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«Le plus célèbre des archéo-anthropologues français» révèle sa relation avec le vaudou haïtien

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Entretien avec Philippe Charlier

Les travaux du professeur Philippe Charlier sont connus dans le monde entier. Médecin légiste, le professeur Charlier a aussi fait une thèse en anthropologie et une autre en science, autour de questions d’éthique.

Celui que le média français le Point surnomme « le plus célèbre des archéo-anthropologues français » a fait des découvertes qui ont eu des répercussions mondiales.

Il a ainsi pu travailler sur les restes d’Hitler. Le professeur a authentifié le crâne du dictateur, confirmant par là qu’il s’est bien donné la mort en 1945, dans son bunker. Philippe Charlier se dit intéressé au thème de la mort, à ce qu’elle signifie, à son diagnostic.

L’homme aux multiples chapeaux est aussi un initié du Vaudou, plus précisément le Vaudou béninois. Il a consacré plusieurs ouvrages à ce champ d’études, dont l’un sur la zombification en Haïti, titré Zombis : enquête anthropologique sur les morts-vivants. Son dernier livre est sorti en octobre 2020 aux éditions Plon et a pour titre Vaudou : l’homme, la nature et les dieux.

Philippe Charlier a accordé une entrevue à Ayibopost, sur les différences et similitudes entre le Vaudou haïtien et le Vaudou béninois, deux cultures qu’il connaît bien.

Ayibopost : D’où vous vient cet intérêt pour le vaudou?

Philippe Charlier : En anthropologie, j’ai rencontré Luc Brun, qui était mon collègue de travail à l’hôpital. Il est Béninois. Il m’a emmené au Bénin pour y donner des cours d’anthropologie et de médecine. Là j’ai découvert le Vaudou béninois. Je m’y suis intéressé de plus en plus chaque année, et cela a duré plus d’une dizaine d’années. À chaque fois, j’essayais d’en connaître plus, sur le plan anthropologique et aussi humain.

Arrivé un moment, plutôt que de vivre un rituel d’initiation, on m’a proposé d’être initié moi-même. J’ai accepté et c’est ainsi que je suis entré dans le Vaudou. J’ai vécu cette initiation comme une ouverture des yeux, une incorporation de nouvelles connaissances. C’était un nouveau regard porté sur le monde.

Vous êtes déjà venu en Haïti. Qu’avez-vous tiré de vos visites?

J’ai visité Haïti à deux reprises, dans le cadre de travaux de terrain, de missions anthropologiques. À chaque fois, je me suis documenté sur les rituels de mort, les rituels de maladie et notamment sur les zombis. J’ai pu entrer assez en profondeur dans certains rituels et dans des péristyles. J’ai échangé avec des vaudouisants, des hougans, des boko et des mambos. Étant moi-même initié, j’ai pu en saisir les contours, les finesses, le symbolisme peut-être mieux qu’un profane.

Le Vaudou comme une religion n’est ni péjoratif ni mélioratif, c’est un état de fait.

Mon expérience du Vaudou béninois m’a ouvert des portes, et a permis un dialogue franc, direct, et sans tabou. J’avoue que c’était très formateur. J’en ai même écrit un livre sur les zombis, paru quelques années de cela.

Je dois revenir en Haïti en 2021 pour travailler sur le même thème avec Erol Josué, le directeur du Bureau national d’ethnologie.

Le Vaudou est-il une religion? Comment est-il vu ailleurs?

Au Bénin on en parle comme d’une religion. Il est sur un pied d’égalité avec d’autres religions comme le Christianisme du catholicisme romain, le Calvinisme, l’Islam, le Judaïsme ou le Bouddhisme.

Mais cela dépasse la simple religion, c’est une appartenance à une culture, à un territoire. Au Bénin c’est très fort. On y parle de la religion vaudou, mais aussi de la culture vaudou. Chaque religion a sa culture. Dans mes échanges avec Erol Josué le mot religion ne lui posait aucun problème. Le Vaudou comme une religion n’est ni péjoratif ni mélioratif, c’est un état de fait.

Le professeur Philippe Charlier

Quelle est la particularité du Vaudou haïtien? Vient-il du Vaudou béninois?

Le mot vaudou veut dire beaucoup de choses, et il n’y a pas forcément un lien direct entre le Vaudou haïtien et le Vaudou béninois. Lorsque les esclaves pris en Afrique de l’ouest étaient transportés vers les Caraïbes, ils étaient obligés d’apprendre le Christianisme sur le bateau. Cela a donné un syncrétisme religieux symbolique, métaphysique, qui a donné naissance au Vaudou. C’est pareil pour le candomblé brésilien, ou la Santeria de Cuba. Même le Vaudou haïtien à différents courants. Il y a le Dahomey, le Rada, etc.

Tout cela ne vient pas seulement du Bénin, mais de religions traditionnelles qui sont en Afrique de l’ouest. On peut autant retrouver des religions de la République démocratique du Congo, du Mali, du Sénégal, que du Ghana ou du Nigéria.

