Une page perdue de l’histoire à la rue de l’Enterrement
Les chauves-souris ont envahi la maison où est né Alexandre Pétion, l’un des pères de la patrie. Sur un poteau qui culmine une pile d’immondices, une plaque indique l’importance de cette grande bâtisse. « Ici, est né le 2 avril 1770, Alexandre Pétion, fondateur de la République », lit-on. C’est la seule indication de l’histoire de cette maison, située à la Rue de l’Enterrement.
Le délabrement du bâtiment a débuté peu après le séisme dévastateur de 2010. Le ministère des Affaires sociales et du Travail, qui occupait les lieux, a été contraint de quitter l’espace en partie endommagé par le cataclysme.
La maison a été laissée sous la garde de Michel Célestin, en tant que gérant. Ce contractuel avait pour mission de contrer les multiples tentatives d’intrusion dans l’espace. Les vagabonds l’envahissent fréquemment, à la recherche de matériaux de récupération dans les ruines de la partie effondrée.
A quelques mètres du palais présidentiel, le lieu de naissance du premier président de la République d’Haïti n’est qu’un garage sauvage et mal entretenu
Dix ans plus tard, Michel Célestin se plaint de n’avoir pas perçu son salaire depuis deux ans. Il a résolu d’improviser un « parking » dans l’espace afin de trouver de quoi vivre avec ses cinq enfants. Selon Pierre Dauphin, un mécanicien qui, parmi tant d’autres, improvise son garage depuis une vingtaine d’années dans les parages de la bâtisse, il faut aujourd’hui 100 gourdes par jour pour utiliser ce « parking ».
Résultat, à quelques mètres du palais présidentiel, le lieu de naissance du premier président de la République d’Haïti n’est qu’un garage sauvage et mal entretenu.
Un lieu historique
Cette maison de la rue de l’Enterrement est remplie d’histoires. Selon l’historien Georges Michel, l’espace appartenait au père d’Alexandre Pétion. C’est là qu’a grandi celui qui deviendra en 1807, le premier président d’une partie de la République d’Haïti (Ouest et Sud), après l’assassinat de l’empereur Jacques 1er.
Réélu en 1811, Pétion s’est fait proclamer président à vie en 1816, deux ans avant sa mort en 1818. Alexandre Pétion est surtout connu pour son soutien à Simon Bolivar, qui menait une lutte pour la libération de la grande Colombie.
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Vers l’année 1890, la présidence de Florvil Hyppolite entreprit de bâtir dans l’espace, le siège du Parlement haïtien. C’est là que le sénateur Émile Saint-Lot prenait la parole. En 1950, le président Paul Eugène Magloire a relocalisé le Parlement au bicentenaire et a légué le local au Ministère des Affaires sociales et du Travail qui l’a gardé jusqu’en 2010.
L’ISPAN reprend la main
En 2018, la Mairie de Port-au-Prince a envisagé de réaménager le bâtiment afin d’y implanter une bibliothèque. Ce projet était mené de concert avec l’Unité de Construction de Logements et des Bâtiments publics, rappelle le chef de service du génie municipal à la Mairie de la ville, Jocelyn Jeudi.
Des travaux ont été entrepris pour déplacer les véhicules abandonnés et les détritus qui colonisent l’espace. Cependant, selon Jocelyn Jeudi, l’Institut de Sauvetage du Patrimoine national est intervenu et a stoppé ces manœuvres.
« La Mairie n’était même pas autorisée à réparer une colonne de la barrière de la bâtisse, renversée lors du passage d’un camion qui nettoyait les lieux », regrette le chef de service du génie municipal. Il se plaint que l’ISPAN n’ait rien entrepris, jusqu’à date dans la maison.
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De son côté, le directeur de l’ISPAN, Patrick Durandis, admet que l’institution avait accordé « la jouissance du local » à l’administration municipale de Youri Chevry, qui souhaitait entreprendre des travaux de rénovation.
Cependant, quelques jours après le démarrage de ces travaux, Patrick Durandis a été surpris de constater que la Mairie n’avait pas pris assez de précautions. Au cours des manœuvres, la barrière et la clôture, qui ont une valeur historique, avaient été endommagées.
Une pléiade d’édifices abandonnés
Patrick Delatour est architecte et ancien ministre du Tourisme en Haïti. Selon lui, l’État haïtien peut encore sortir le bâtiment de l’abandon, puisque « tout est restaurable ». « Il suffit de l’aménager et de lui assigner une fonction aussi noble que son histoire. On peut penser à quelque chose qui a rapport à la culture, à l’éducation ou à la liberté de réunion », pense-t-il.
Ainsi, Patrick Delatour croit qu’il faut d’abord une volonté politique, une fonction préalablement définie pour pouvoir modifier l’intérieur à cette fin et des fonds alloués à ces travaux.
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Sur ce point, le directeur de l’ISPAN, Patrick Durandis, indique que l’institution ambitionne de garder les bâtiments historiques dans les meilleures conditions de préservation. Pour cela, l’ISPAN est prêt à confier le local, comme tous les bâtiments historiques, à des entités de l’État qui souhaitent les exploiter. Cependant, cette exploitation doit être faite en faveur de la société et dans le respect des normes établies.
Dans la région métropolitaine de Port-au-Prince, plusieurs édifices et lieux historiques ne reçoivent pas le traitement lié à leur histoire. Alexandre Pétion a aussi une maison à Thor dans la commune de Carrefour, dans le même état.
Arnold Antonin, cinéaste, garde une liste de ces édifices. On y retrouve notamment le Fort Mercredi, le camp de Lamentin, le palais de Tancrède Auguste à la rue Capois, la résidence de Jacques Roumain à Bois-Verna. Il y a aussi la résidence de Jacques Stephen Alexis, vendue et dénaturée à Bois-Verna, les vestiges coloniaux de la plaine du Cul-de-sac et la vieille cathédrale.
Samuel Celiné
Les photos sont de Samuel Celiné
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