Dans les premières parties de cette série d’analyses, plusieurs interactions ont été analysées : l’entrepreneuriat, la concurrence, la fiscalité, la responsabilité sociale des entreprises, la promotion du mérite, la participation aux activités politiques, le Parlement, la justice, la religion et la qualité des services publics
Ce dernier texte traitera de quatre autres interactions/pratiques à considérer. Il faut rappeler que ni les problèmes évoqués ni les solutions proposées dans les premiers textes ne sont exhaustifs. Présentées de manière simpliste, ces solutions doivent être intégrées dans un plan global et complet approprié par les différents groupes d’intérêts et exécuté par des personnes capables.
Pour marquer la fin de cette série, la première forme d’interaction que l’on étudiera est la relation entre la Presse et la société haïtienne.
La Presse
Désignée comme le Quatrième Pouvoir, la Presse occupe une place importante dans la construction d’une nation. Elle influence l’opinion publique à partir des informations qui sont diffusées. Par-là, elle contrebalance le poids des trois Pouvoirs traditionnels, dans la mesure où elle est impartiale. De plus, la Presse est un espace idéal pour former en masse la population, en raison de sa portée. La Presse est souvent le déclencheur de grandes actions ou réactions publiques. En d’autres termes, elle peut devenir tout aussi utile que nuisible, dépendamment de l’orientation des messages retransmis.
Au cours de l’histoire, les médias (la radio, la télévision, et aujourd’hui les médias en ligne) et la presse écrite ont poussé les peuples à dépasser leurs limites, positivement ou sombrement. La Radio télévision libre des Milles Collines a joué un rôle majeur dans le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994, en incitant les Hutus à pratiquer la violence. « People’s Daily », l’organe de Presse officiel du Parti communiste chinois, était à un moment la seule structure de presse habilitée à diffuser des informations sur la Chine au reste du monde. Elle était utilisée pendant longtemps par Mao pour la propagande et forgeait la mentalité communiste chinoise. Dans le monde contemporain, « Fox News Channel », est devenu le canal de propagation des idées du Parti républicain américain.
Lisez le premier article de cette série de réflexions ICI
En Haïti, la Presse était longtemps considérée comme une presse engagée, surtout pendant l’occupation américaine et vers la fin de la dictature duvaliériste. Elle était aussi un élément important dans la diffusion d’idées sociopolitiques et littéraires comme la Négritude. Avec le temps, elle est devenue de plus en plus partisane et a de moins en moins joué son rôle de Formateur. Le manque de professionnalisme des journalistes, la partialité à peine déguisée et l’opportunisme sont entre autres les raisons qui expliquent pourquoi la plupart des journaux diffusent aujourd’hui beaucoup plus les « zen » au lieu de participer au processus de formation des citoyens. Qui pis est, l’émergence des réseaux sociaux, en accroissant la vitesse de diffusion de l’information, a soutenu cette chute.
Avec le temps, la presse est devenue de plus en plus partisane et a de moins en moins joué son rôle de Formateur.
Pour changer de système, la Presse doit revenir à son rôle initial d’éducateur, en priorisant la formation des journalistes, en intégrant plus de rubriques éducatives dans leurs programmes et en établissant des lignes de conduite claires et des sanctions pour les journalistes à travers les Associations de Journalisme et de Presse.
Diplomatie et Souveraineté
La relation entre les Haïtiens et le reste du monde a toujours été une relation de tutelle, de dépendance et d’ingérence. Pendant la période coloniale, Hispaniola et ensuite Saint-Domingue étaient soumises à leur métropole respective l’Espagne puis la France.
En 1825, le gouvernement de Boyer décida de payer pour la reconnaissance d’une indépendance déjà acquise depuis 1804, enfonçant Haïti dans la dette et la dépendance financière.
En 1897, deux navires allemands exigent la libération du citoyen allemand Émile Luders condamné par la justice haïtienne, en posant des conditions humiliantes.
L’occupation américaine durera ensuite deux décennies (1915-1934). En 1994, trois années après le coup d’État contre le Président Jean Bertrand Aristide, des militaires étrangers débarquent pour redonner le pouvoir à ce dernier.
En 2004, la MINUSTAH rentre en Haïti à la suite du départ anticipé de Jean Bertrand Aristide (2e version), pour ne repartir qu’en 2017.
Depuis 2004, l’implication de la communauté internationale devint encore plus palpable. Haïti est de moins en moins souverain dans ses décisions stratégiques au niveau mondial ou domestique. Une grande partie des ressources financières proviennent de l’extérieur, à travers les partenaires techniques et financiers (Banque mondiale, BID, FMI, USAID)…
L’International propose les aides alimentaires, finance les dépenses de santé, finance les dépenses de fonctionnement de la PNH, finance les élections et influence parfois les résultats…
En outre, au niveau diplomatique, le CORE Group (composé de représentants diplomatiques de plusieurs pays, de l’Union européenne, de l’OEA et de l’ONU) prend une place de plus en plus importante dans les résolutions de conflits internes.
Pour changer de système, regagner la souveraineté perdue est incontournable.
Pour changer de système, regagner la souveraineté perdue est incontournable. Si les Haïtiens veulent gouverner autrement, ils doivent prendre seuls certaines décisions et limiter l’implication des étrangers dans les affaires internes.
