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Certaines femmes s’imaginent l’allaitement comme un moment réjouissant. Ce n’est pas toujours le cas.

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Bien que recommandé comme une des meilleures façons d’assurer la santé des enfants, l’allaitement maternel n’est pas une partie de plaisir pour certaines femmes

« L’allaitement fut une surprise pour moi, se remémore Stéphanie M. Vital. Mon bébé refusait de prendre le sein après sa naissance. Et mes seins étaient tellement enflés, que ma mère a décidé de les laver avec du savon de lessive. J’ai pleuré pendant tout le bain. C’était atroce. »

D’après l’Organisation mondiale de la santé, l’allaitement demeure un des meilleurs moyens d’assurer la santé des enfants. Si l’institution recommande six mois de tétées « exclusifs », deux enfants sur trois ne bénéficient pas d’un tel traitement dans le monde. En Haïti, 60% des enfants de moins de six mois ne sont pas allaités exclusivement au sein, selon un rapport de l’Institut haïtien de l’Enfance (IHE) sorti en 2017.

Plusieurs raisons, parmi elles la nécessité de travailler en prenant soin d’un bébé, expliquent cet état de fait. Beaucoup de femmes rapportent également des douleurs intenables et des lésions cutanées sur le bout de leurs seins, après les séances de tétées. Cette situation peut s’aggraver quand le sein devient infecté et que le bébé suce un lait mélangé avec le sang de sa mère.

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Ce que Vital décrit est la « montée laiteuse », explique la Dre Mina Julène Paul. Cette énième transformation du corps de la mère survint trois jours ou plus après l’accouchement. Les seins se gonflent sous le débit du flux sanguin qui augmente ainsi que la production soudaine de lait.

Ce processus s’appelle aussi engorgement physiologique. Il s’atténue parfois après plusieurs séances de tétées consécutives. Mais, toutes les mères ne sont pas aussi chanceuses, explique la pédiatre. « Il peut arriver qu’une [femme] souffre d’engorgement pathologique, accompagné de fièvres, des frissons et des douleurs ».

Les femmes peuvent aussi ressentir des contractions douloureuses durant l’allaitement, parce que la « matrice » qui avait gagné en volume pour abriter le bébé reprend sa forme et sa taille originales. Celles qui sortent à peine de la salle d’opération pour une césarienne rapportent aussi des douleurs par moments.

Consommation de mirliton

La production du lait préoccupe beaucoup les jeunes mamans. Kaddijha Fallone Augustin et Stéphanie M. Vital, dont les enfants ont respectivement huit ans et un an cinq mois, témoignent avoir priorisé la consommation de mirliton durant leurs grossesses pour faciliter le processus. Cependant, Dre Mina Julène Paul fait savoir que les femmes qui ne sont pas malades n’ont pas besoin d’une aide extérieure pour produire du lait.

Le corps de la femme produit des hormones comme l’ocytocine et la prolactine, qui vont automatiquement propulser la production du lait. Les séances de tétées étant suffisantes, il est inutile d’user de méthodes extérieures. Aussi, « pas besoin de frotter [les seins] ou les frapper… car cela peut causer un traumatisme et occasionner des complications graves comme la mastite », révèle Dre Paul.

Parfois, la volonté de la mère pour nourrir son enfant au lait maternel ne suffit pas, tant la douleur reste intenable. « J’en étais incapable, déclare Mailla Paul, jeune mère d’un enfant de six ans. Je ne pouvais serrer les dents que durant 15 minutes. »

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Les choses se sont compliquées pour Paul. Elle avait des rougeurs sur ses seins et des plaies infectées couvrant toute l’auréole qui saignait. Elle explique avoir pris beaucoup de temps pour guérir. Un mois après son accouchement, elle était obligée de tirer son lait pour le laisser à son enfant avant qu’elle se rende au travail.

Pour Paul, aller au bureau était un soulagement. Parce qu’elle n’était pas obligée de donner le sein aussi souvent qu’avant, ses plaies ont eu le temps de cicatriser. Elle usait aussi d’une pommade pour soulager la douleur.

