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Pour ces couples haïtiens, fidélité ne signifie pas exclusivité sexuelle

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La notion de fidélité semble avoir évolué

Nadeige P. est sortie deux ans avec un homme qui fréquentait la même université qu’elle. Même s’ils ne parlaient pas encore de mariage, ils prévoyaient de s’installer ensemble. Déjà, elle passait beaucoup de temps chez lui.

Selon l’étudiante en agronomie, son ami jouissait d’une réputation de séducteur. Mais elle n’avait rencontré aucune de ces supposées conquêtes. De plus, il lui avait juré qu’elle était la seule dans sa vie. C’est lors d’une sortie entre amis que Nadeige P. a découvert que le jeune homme la trompait.

« Une femme que je ne connaissais pas nous regardait bizarrement pendant la soirée. Elle semblait fâchée qu’on soit là. Mes amis, que je connaissais depuis un bon moment, avaient une attitude étrange. Lui il gardait le silence. C’est là que j’ai compris », explique P., qui s’est finalement séparée de son amoureux.

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Des hommes aussi souffrent des désenchantements que peut provoquer une tromperie. Fritz L., professeur à l’école primaire a choisi de rester célibataire. Il a maintenant 60 ans, mais il ne souhaite toujours pas s’établir avec une femme. Sa décision est le fruit d’une longue succession de désillusions.

« Les femmes m’ont toujours trompé, se plaint-il. Par exemple, j’ai un enfant qui ne me ressemble absolument pas. Il a la peau claire et moi je suis le portrait craché de Dessalines. Sa mère affirme qu’il est de moi, mais je n’ai pas besoin de test ADN pour savoir que c’est faux. »

Mais si pour Nadeige P. et Fritz L., l’infidélité est un fardeau qu’ils ont eu à porter à un moment ou à un autre, il n’est pas toujours simple de définir à quel moment l’un des partenaires d’un couple est infidèle. La notion de fidélité semble avoir évolué. Selon plusieurs personnes, elle ne se cantonne plus à la définition traditionnelle de l’exclusivité sexuelle d’un partenaire à un autre.

Fidélité à la carte

Flaubert Garçon, journaliste, animateur de radio et étudiant en histoire de l’art et archéologie, affirme que dans son rapport avec les femmes, la fidélité ne signifie pas tout le temps avoir des rapports avec une seule personne.

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Pour le jeune présentateur qui est actuellement dans une relation de longue distance, c’est en mettant les choses au clair avec le partenaire dès le début que les deux parties peuvent honnêtement trancher la question.

« J’avoue que la situation idéale serait que la personne me soit exclusivement fidèle. Mais avec ma petite amie, je ne prends en compte que le moment qu’on passe ensemble. Je ne veux rien savoir de ce qu’elle fait quand je ne suis pas là. Comme on dit, ce qu’on ne voit pas ne nous affecte pas. »

En effet, selon la psychologue Phaidra Laraque, pour parler d’infidélité, il faut se baser sur l’entente préalable des partenaires dans le couple. « Même dans un cas de polyamour, c’est-à-dire où il y a plusieurs partenaires dans la relation, parler d’infidélité dépend des conditions passées au préalable. Ce n’est pas parce que les concernés ont plusieurs partenaires qu’ils peuvent faire n’importe quoi. S’ils respectent l’entente, c’est de la fidélité », explique la spécialiste qui travaille souvent avec des couples.

Le cas de Rachelle R. illustre bien comment définir l’infidélité peut être compliqué. Diplômée en administration, elle travaille comme contractuelle pour l’État haïtien et estime gagner relativement bien sa vie. Elle fréquente un homme marié depuis quatre ans. Pourtant, Rachelle R. n’entretient pas de relations sexuelles avec d’autres partenaires que lui. Cela fait partie de leur arrangement.

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Elle reconnaît qu’elle souffre de cette situation, mais n’est pas prête à renoncer à celui qu’elle considère comme l’homme de sa vie. Pour R., la fidélité n’est pas figée. « Dans un certain sens, je sais que mon homme m’est fidèle. Oui, il a sa femme, mais au bout de quatre ans, elle n’est plus une véritable rivale pour moi ».

Par ailleurs, selon Phaidra Laraque, dans la société actuelle certaines femmes se préparent psychologiquement à être trompées, parce que les pratiques extraconjugales sont courantes et remontent à leurs aïeuls. Il en va aussi pour certains hommes.