Pour cela, le renforcement des entités diplomatiques, la réforme du système électoral, la priorisation des ressources domestiques pour certains postes de dépenses et la priorisation des stratégies venant des Haïtiens sont indispensables. Enfin, la sortie de la dépendance financière passe forcément par la promotion des entreprises, l’optimisation fiscale et la lutte contre la corruption. Sans cela, il est impossible de sortir du paradigme « Qui finance commande ».
L’éducation
Dans la définition de système, ce dernier était caractérisé par les acteurs le composant et les pratiques/relations entre ces acteurs. Changer les acteurs pour changer de système ne garantit pas à lui seul les résultats. Une raison explique cela : si la façon dont les acteurs sont formés reste inchangée, ils reproduiront le même système qu’avant.
Pour être illustratif : si les enfants/jeunes ne sont pas formés pour devenir des citoyens intègres, responsables et patriotes, les chances d’avoir des élus corrompus et inefficaces resteront encore élevées. Un changement complet de système doit passer forcément par un changement de système éducatif. Les grands révolutionnaires et grands pionniers de nouveau système en Chine (Mao en 1954), à Cuba (Castro en 1953), en Iran (Khomeini en 1979) l’avaient bien compris.
Lisez le second article de cette série de réflexions ICI
En dehors des considérations faites généralement sur les infrastructures éducatives, la qualité des enseignants, les ressources financières allouées à l’éducation, le remaniement éducatif évoqué ici fait référence au changement de l’itinéraire éducatif.
Il s’agit d’ajuster le système éducatif en fonction du type de citoyens désiré et du type de société voulue.
En d’autres mots, il s’agit d’ajuster le système éducatif en fonction du type de citoyens désiré et du type de société voulue. Cette stratégie répondra aux questions : quel type de citoyen et de leaders veut-on former ? Quel type d’électeurs souhaite-t-on avoir dans 25 ans ? Ainsi, pour avoir des citoyens disciplinés et/ou créatifs, l’on conviendra d’encourager les matières et les activités scolaires et parascolaires y associés.
Changer le système éducatif pour changer le système en Haïti passe nécessairement par le changement du mode d’organisation des établissements scolaires (en réduisant les discriminations entre les écoles et en uniformisant les programmes scolaires) et un changement du cursus scolaire (en y intégrant ou réintégrant des cours de base comme le civisme, l’économie, la programmation…). De plus, il faudra non seulement réguler l’utilisation des manuels scolaires, mais aussi améliorer le système d’évaluation des élèves/étudiants, des professeurs et autres personnels. Un changement de système éducatif permettra de changer aussi la mentalité du citoyen haïtien.
Identité haïtienne
« Je suis Haïtien » : que veulent dire ces mots ? À quoi associe-t-on l’être haïtien ? Comment réfléchit-il ? De quoi est-il capable ? L’identité d’une nation définit son image au niveau international et l’état d’esprit de ses citoyens résidents et en particulier de sa diaspora.
L’identité d’un pays est un élément propre à sa mentalité et en même temps un déterminant de cette mentalité. L’on connaît les Suisses comme les maîtres de la montre et du temps. Le Brésil est connu au niveau mondial pour son football et son carnaval. La Jamaïque est le pays du reggae et des rastafaris. Les Américains et les Russes sont connus pour leurs puissances militaires. Les Asiatiques sont connus pour leur performance en mathématiques. Les Japonais sont identifiés aux mangas. Mais que veut dire « être Haïtien » ?
Malheureusement, avec le temps, l’Haïtien s’est autodévalorisé en s’imposant des barrières.
Malheureusement, avec le temps, l’Haïtien s’est autodévalorisé en s’imposant des barrières. Il se considère de plus en plus comme un être incapable de prendre en main son avenir, incapable d’accomplir de bonnes choses. Les produits importés sont par exemple préférés aux produits haïtiens. La solution qui vient de l’étranger est préférée à la solution locale : la compétence serait apparemment « étrangère ».
L’Haïtien en arrive même à oublier ce qui fait sa force et sa particularité. Cette image négative du soi est en partie due à l’existence d’une culture de dévalorisation du produit haïtien et l’absence de politique pour promouvoir les valeurs haïtiennes. Conséquemment, les jeunes recherchent les modèles de réussite dans les Haïtiens d’origine. La mentalité de croire qu’Haïti ne sera que dernier s’est installée et les a rendus fatalistes.
Aucun système ne peut changer avec cet état d’esprit. Pour transformer la nation haïtienne, il faut remodeler l’être haïtien, l’aider à retrouver confiance en lui. En d’autres termes, l’État doit promouvoir l’excellence, les identités haïtiennes (gastronomie, histoire, système scolaire, vêtements…) et lutter contre l’acculturation (en priorisant les produits culturels locaux et en limitant la pénétration des produits culturels étrangers…).
Le système scolaire haïtien doit être en mesure de former des citoyens disposant de certaines valeurs et certaines caractéristiques propres à Haïti, capables de croire en l’accomplissement de grandes œuvres. La Presse, qui détermine l’opinion publique, devra aussi jouer sa part en faisant la promotion de ceux qui excellent et en orientant les Haïtiens vers la créativité.
Lisez les deux premiers textes de cette série :
1- Que doit faire celui qui veut réellement changer le système en Haïti ?
2-On ne peut changer de «système» sans modifier le parlement, l’église et la justice
Ralph Valéry VALIERE
Comments