Dans ces situations, Dr Paul ne recommande pas l’évitement des séances de tétées. « Si la mère arrive à faire fi de la douleur pour allaiter son enfant, ses seins guériront [plus vite], dit la spécialiste. D’ailleurs, la salive de l’enfant comporte des substances qui contribuent à la cicatrisation. »

De plus, si la mère réduit sur la fréquence des séances de tétées, ses seins produiront moins de lait. Et dans ce cas, l’enfant fera encore plus d’effort pour sucer, il aura souvent faim, et cela augmentera la douleur, argumente Dr Paul.

En même temps, la spécialiste met en garde les parents à risque. « Je ne recommande pas l’allaitement lorsqu’il y a des plaies, surtout quand la personne souffre de maladies comme le VIH, parce qu’il y a des chances pour que l’enfant boive du sang et du lait en même temps », précise Dr Paul.

Les douleurs finissent par s’apaiser

Les cas de femmes souffrant de lésions dans leurs seins durant l’allaitement sont courants. Ces lésions ne durent que les premiers mois et concernent généralement un des seins de la mère. De ce fait, l’un des premiers conseils du Dr Paul, c’est de changer de sein lorsque l’un d’entre eux est blessé.

La position de la mère durant les séances de tétées peut occasionner des douleurs. Le médecin incite les mères à se trouver une position confortable, sur une dodine ou une chaise. La tête de l’enfant doit reposer sur le coude du bras de la mère, sous le sein qui est libre.

La position couchée aussi est possible, mais la maman et son bébé doivent se sentir à l’aise durant ce moment d’intimité.

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La méthode Kangourou, ou peau sur peau, utilisée pour les enfants nés prématurément peut aider la mère à soulager ses douleurs. Pour cette technique, la mère et l’enfant sont nus, l’un contre l’autre. Le bébé est comme enveloppé sur la poitrine de sa mère.

« Attention, la [femme] ne doit pas se voûter ou se baisser pour donner le sein, averti la Dr. Paul. C’est à elle, d’amener la bouche du bébé vers son sein et non le contraire. Les lèvres de l’enfant doivent engloutir la pointe et l’auréole. De cette façon, l’enfant ne va pas aspirer aussi de l’air, ce qui peut occasionner de fortes coliques chez le nourrisson. »

Puisqu’elle n’a pas réussi à allaiter que durant deux mois, Stéphanie M. Vital dit qu’elle ressent un manque, comme si elle avait « raté quelque chose ». Elle est consciente de tous les avantages de l’allaitement maternel et tenait à le faire. Elle a par exemple appris que son lait est le seul aliment possédant tous les nutriments nécessaires au bon développement de son enfant.

Ce liquide nutritif peut également renforcer le système immunitaire de l’enfant pour le protéger contre nombreuses maladies.

Choc psychologique lié au manque d’informations

L’IHE a cherché à savoir dans son enquête si des conseils avaient été dispensés aux mères sur l’allaitement. Seulement 46 % de ces dernières ont répondu par l’affirmative.

« Cela faisait tellement mal, que je pleurais et je hurlais en donnant le sein à mon bébé, déclare Kaddijha Fallone Augustin. J’ai fait une dépression à cause de cela. J’avais peur de lui donner le sein. Personne ne m’avait préparé à cela, je n’étais pas prête psychologiquement pour allaiter. »

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Mailla Paul n’expliquait à personne qu’elle avait des douleurs parce qu’elle ne voulait pas être accusée d’avoir peur de l’allaitement ou qu’elle refusait de s’occuper de son bébé.

Stéphanie M. Vital a elle considérablement perdu du poids. Avant sa grossesse, elle portait du 14 ou du 12. Elle est passée à la taille 6 durant sa période d’allaitement. Elle rapporte aussi un inconfort causé par les coulées de lait impromptues en plein travail ou dans la rue.

Hervia Dorsinville

Journaliste résolument féministe, Hervia Dorsinville est étudiante en communication sociale à la Faculté des Sciences humaines. Passionnée de mangas, de comics, de films et des séries science-fiction, elle travaille sur son premier livre.

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