Si on essaie de dresser un lien comme un arbre généalogique entre les religions de l’Afrique subsaharienne, et les religions syncrétiques de la Caraïbe, de l’Amérique du Sud, de l’Amérique du Nord, cela ressemble à l’arbre évolutif de l’espèce humaine. Toutes les branches interfèrent les unes avec les autres, et cela forme « un joyeux bordel ». Il y a eu beaucoup d’interpénétrations entre ces religions, traditions, et cultes. On peut parfois s’y perdre.

Quelles différences peut-on trouver entre le Vaudou béninois et le Vaudou haïtien?

Des fondamentaux se retrouvent dans les deux. Il y a l’idée qu’il y a un dieu créateur qui ensuite s’est retiré, et qui a laissé le monde avec des focalisations d’énergie sous la forme de vaudou au Bénin, ou loas en Haïti. L’initié peut se tourner vers eux pour essayer d’obtenir une bénédiction, de changer le cours de sa vie. Cela se fait par des cérémonies, avec des autels, des bouteilles, des symboles et des sacrifices. Ces concepts sont communs aux deux religions. Mais le nom des loas, leurs caractéristiques, leurs spécificités, c’est-à-dire ce dont ils ont la charge, varient beaucoup.

D’un courant de Vaudou haïtien à un autre courant, il y a des différences. Et cela même entre le courant haïtien le plus proche du Bénin, qui est le Dahomey, et le Vaudou béninois. Tout simplement parce qu’il y a eu une acculturation chrétienne catholique qui a redistribué les cartes. On retrouve des symboles qui ont un peu changé de sens.

Un initié au Vaudou béninois qui arrive dans un péristyle en Haïti reconnaît deux ou trois petites choses, mais il est vite perdu, car c’est différent.

Les vèvès qu’on trace en Haïti, c’est une tradition qui n’existe pas dans le Vaudou béninois. De même pour les drapeaux. De plus au Bénin on n’adore pas des représentations de saints catholiques.

Lire aussi: Pourquoi de plus en plus de jeunes Haïtiens se convertissent au Vaudou ?

Papa Legba n’a pas exactement les mêmes caractéristiques physiques, morales, que Legba au Bénin. Les prières sont différentes. On ne l’honore pas de la même façon d’un côté ou de l’autre de l’Atlantique. Ce sont des différences notables.

Un initié au Vaudou béninois qui arrive dans un péristyle en Haïti reconnaît deux ou trois petites choses, mais il est vite perdu, car c’est différent. On a des données de base, de mythologie, d’organisation du monde, et de grandes divinités et de rituels, mais tous les détails ne sont pas pareils.

Peut-on dire que le Vaudou haïtien est un point de ralliement, de rencontre pour les autres Vaudous du monde?

Non, on aurait tort de le dire. Sinon le Candomblé, ou la Santeria peuvent le dire aussi. Le Vaudou haïtien est plus un lieu de mémoire. Il fait partie de la culture et de l’histoire d’Haïti. Pour moi, le Vaudou c’est Haïti. Cette nation est née avec le Vaudou. La cérémonie de Bois Caïman, à l’origine de la révolution et de l’indépendance, s’est faite sur fond de Vaudou, avec des rituels magico-religieux.

Est-ce qu’ailleurs aussi, le Vaudou est persécuté?

La religion vaudou est un peu critiquée au Bénin, au Togo, et au Nigeria, mais moins qu’en Haïti ou la tournure est plus violente, voire criminelle. La cabale contre le Vaudou est plus intense en Haïti qu’ailleurs. Ailleurs ce n’est pas le Vaudou qu’on critique, mais c’est la sorcellerie qui existe en marge du Vaudou, comme elle existe en marge de nombreuses autres religions.

Pour moi, le Vaudou c’est Haïti. Cette nation est née avec le Vaudou.

Certaines églises néo-protestantes en Haïti critiquent le Vaudou, brûlent des péristyles. On s’attaque même au site de Bois Caïman en disant que c’est de la sorcellerie, du satanisme. C’est très mal connaître le vaudou. Je pense que c’est une erreur magistrale. Pour moi, cela s’apparente à une guerre de religion doublée d’une guerre économique et culturelle.

Le syncrétisme que l’on observe en Haïti, existe-t-il aussi ailleurs, dans les autres cultures vaudou?

Tout à fait. Je l’ai particulièrement vu au Bénin, et c’est fréquent. Je connais un évêque qui est à l’église le matin et au temple vaudou l’après-midi. On prend l’hostie à midi et deux heures après on sacrifie un poulet. Ce n’est pas incompatible et cela ne choque personne au Bénin.

J’ai des amis vaudouisants qui ont aussi une autre religion. On peut cumuler, mais à mon sens c’est un cumul soit par peur ou par curiosité sincère. Mais on peut se reconnaître dans deux courants philosophiques et religieux.

Jameson Francisque

Journaliste. Éditeur à AyiboPost. Juste un humain qui questionne ses origines, sa place, sa route et sa destination. Surtout sa destination.

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