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Opinion | De la nécessité de confiner la corruption en Haïti

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Plus un pays est corrompu, moins productif est le secteur privé, moins importantes sont les recettes collectées par l’État, plus grandes sont les dépenses.

Pendant la pandémie du Coronavirus, les citoyens des pays développés scrutent les actions de leurs dirigeants pour s’assurer qu’ils prennent toutes les dispositions nécessaires pour freiner le Covid-19, sauver des vies et protéger l’économie nationale. Ils mesurent la performance de leurs dirigeants, font pression pour des mesures plus performantes sachant déjà que le virus a des longueurs d’avance.

Dans d’autres pays moins développés, les États fragiles notamment où la corruption demeure un problème majeur, en plus de s’inquiéter de la performance des dirigeants, les citoyens doivent croiser les doigts pour que l’argent dédié à la réponse au Coronavirus ne soit pas détourné. Même en temps de catastrophe ou de pandémie, la corruption reste un fléau qui touche sévèrement ces pays…

Haïti fait partie de ces territoires à risque. Le pays est habitué aux scandales de corruption et essayait de prendre son souffle après plus d’une année de mobilisation anticorruption avant que le Coronavirus n’arrive. Le premier grand débours de l’état — un contrat d’achat de matériels sanitaires en Chine — suscite déjà des controverses, car il n’aurait pas reçu l’aval de la Cour des comptes.

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Mais la corruption en temps de crise humanitaire n’est pas un phénomène haïtien et ne concerne pas que les dirigeants nationaux. Les bailleurs de fonds et les Organisations non gouvernementales étrangères se retrouvent parfois mêlés à des scandales de corruption.

Des organisations comme la Croix-Rouge ont dû réfuter des accusations de mauvaise utilisation de fonds après le séisme en Haïti. GOAL, la plus grande organisation humanitaire d’Irlande a eu des démêlées pour une histoire de conflits d’intérêts grave. Dans d’autres pays, des organisations non gouvernementales ou des organisations caritatives ont été mises sur la sellette.

Les formes de corruption sont elles aussi nombreuses, qu’elles soient du ressort de la corruption politique, de la petite ou de la grande corruption. On compte notamment le détournement de fonds, les pots-de-vin, la fraude, le trafic d’influence, le népotisme, l’accaparement des ressources naturelles, etc.

Ensemble, ces pratiques illégales représentent de sérieuses entraves au développement économique et social d’un pays et en temps de crise en particulier, elles peuvent alimenter de sérieuses violations de droits humains quand elles privent l’état des ressources nécessaires pour satisfaire les besoins de base et les droits fondamentaux de ses citoyens comme le droit à la santé.

Paradoxalement, la corruption passe souvent pour un phénomène banal dans les pays où elle est endémique et institutionnalisée.

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La corruption est aussi un problème financier qui ne saurait être pris à la légère, car l’argent demeure le nerf de la guerre. Plus les ressources sont détournées de leur fonction, moins il est facile de les mobiliser.

Quand on considère les difficultés qu’a l’état haïtien pour mobiliser des ressources depuis quelques années, quand on considère aussi la vulnérabilité du pays aux crises de toute sorte, il est important de ne pas anéantir nos chances de trouver des moyens pour répondre à nos problèmes. Les pays en nécessité sont nombreux et Haïti peut vite devenir un laissé-pour-compte.

L’impact économique de la corruption est aussi très important.  Plus un pays est corrompu, moins productif est le secteur privé, moins importantes sont les recettes collectées par l’État, plus grandes sont les dépenses, etc.

La gestion des ressources dans la gestion de cette pandémie est un test, une énième chance de lancer le bon signal. Haiti is open for business se retrouve dans les discours depuis une décennie, mais les investisseurs étrangers savent qu’ils ne doivent pas suivre les discours, mais les tendances et pronostics basés sur des faits. Un scandale de corruption de plus ne les attirera pas une fois la crise sanitaire passée.

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La corruption augmente les coûts de transaction dans l’économie et érode la confiance. L’état haïtien doit donner des garanties et envoyer le bon signal. La corruption a contribué à déchirer le tissu social haïtien, mais il est encore temps d’accorder à chacun ce qui lui revient de droit et de punir ceux qui tentent d’accaparer ce qui revient au collectif.

Les chantiers du développement d’Haïti sont nombreux, mais les ressources sont maigres. Chaque centime compte contrairement aux vieilles pratiques de gestion de la chose publique auxquelles nous sommes habituées. Qu’importe la qualité de la gestion de cette crise sanitaire, il faudra relancer l’économie après la pandémie. Une gestion saine et efficace des fonds nous évitera de remuer le couteau dans la plaie.

Emmanuela Douyon

Foto: Hector Retamal novembre 2017 / AFP

Emmanuela Douyon est une spécialiste en politique et projets de développement. Elle a étudié à Paris-1 Sorbonne en France et à l’université National Tsing Hua de Taïwan. Emmanuela a travaillé dans plusieurs secteurs en Haïti. Elle est fondatrice du thinktank Policité et offre des consultations stratégiques en gestion et évaluation de projets. Outre ses activités professionnelles, Emmanuela est une activiste luttant contre les inégalités et la corruption. Elle intervient souvent dans les médias pour commenter l’actualité et analyser des questions économiques.

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