Avec le représentant de l’UE, nous avons abordé les interventions de sa mission sur les violences faites aux femmes, la coopération avec le gouvernement, la question des élections et la migration.
L’ambassadeur de l’Union européenne en Haïti, Stefano Gatto a été l’invité de la salle de rédaction d’AyiboPost le 23 novembre 2023.
Avec le représentant de l’UE, nous avons abordé les interventions de sa mission sur les violences faites aux femmes, la coopération avec le gouvernement, la question des élections et la migration.
Pour des raisons de clarté, la retranscription «partielle» ci-dessous a été éditée.
Monsieur l’ambassadeur, pourriez-vous nous parler de l’initiative Spotlight ?
L’Union européenne accorde beaucoup d’importance dans sa politique extérieure aux questions de coopération, des droits de l’homme et des droits fondamentaux.
Moi, je dirai qu’au cours des dernières années, l’importance de la politique envers les femmes et l’élimination de toutes discriminations et violences envers les femmes et les filles est devenue un axe prioritaire de notre coopération et notre engagement. Un peu partout dans le monde, en cohérence avec ce qu’on fait dans l’UE, où le fléau n’a pas complètement disparu.
On est peut-être plus avancé que d’autres régions du monde, mais quand même, on a encore des discriminations flagrantes et d’importantes violences.
Donc, il y a tout un travail social, culturel, didactique, politique, il y a plein de choses à faire. Il y a des lois à approuver, il y a aussi un travail d’éducation qui commence dans les écoles sur le respect ainsi que les dangers de la violence, donc toute une série de dimensions.
On fait cela en Europe et en cohérence on essaye d’aider les pays en développement avec lesquels on avait des partenariats afin d’appuyer cette lutte. Ce qui n’est pas toujours facile pour des raisons historiques et culturelles.
Dans certains pays, il y a même un déni de la réalité et on ne veut pas accepter l’idée d’une violence spécifique qui touche les femmes.
Or, les statistiques à mon avis sont assez claires. Il existe une composante claire de la violence faite aux femmes à l’intérieur même des familles, la violence domestique.
Malheureusement, dans la région des Caraïbes, cette violence est particulièrement forte. Et, on ne peut pas dire qu’Haïti n’est pas intéressé par le sujet parce que malheureusement ici il y a plusieurs dimensions à la violence domestique. Il y a la discrimination et la violence sexuelle contre les filles, qui est extrêmement forte et multipliée par l’activité des gangs.
Je ne dirai pas que les gangs, mais ils multiplient cela parce que dans les quartiers qu’ils contrôlent il y a pratiquement une impunité. Finalement, les familles, les filles sont vraiment très seules.
Spotlight est un programme qu’on a financé avec les Nations-Unies comme agence de mise en œuvre, et l’UE comme financeur.
Mais, le partenariat se fait avec la société civile et le gouvernement haïtien. Moi, je dirai que l’acteur le plus important c’est la société civile parce que c’est elle qui réagit, présente, impose un sujet.
Mais très souvent elle n’a pas d’appui et le gouvernement n’a pas de ressources. Dans le passé, peut-être cela n’a pas été prioritaire. Parce qu’il y a tellement de problèmes en Haïti qu’il peut paraître que la violence des gens est l’un des problèmes parce qu’il y a d’autres genres de violence.
Donc, on a essayé avec ce programme Spotlight de mieux coordonner. D’abord de sensibiliser, de porter la sensibilité sur ces sujets qui demande une attention spécifique.
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Comment l’UE perçoit et comprend-elle la conjoncture politique actuelle du pays ?
Nous avons une position qui est établie dans le temps. Moi, je suis arrivé en Haïti le 1er septembre 2022, c’est-à-dire il y a de cela quatorze mois. C’était un moment difficile et complexe, les pays lock a commencé 10 jours après.
L’attente à l’époque était celle d’un consensus entre les forces politiques haïtiennes pour définir un calendrier électoral.
Donc, il faut une nomination du CEP (Conseil électoral provisoire), et toute une série d’éléments, comme l’enregistrement des électeurs, etc. Il faut dire qu’Haïti a choisi un système un peu complexe. Le fait que le CEP soit provisoire, c’est-à-dire soit nommé à chaque fois, complique énormément la tâche électorale. S’il y avait eu une commission permanente, cela aurait été plus facile.
Nous avons toujours appuyé l’idée d’élargir un consensus. Il y a eu certains accords qui ont eu lieu après la mort du président de la République. Il y a l’accord 2022 qui est peut-être insuffisant.
Depuis lors, la dernière fois qu’on a communiqué sur la conjoncture politique au sein de l’UE c’était au début du mois de janvier 2023, pour encourager le gouvernement à prendre note de l’accord et continuer avec les débats visant à élargir le consensus.
En termes d’accord, il y a eu plusieurs tentatives. Maintenant, la communauté internationale a pensé, peut-être, la CARICOM (la communauté caribéenne) était mieux placée que d’autres pour aider les acteurs haïtiens à trouver un consensus. Parce que nous sommes un peu inconfortables avec cette idée qui est très répandue en Haïti, du Core Groupe ou des Occidentaux qui imposaient des gouvernements.
