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Louer une maison en République dominicaine, un vrai casse-tête pour les Haïtiens

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La plupart des propriétaires, et les avocats qui les représentent, prétextent ne pas louer aux étrangers

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En décembre 2021, Alexandra et son mari prennent une décision difficile : elle ira vivre en République dominicaine. L’ancienne employée de banque en Haïti est alors enceinte, et le stress de la vie à Port-au-Prince est insupportable, en plus d’être nocif pour le futur enfant. Une pénurie de carburant, qui durait déjà depuis cinq mois, rendait la situation encore plus incertaine.

Très vite, Alexandra fait face à son premier challenge en terre voisine : se loger. Pendant plusieurs mois, elle n’arrive pas à trouver un logement, alors que la date de son accouchement approche. Elle ne parle pas espagnol, ce qui est un autre handicap pour son projet.

Le stress de la vie à Port-au-Prince est insupportable, en plus d’être nocif pour le futur enfant.

Après plusieurs déconvenues, elle finit par trouver un appartement dans une résidence à Santo Domingo. Sans surprise, le propriétaire est peu enclin à louer à une étrangère, de surcroît haïtienne, qui en plus n’a pas la résidence en RD. « C’est mon mari qui est rentré pour régler tout cela, car il a la résidence américaine. Bien qu’il soit étranger, c’était plus facile pour lui. »

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Grâce à cela, Alexandra et son mari finissent par louer l’appartement, pour 300 dollars mensuels et trois mois de dépôt de garantie. Elle y vit encore avec son bébé, né quelques jours seulement avant son emménagement dans sa nouvelle maison.

Tous les Haïtiens n’ont pas la même chance, et se loger en République dominicaine est devenu un défi pour ceux qui se rendent dans ce pays. La plupart des propriétaires, et les avocats qui les représentent, prétextent ne pas louer aux étrangers.

Se loger en République dominicaine est devenu un défi pour ceux qui se rendent dans ce pays.

« En ce moment, je ne vais pas dire qu’il est impossible pour un haïtien de trouver une maison à louer, mais c’est un vrai casse-tête. Le fait de ne pas louer aux Haïtiens était d’abord une rumeur, mais elle s’est vite répandue. C’est comme si c’était officiel maintenant », explique Belfort Frantz, professeur d’espagnol. Par bonheur, il n’est plus un locataire, puisqu’un membre de sa famille a acheté une maison à Santo Domingo, où il habite.

Annie, jeune Haïtienne qui vit depuis plusieurs années en république voisine, confirme que mettre un toit sur sa tête est difficile. Elle a elle-même renoncé à trouver un autre logement, plus grand que celui où elle habite, après s’être vu refuser plusieurs fois des maisons qui l’intéressaient. « Quand ils disent étrangers, en réalité ils parlent des Haïtiens. Je réponds à toutes les exigences. J’ai un travail, et je suis ici légalement. Mais je suis haïtienne et c’est le problème. J’ai déjà essuyé des refus à cause de cela. »

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Il n’était pas aussi compliqué de se loger, il y a quelques années. Pour Belfort, la difficulté a augmenté en même temps que le sentiment anti-haïtien qui anime le pays.

Quand ils disent étrangers, en réalité ils parlent des Haïtiens.

L’offre de logements pour les Haïtiens étant ainsi réduite, alors que la demande ne cesse d’augmenter, l’ampleur des sacrifices qu’un Haïtien qui n’a pas la résidence dominicaine doit faire pour se loger est devenue considérable : dans certaines parties de Santo Domingo, les loyers ont augmenté pour les Haïtiens irréguliers ; le contrat de bail qu’on leur propose contient plus d’exigences que celui des Dominicains. Par exemple, la valeur du dépôt de garantie qu’ils doivent verser est plus grande.

W. L. s’est installé en terre voisine depuis avril 2021. Il a eu la chance de trouver un appartement dans une résidence à Los Girasoles. Il paie 400 dollars américains tous les mois. « Vivre ici me revient bien plus cher que si je louais une maison en Haïti. »

Belfort Frantz et W. L. croient que les propriétaires et les avocats dominicains profitent du statut des Haïtiens pour leur soutirer plus d’argent. « Ils savent que beaucoup sont illégaux, ils ne voudront pas revendiquer leurs droits », analyse le professeur d’espagnol.

Le contrat de bail qu’on leur propose contient plus d’exigences que celui des Dominicains.

Annie ne croit pas que les Haïtiens paient spécialement plus d’argent. Les prix de l’immobilier ont augmenté, explique-t-elle. « Chaque année, le loyer augmente de 10 %, dit-elle. Et là où j’habite, c’est la même chose pour tout le monde. »

En avril 2022 en effet, le président de l’Association dominicaine des constructeurs et promoteurs de logement, Jorge Montalvo, annonçait une hausse des prix dans le secteur de la construction, à cause de l’inflation provoquée en partie par le conflit russo-ukrainien.

Le coût du mètre carré, dans le secteur, a augmenté de 28,3 %. Les logements familiaux d’un étage jusqu’à quatre étages, comme souvent dans les « residencias » étaient les plus touchés.

Le coût du mètre carré, dans le secteur, a augmenté de 28,3 %.

Annie admet toutefois que s’ils n’ont pas de papiers, les Haïtiens sont plus facilement la proie d’avocats avares, qui augmentent le prix des loyers, plus que ce qu’ils sont en réalité. « Le plus dur c’est qu’il y a toujours un Haïtien qui les aide dans leur forfait », regrette-t-elle.

La pratique la plus controversée, impliquant des Haïtiens, selon W. L., est devenue monnaie courante dans une zone appelée Ciudad Juan Bosch. « Comme il est difficile de trouver une maison, certains louent une chambre à leurs compatriotes et leur font payer presque complètement ce que l’appartement leur coûte par mois. Cela s’est répandu rapidement », révèle l’ancien conseiller à la clientèle d’une compagnie en Haïti.

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Les réticences des propriétaires découlent aussi de certaines mauvaises expériences qu’ils ont pu faire avec des Haïtiens. Annie et Belfort le croient. « Parfois, quand certains déménagent, ils laissent derrière eux beaucoup de saletés, et des dégâts dans la maison. Dans la maison, ils font parfois beaucoup de bruit. J’ai vu de mes yeux certains comportements vraiment répréhensibles. » Dans les résidences, tout cela passe mal. Les comités de gestion s’en plaignent souvent, et cela conduit à la mise à l’écart des locataires venus d’Haïti.

Tout n’est pas noir cependant. Même en pleine vague anti-haïtienne, dans certaines résidences la colocation est cordiale, à défaut d’être chaleureuse. « Bien qu’ils se doutent que je suis Haïtienne, on me dit bonjour quand on me croise, dit Alexandra. Lorsque mon bébé n’avait que quelques mois, il pleurait beaucoup. Les voisins venaient souvent frapper à la porte, pour me demander s’il allait bien, et pour me donner des conseils sur la maternité. »

© Photo de couverture : Rodnae/pexels

Journaliste. Éditeur à AyiboPost. Juste un humain qui questionne ses origines, sa place, sa route et sa destination. Surtout sa destination.

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