SOCIÉTÉ

Connaissez-vous l’histoire palpitante des statues M. et Mme. Colo ?

0

Un historien du Morne-à-Turf soutient que Madame Colo symbolisait la Liberté et Monsieur Colo, le Travail

À l’angle des rues Macajoux et du Peuple, est érigée une statue vieille de 159 ans d’une femme, Madame Colo. Presque aucune archive n’existe au sujet de ce monument.

Qu’il s’agisse d’historiens à l’exemple de Georges Michel ou de Pierre Buteau, d’ancien ministre du Tourisme et ancien membre de l’Institut de sauvegarde du patrimoine national (ISPAN) comme Patrick Delatour, d’architecte comme Frédéric Mangonès, personne n’ose affirmer tout connaître de cette sculpture. Ce qui fait que l’on ne s’étonne point du fait que même l’origine exacte de l’appellation, Madame Colo se révèle difficile à expliquer.

Un énorme flou entoure en effet le nom de cette masse de bronze. Mais l’anecdote la plus populaire et aussi celle retenue par l’historien Jean Ledan Fils demeure celle fournie par l’écrivain Gérard Jolibois.

« La fontaine Madame Colo aurait été ainsi baptisée en raison d’une dame nommée Clorinde », affirme le professionnel des temps anciens. Cette femme qui habitait Bel-Air, était une épicière très populaire elle-même surnommée Madame Colo.

Alors que certains parlent du fait que Clorinde résidait précisément à l’intersection de ces deux rues susmentionnées, Jean Ledan Fils s’appuie sur le récit de Jolibois pour tenter d’expliquer l’attribution du surnom de l’épicière à la statue. Il précise toutefois que le nom en question a d’abord été celui du carrefour. « C’est au fil du temps que l’appellation Madame a été attribuée à la fontaine par la clameur publique ». Un héritage nominal qui est considéré comme le résultat de la grande popularité de Clorinde et « fort probablement de certains actes de charité » dont elle était l’auteure.

Deux âmes sœurs fabriquées

Madame Colo fait partie d’un projet d’aménagement entrepris par le président d’alors, Fabre Nicolas Geffrard. Un an après son avènement au pouvoir, ce dernier a envisagé d’approvisionner la capitale en eau potable et a pour cela modernisé la tuyauterie qui amenait l’eau depuis Turgeau à Port-au-Prince.

Plusieurs fontaines publiques ont en ce sens été construites. Parmi lesquelles, la fontaine au Bel-Air inaugurée le 15 janvier 1862 et bénie par le curé de la capitale, le Père Pascal. Mais aussi, une autre fontaine située au Morne-à-Turf qui a pour sa part été sculptée deux ans plus tôt, le 15 janvier 1860.

Commandé en Europe, « le beau monument » comme le décrit Georges Corvington dans le deuxième tome de Port-au-Prince au cours des ans, a été monté par l’ingénieur haïtien Charles Grant. Comportant une colonne cannelée en fonte, il était « d’une hauteur de vingt pieds environ, au sommet de laquelle était juchée la statue d’un laboureur appuyé sur sa bêche. L’eau, coulant d’une cuvette, jaillissait de six gueules de lions en relief, placées au-dessous d’une table circulaire en pierre. Un bassin d’une vingtaine de pieds de circonférence recevait le liquide ».

Après avoir baptisé la fontaine à la place au Bel-Air, Madame Colo, la population choisit de dénommer celle à la place du Marché (aujourd’hui, place Sainte-Anne), Monsieur Colo. Tel que le laisse supposer son nom, Monsieur Colo représente pour plus d’un l’amant de la Dame en fonte du Bel-Air. Ainsi, quoiqu’érigée avant celle de Madame, la statue de Monsieur Colo eut droit à un nom seulement après celle-ci.

Madame et Monsieur Colo détruits

En septembre 1991, la statue de Madame a été décapitée par un engin lourd qui travaillait au carrefour des rues du Bel-Air et du Peuple. Et six ans plus tard, soit en 1997, Madame Colo perd son bras.

Au fil des années, Monsieur Colo disparaitra lui aussi. Mais aucune archive ne permet de mettre une date sur ce fait. Jean Ledan Fils reste convaincu que cela a eu lieu « dans le cadre de l’agrandissement des rues de Port-au-Prince ». Monsieur Colo se retrouvera non loin du Sylvio quelques années plus tard. La population attribuera le même nom à une statue qui y sera sculptée.

Toujours selon le spécialiste en histoire, Madame Colo sera restaurée en 1998 à l’initiative du président René Preval par l’architecte Daniel Eli. « On a commandé une autre statue que l’on a érigée au même emplacement que la précédente. Ainsi, sans inauguration aucune, les habitants du Bel-Air se sont réveillés un bon matin avec une nouvelle statue de Madame Colo ».

Des discours ont voulu laisser croire que la statue originale a été une copie de la statue de la Liberté américaine. Mais celle-ci ayant été construite en 1886, ces discours ont été réfutés. N’empêche que depuis le début, Madame Colo a été assimilée à la statue de la Liberté. Jean Ledan Fils raconte que Joseph Jérémi, un historien du Morne-à-Turf soutient que Madame Colo symbolisait la Liberté et Monsieur Colo, le Travail. Mis ensemble, les deux délivraient le message selon lequel « le Travail assure la Liberté ».

À date, aucune explication précise n’existe sur l’origine exacte du patronyme Madame Colo attribué à la fameuse fontaine au Bel-Air à l’angle des rues du Bel-Air et du Peuple, à Port-au-Prince. Photo : Ayitibel.org

Loin de ce qu’elles ont pu ressembler, les statues de Madame Colo et Monsieur Colo sont toutes deux livrées à elles-mêmes. Les originales des deux statues ne sont plus. Aujourd’hui, l’insécurité grandissante fait loi dans le quartier de Bel-Air où Madame Colo seule est incapable de fuir. Et Monsieur Colo, certes bien visible, se retrouve ignoré de tous et vient servir de simple rond-point en plein cœur d’au moins cinq stations de transport en commun différentes.

Les photos sont de Emmanuel Moïse Yves / AyiboPost

Madame Colo se trouve à l’angle des rues Macajoux et du Peuple. Une première version de cet article statuait incorrectement qu’elle se situe entre les rues du Bel-Air et du Peuple. 16.01 14.06.2021

Rebecca Bruny est journaliste à AyiboPost. Passionnée d’écriture, elle a été première lauréate du concours littéraire national organisé par la Société Haïtienne d’Aide aux Aveugles (SHAA) en 2017. Diplômée en journalisme en 2020, Bruny a été première lauréate de sa promotion. Elle est étudiante en philosophie à l'Ecole normale supérieure de l’Université d’État d’Haïti

    Comments