Probablement, cela a été comme ça par le passé, mais ce n’est sans doute pas la volonté actuelle. Ce que nous voulons, c’est de stimuler un consensus haïtien entre les forces politiques haïtiennes et le gouvernement en tenant compte de l’exceptionnalité de la situation institutionnelle. La seule alternative reste un consensus qui soit ample.
Qu’est-ce que vous répondez à ceux qui accusent la communauté internationale d’hypocrisie, dans le sens où M. Ariel Henry a été placé au pouvoir grâce au Core Group ?
Moi, je n’étais pas dans le pays quand ce fameux Tweet a eu lieu. On a interprété à mon avis d’une façon extensive cet endossement.
Mais, la communauté internationale, y compris l’UE, continue de supporter et d’appuyer le gouvernement…
Parce qu’on n’a pas d’alternative et nous avons la relation avec l’État haïtien. Nous avons des conventions signées avec l’État haïtien et l’État en ce moment est représenté par le gouvernement dirigé par M. [Ariel] Henry parce qu’il n’y a pas d’alternative à cela.
Dès qu’il y a un consensus alternatif et approuvé par un nombre significatif d’acteurs qui représente une partie plus significative de la communauté politique, nous serons ravis. Mais, pour l’instant nous devons travailler avec le gouvernement qui existe.
Pensez-vous que le gouvernement a les incitatifs pour négocier avec l’opposition ?
Malheureusement nous ne ferons pas partie des négociations. Nous n’avons ni un rôle de médiation ni un rôle d’observateur. Nous devons continuer de travailler, car nous n’avons pas d’alternative. C’est déjà suffisamment difficile comme ça, et nous ne pouvons pas porter un jugement de nature constitutionnelle ou institutionnelle, qui est exclusivement du ressort de citoyens haïtiens.
Donc, ce que nous encourageons c’est de revenir le plus tôt possible à la normale. C’est-à-dire, des élections et que toutes ces discussions sur la légitimité terminent par l’élection d’un président de la République.
Je me trouve mal à l’aise quand je lis tout le temps ou que j’écoute que ce soit la communauté internationale qui appuie le gouvernement d’Ariel Henry. Je ne trouve pas que cela soit le cas. Le gouvernement d’Ariel Henry est le seul gouvernement qui existe en ce moment. Il n’y a pas de gouvernement alternatif et il n’y a pas d’hypothèse de gouvernement alternative.
Est-ce que vous pensez que la communauté internationale n’a aucune responsabilité dans la situation actuelle ?
Je crois que oui. Nous avons fait récemment l’exercice d’analyse de notre vision, comment nous pouvons « stratégiser » un avenir de relation avec Haïti dans le contexte de l’exceptionnalité. C’est-à-dire l’exceptionnalité d’Haïti, ne va pas terminer demain, ni après-demain ou avec les élections.
Les élections vont normaliser au moins l’aspect de la légitimité, supposons que les élections marchent bien, qu’il y a une participation raisonnable, plus importante que dans le passé et que personne ne conteste les résultats.
Donc, on a fait cette analyse, et une chose qui en est ressortie et que je trouve très malsain c’est ce débat constant, cette polémique constante qui existe en Haïti à propos des responsabilités de la communauté internationale, des facteurs endogènes, exogènes.
À mon avis il est trop simpliste d’attribuer toutes les responsabilités de la situation d’Haïti à la communauté internationale. Et, c’est devenu un argument assez répandu ces dernières années.
De mon point de vue, c’est une composition des deux facteurs : endogènes et exogènes.
Si vous me demandez si l’internationale a commis des erreurs en Haïti, sûrement, avant mon arrivée. Elle a fait beaucoup d’erreurs, sinon d’autres résultats auraient été atteints.
Il y a des facteurs endogènes qui font que la démocratie est en difficulté et n’a pas vraiment fonctionné depuis la chute de la dictature duvaliériste.
Moi, je trouve stérile de s’entêter dans un débat pour trouver des coupables.
Parlant de la politique, plusieurs acteurs pensent que c’est important et nécessaire d’épurer la liste électorale. M. l’ambassadeur, êtes-vous favorable à un audit de la liste électorale en prélude à toute éventuelle élection en Haïti ?
Avec le système que vous avez en Haïti, c’est inévitable. Moi je trouve qu’il y a une difficulté structurelle du choix qui a été fait d’avoir un comité électoral provisoire.
Dans tous les pays en développement, il y a un problème légitime et récurrent de fiabilité relative de l’État civil. C’est-à-dire, les pays rencontrent des difficultés à produire des documents à jour de l’existence physique et administrative des personnes. On le voit avec le renouvellement des passeports qui sont difficiles, les cartes d’électeurs c’est toujours compliqué.
Donc, dans plusieurs pays, il faut émettre tous les quatre à cinq ans de nouvelles cartes d’électeurs, ce qui est énormément coûteux et compliqué. Le moment où on a un État civil efficace, l’exercice d’émission des cartes d’électeurs sera presque automatique.
En termes d’épuration, c’est évident qu’il faut le faire, qu’il faut émettre de nouvelle carte, faciliter l’accès. Il faut enlever de la liste les personnes décédées, les doubles inscriptions. Il faut du temps aussi. C’est ainsi que la transition doit continuer.
Par Widlore Mérancourt, Jérôme Wendy Norestyl, Lucnise Duquereste, Wethzer Piercin, Fenel Pélissier
► Retranscription : Jérôme Wendy Norestyl
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