aux Aveugles (SHAA) en 2017. Diplômée en journalisme en 2020, Bruny a été première lauréate de sa promotion. Elle est étudiante en philosophie à l'Ecole normale supérieure de l’Université d’État d’Haïti

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