InsécuritéSOCIÉTÉ

Le lycée Alexandre Pétion de Bel-Air en détresse

0

L’histoire de Wendy René est celle de plusieurs milliers de jeunes Haïtiens. Les yeux pleins de rêves, ils sont pris aux pièges d’une réalité faite de gangs lourdement armés, de viols et de violence.

À quelques mètres du Palais national, des gangs rivaux se battent pour la conquête de Bel-Air. Cette situation a fortement affecté les activités académiques au lycée Alexandre Pétion situé dans la zone.

Comme beaucoup d’autres écoles dans les quartiers populaires, le lycée Alexandre Pétion est dépassé par la situation. Au début de l’année scolaire, les élèves se rendaient dans les rues pour réclamer la présence des professeurs dans les salles de classe, mais aujourd’hui, ils fuient l’établissement scolaire à cause de l’insécurité.

Wendy René intègre le lycée Alexandre Pétion en 2016 après ses études primaires aux Cayes. Son souci était d’étudier à fond afin d’accomplir son rêve de devenir économiste, juriste ou anthroposociologue. Depuis son admission au lycée, le jeune homme n’a cessé de faire face à des défis comme beaucoup d’autres élèves.

« À l’école, il y a des salles d’informatique, de bibliothèque et de cafétéria pourtant ces services n’ont jamais été disponibles pour les élèves. Certaines fois, on nous interdit d’aller acheter à manger devant la barrière de l’école. »

En avril dernier, René et d’autres camarades de son école ont gagné les rues pour exiger la présence des professeurs dans les salles de classe. Mais ce qui a le plus bouleversé le jeune écolier c’est l’insécurité.

« Il y a une querelle entre les hommes du bas Bel-Air et ceux de haut Bel-Air. Les uns réclament le lycée comme étant un point stratégique pour mener leur lutte tandis que les autres s’y opposent. On entend souvent des bruits de balles dans les salles de classe. Parfois, on se couche à même le sol pour éviter d’être touché », explique Wendy René qui ajoute que la situation était devenue de plus en plus chaotique au lycée Alexandre Pétion.

Des blessés par balle

Wilkens Jeudi est l’un des censeurs de l’école. « En revenant du lycée, j’ai été victime à la rue des ministères, près du palais national, non loin de l’École normale supérieure et de l’hôpital de l’Université d’État d’Haïti là où les bandits font la loi, dit l’enseignant. En ce jour, plusieurs personnes avaient reçu des projectiles ».

Wilkens Jeudi a reçu une balle à l’épaule le 2 juin dernier alors qu’il se rendait chez lui. Le responsable assure qu’il va plutôt bien maintenant.

Après que le censeur Jeudi a été touché, la direction du lycée Alexandre Pétion a décidé d’annuler les examens de fin d’année qui devaient avoir lieu à la fin du mois de juin. Cette décision vise à protéger les membres du corps professoral, les employés de l’école, mais aussi les élèves qui ont encore connu une nouvelle année scolaire bâclée.

Lire aussi: Connaissez-vous l’histoire palpitante des statues M. et Mme. Colo ?

« Les élèves ont passé les examens de seulement deux trimestres. Ceux qui doivent passer des examens officiels cette année vont travailler au lycée Anténor Firmin. Le ministère de l’Éducation ne gère pas les questions d’ordre sécuritaire », regrette le censeur Wilkens Jeudi qui dit ignorer si les portes du lycée vont s’ouvrir l’an prochain.

Avant la fermeture de l’école, des dizaines de professeurs avaient signé une pétition pour attirer l’attention des autorités sur le climat d’insécurité qui régnait aux environs de l’établissement. Mais rien n’a été fait.

Selon Fresner Michel, professeur de philosophie au lycée, le Bel-Air qui était déjà une zone difficile est devenu impraticable depuis l’accession de Jovenel Moïse au pouvoir. « Il y a des salles de classe qui sont touchées par des projectiles et des vendeurs devant l’école qui sont blessés. Lenor Pierre, un professeur du lycée a failli mourir près de l’école; sa voiture a reçu plusieurs projectiles. »

Un climat de terreur

Depuis plus de deux ans, les quartiers populaires sont terrorisés par des bandits. Des organisations de droits humains font état d’au moins trois massacres: La saline en 2018, Carrefour Feuilles en 2019 et  Bel Air en 2019 et 2021.

Quand ces drames surviennent, ce sont les populations civiles non armées de ces zones qui en payent les prix. En 2018, des hommes armés ont investi le lycée Jacques Roumain à Grand-Ravine. C’est la même situation pour le lycée Daniel Fignolé à Delmas 6 et celui de la Saline.

Depuis les attaques sur Bel-Air, le lycée Alexandre Pétion, l’une des plus anciennes écoles publiques du pays, a sombré dans le chaos. Selon le professeur Fresner Michel, le lycée Pétion n’est pas la seule institution scolaire à Bel-Air qui soit affectée par l’insécurité. Il y a d’autres écoles de la zone qui ont fermé leurs portes bien avant le lycée Alexandre Pétion.

Lire également: Les massacres sont «une arme politique» pour l’administration Tèt Kale selon Pierre Esperance

Selon Frantz Junior Mathieu, un autre professeur du lycée Alexandre Pétion, ce sont les enfants des parents les plus pauvres qui fréquentent les lycées et particulièrement les écoles situées dans les quartiers populaires.

« Les parents les plus pauvres voient dans l’éducation un facteur de mobilité sociale. Ils ont de l’espoir qu’un jour ils pourront être soulagés par la réussite de leurs enfants à travers l’éducation, mais le régime en place est en train de tuer cette lueur d’espoir. De nos jours, il est plus facile pour de jeunes gens de ces quartiers d’avoir accès à une arme qu’à un livre », explique-t-il.

Les professeurs intervenus dans cet article espèrent un jour que le calme sera rétabli dans le pays pour que les écoles puissent continuer à fonctionner.

En attendant les examens officiels, Wendy René se rend dans d’autres écoles pour participer à des cours de rattrapage. Le jeune homme de 22 ans, aujourd’hui en NS4, est sur le point de boucler ses études classiques avec le grand espoir qu’il va bientôt atteindre ses objectifs.

« Je n’ai pas étudié dans les meilleures conditions, mais je reste fier du lycée Alexandre Pétion, dit René. J’ai toujours eu l’envie d’étudier dans un lycée parce que je sais que les élèves qui fréquentent ces institutions sont brillants en dépit de tous les manques. Je souhaite que les autorités prennent des décisions pour changer le cours des choses. »

Laura Louis

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

Comments