C’est pour cela que Fritz L. croit que le meilleur compromis est de proposer à ses partenaires de s’en tenir à leurs libertés individuelles. « Je ne me mets en couple que si c’est un couple libre. Chacun fait comme il l’entend. Il n’y a que moments passés ensemble, et après à chacun sa vie », affirme le professeur.

Libération sexuelle

Dans les couples haïtiens, la perception sociologique de l’infidélité est également intéressante à analyser, selon Dumas Maçon, détenteur d’une licence en sociologie. Il fait remarquer que cette notion se normalise de plus en plus, via des slogans tels que : kwense moun met moun ou encore kiyès ou ye pou w gen yon fanm pou kò w.

« De plus en plus de personnes parlent de sexe ; ce n’est plus une exclusivité du couple. Aujourd’hui des chansons abordent les coups d’un soir, et démocratisent le “sexe sans engagement”

« On retrouve de plus en plus d’hommes qui affichent délibérément leur polygamie, dit-il. Ils ne se gênent pas pour confirmer qu’ils sont engagés à plusieurs femmes. Cependant, la notion de fidélité perd aussi de son sens premier, et ceci pour les hommes autant que les femmes. »

Natacha Jean-Baptiste, qui elle réalise un master en psychologie en France métropolitaine, affirme qu’une partie de la perception de la fidélité actuelle se base sur la libération sexuelle des femmes, portée par les mouvements féministes, ainsi que la libération de la parole sur les pratiques sexuelles.

« De plus en plus de personnes parlent de sexe ; ce n’est plus une exclusivité du couple. Aujourd’hui des chansons abordent les coups d’un soir, et démocratisent le “sexe sans engagement”. C’est pour cela que certains disent qu’ils ont plus peur des sentiments que leurs partenaires pourraient développer pour une autre personne que de leurs coucheries. »

Cependant, selon Jean-Baptiste, cette apparente libération des contraintes sexuelles ne bénéficie pas forcément aux femmes. « Il est vrai qu’elles assument de mieux en mieux leur sexualité, et par ricochet, exigent de moins en moins l’engagement de la part des hommes. Mais comme ceux-ci n’ont plus à s’engager avec une femme pour avoir des rapports sexuels, ils se permettent d’en avoir avec toutes les femmes », fait-elle remarquer.

Détresse émotionnelle

D’un autre côté, même en abordant la question de la fidélité dès les débuts, la relation peut s’avérer épineuse et toxique. C’est ce qu’a vécu Camille D., une employée de banque. La jeune femme est tombée amoureuse de l’un de ses clients, avec qui elle a entamé une relation.

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« J’ai essayé le plus possible de ne pas être la femme jalouse et suspicieuse qui empêche son partenaire de vivre, se remémore-t-elle. Tout allait bien entre nous. Il m’avait présentée à sa famille, et nous nous voyions souvent, jusqu’au jour où il m’a annoncé qu’il avait une femme aux urgences sur le point d’accoucher. »

Pour la jeune femme, c’était difficile à vivre. Elle se sentait coupable. « Je me demandais ce que je n’avais pas, ce que j’avais fait de mal. Je suis restée avec lui deux mois après la naissance de l’enfant. Je me suis surprise à fouiller dans son téléphone à la recherche de photos de la mère de sa fille. Je voulais voir si elle était plus belle que moi. J’avais besoin de savoir pourquoi il m’avait trompée », affirme D.

Phaidra Laraque explique que la douleur causée par l’infidélité peut aller de la déception jusqu’à la tentative de suicide. C’est pourquoi, selon elle, il faut aborder la question avec beaucoup de doigté.

Mais d’après Dumas Maçon, même si l’infidélité des hommes n’est pas clairement condamnée dans la société, la pratique est quand même critiquée : « Des gens font valoir qu’avoir plusieurs maîtresses, c’est dépenser de l’argent qu’on pourrait économiser. Ce sont des dépenses qui pourraient être évitées, s’il n’y avait qu’une femme dans l’équation. »

Melissa Béralus est diplômée en beaux-arts de l’École Nationale des Arts d’Haïti, étudiante en Histoire de l’Art et Archéologie. Peintre et écrivain, elle enseigne actuellement le créole haïtien et le dessin à l’école secondaire.

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