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La lente renaissance du coton en Haïti

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Il s’agit d’une histoire pleine de rebondissements

Pendant la période coloniale, le coton a été une production phare en Haïti. Dans les années 1980, le pays avoisinait annuellement une production formelle de 2800 tonnes (plus de 6 millions de livres).

Puis, des tracas institutionnels et des difficultés dans la production vont occasionner l’arrêt des plantations pendant une trentaine d’années. De nos jours, une association tente depuis trois ans de ranimer le secteur.

L’initiative dénommée « Alliance des petits exploitants agricoles » (Smallholders Farmers Alliance – SFA) découle d’un accord signé avec Timberland, une compagnie américaine spécialisée notamment dans la production de chaussure.

L’année dernière, la SFA ambitionnait la production d’environ un million de livres de coton brut. Elle n’atteindra que 10 % de cet objectif, à cause des turbulences politiques et des difficultés de production.

« La livre de coton est achetée au prix de 20,50 gourdes chez les petits planteurs qui doivent disposer un quart de leur parcelle de terre pour la production du coton lors de la campagne qui débute dès juillet », confie le directeur exécutif de SFA, l’agronome Timothé Georges. « Le produit raffiné est ensuite vendu à la compagnie Timberland selon les clauses du contrat. »

Une denrée coloniale

L’introduction du coton dans la colonie de Saint-Domingue date de 1735. La production s’est poursuivie pour atteindre sa période florissante sous la présidence de Fabre Nicolas Geffrard (1859 –1867), selon l’historien Georges Michel.

Le coton d’Haïti était caractérisé par une variété indigène, pérenne et résistante. Vers les années 1940, la variété indigène fut frappée par le charançon, un insecte qui ravageait les plantations.

À cause de la baisse de production provoquée par l’invasion de la bestiole, une variété appelée « stonneville » sera introduite dans le pays, révèle l’agronome Rémillot Léveillé. Cette variante allait être gérée plus tard par l’Institut agricole et de développement industriel (IDAI) par l’intermédiaire du Bureau de la production cotonnière (BPC) et la Société d’équipement nationale.

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L’IDAI avait le monopole d’achat des cotons stonneville en Haïti. La production était rassemblée dans des postes d’achats placés à des zones stratégiques (Gonaïves, Plateau Central), connues pour leurs productivités en coton. L’institution étatique était aussi responsable de la transformation et de la commercialisation du coton en Haïti dont la récolte de 1981 avoisinait les 2800 tonnes.

L’IDAI a été principalement financé par la banque interaméricaine, raconte, l’agronome Rémillot Léveillé. « Un Crédit Agricole était alloué aux paysans. Leurs lopins de terre étaient aménagés avec les matériels de l’institution pour la production du coton en quantité suffisante en Haïti. »

L’organisme fermera ses portes en 1987, à cause de changements politiques selon les dires de l’agronome Léveillé qui a occupé à deux reprises le poste de ministre de l’Agriculture en Haïti.

Cela dit, l’absence de marché pour l’écoulement du coton a poussé les planteurs de l’époque à abandonner le produit, analyse l’ancien ministre. « Quant aux industries locales, elles ne pouvaient pas acheter en quantité suffisante », fait savoir l’agronome qui explique aussi la chute du prix de la livre du coton en Haïti durant cette période.

Pour de nouvelles plantations de coton

Après sa quasi-disparition de la scène commerciale et industrielle pendant les dernières décennies, le coton réapparaît lentement dans les jardins du pays.

La compagnie Timberland sponsorisait depuis 2012 le projet agroforestier « SFA ». Ce projet travaille essentiellement avec les planteurs pour le reboisement du pays. À la fin du contrat en 2017, la compagnie Timberland a choisi de devenir client de la SFA au lieu d’être son sponsor.

Par suite de cette demande, SFA décide de mener une étude sur les plantations de coton en Haïti. Elle identifie 12 variétés, dont deux variantes de coton indigènes. Après l’analyse, « une expérience fut menée avec succès avec des variétés de coton du Texas implanté en Haïti », confie le directeur exécutif de la SFA, l’agronome Timothé Georges.

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À cause des turbulences politiques de l’année 2019, SFA n’a pas pu produire les 954 000 livres de coton brut souhaité. L’entreprise a fourni environ 98 000 livres, ce qui équivaut, après raffinement, à 29 000 livres de fibre de coton organique — sans la présence de produits chimiques dans la production.

« Le coton Texas implanté en Haïti est une variété annuelle à cycle court (six mois) qui occupe le sol de juillet à janvier. Après la période de production, les paysans sont invités à cultiver en rotation d’autres produits sur leurs lopins de terre », précise le cofondateur de SFA ajoutant que les variétés de coton indigènes n’offrent pas ces possibilités vues qu’elles sont pérennes.

Des conséquences économiques graves

Le coton produit en Haïti n’est pas utilisé localement. Des fibres de cotons sont d’ailleurs importées pour les besoins médicaux, entre autres. Du coup, Haïti qui était jadis exportateur de coton est devenu importateur pour satisfaire sa demande nationale.

La pénurie dans la production de coton en Haïti avait engendré la chute des industries textiles en Haïti. Pour Georges Sassine, président de l’association des industries d’Haïti (ADIH), le secteur textile repose sur la production du coton. Devenu fibre, le coton subit des modifications avant d’être transformé en tissus puis en vêtements.

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« Dans le temps, nous avions de vraies industries de textiles représentées par les usines de Brandt et Maxène », dit-il. Tous les éléments du coton étaient transformés en Haïti, poursuit le président de l’ADIH. « Le pays utilisait et fabriquait de l’huile de coton pour la nourriture. La patte restante de la graine de coton transformé en huile était utilisée comme ration alimentaire pour les animaux », fait savoir monsieur Sassine.

Selon les dires de l’entrepreneur, les industries actuelles en Haïti représentent le dernier maillon de la chaîne des industries textiles. « Nos industries reçoivent des toiles de la part des fournisseurs [étrangers] pour la fabrication des vêtements », explique Sassine qui déplore les conditions sociales et économiques qui retardent le développement du pays.

Autant de défis

Les difficultés liées à la relance du coton en Haïti sont nombreuses. Le directeur exécutif de la SFA se plaint de l’absence de cadres formés sur le coton dans le pays. « Le processus de production est pénible et marqué surtout pour un manque de compétence pour manœuvrer les outils de production », dit l’agronome Timothé Georges.

Cette carence est due à un manque de formation dans les facultés d’agronomie du pays. Le directeur de la protection végétale du département Nord du pays, l’agronome Emmanuel Jean Louis, explique n’avoir pas suivi un cours sur la culture du coton en Haïti durant son parcours académique (2007-2012) à la Faculté d’agronomie et de médecine vétérinaire (FAMV).

Jean Louis croit qu’Haïti peut construire sa renommée à partir de la culture du coton. « Il suffit de rendre les planteurs conscients de l’importance de leurs produits et de ce qu’ils peuvent gagner vue l’importance de la filière ».

Timberland serait intéressée à acheter en Haïti un quart des cotons utilisés dans ses compagnies.

Emmanuel Moïse Yves

Journaliste à AyiboPost. Communicateur social. Je suis un passionnné de l'histoire, plus particulièrement celle d'Haïti. Ma plume reste à votre disposition puisque je pratique le journalisme pour le rendre utile à la communauté.

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