Haïti demeure un territoire stratégique pour les Américains. Toute politique haïtienne en faveur du Kremlin considéré comme l’ennemi des Yankees risque d’occasionner un bras de fer diplomatique duquel Jovenel Moise sortira perdant, très certainement
Le maelstrom politique et social haïtien vient d’attirer un nouvel acteur international. Le 12 mars dernier, le ministère des affaires étrangères russe offrait sur Twitter son aide au gouvernement haïtien pour rétablir la stabilité politique et maintenir la sécurité intérieure… ».
Cette intrusion ouverte dans l’affaire haïtienne survient en marge d’une opération catastrophique de la police nationale d’Haïti le même jour au Village de Dieu afin de déloger les bandits de la zone. Les membres de gangs ont tué plusieurs policiers après avoir pris le contrôle d’un des chars de l’opération.
Lors d’une conférence de presse subséquente, la porte-parole du Ministère des affaires étrangères russe, Maria Zakharova, a indexé les États-Unis, « le voisin du nord d’Haïti qui se dit l’État le plus démocratique du monde » dans le malheur des Haïtiens.
Cette réaction de la Russie vient à un moment où le nouveau président américain Joseph Biden ne ménage pas ses mots envers le dirigeant russe Vladimir Poutine qu’il qualifie de tueur.
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Aux dires de l’éditorialiste, Marcus Garcia, la Russie ne fait qu’utiliser la situation d’Haïti dans le cadre de sa « rivalité » avec les Américains.
Contactée, l’ambassade des États-Unis en Haïti a évité de répondre aux questions portant sur la Russie.
« Nous prévoyons une aide supplémentaire du gouvernement américain pour améliorer la capacité de la PNH à relever le défi que pose le problème des gangs et nous encourageons les membres du Core Group et les principaux partenaires internationaux à réfléchir sur la manière dont ils pourraient contribuer à lutter contre l’insécurité en Haïti », lit-on dans une note transférée à AyiboPost.
L’administration haïtienne n’a pas répondu publiquement à l’offre russe. Les tentatives d’AyiboPost pour obtenir la position de l’État ont été vaines.
Cependant, Jovenel Moïse a indiqué sur Twitter sa volonté de se tourner de préférence vers les alliés traditionnels du pays. Plusieurs Tweets actent des demandes d’aide à l’Organisation des États américains en faveur de la PNH, et une requête de support technique et logistique auprès de l’ONU afin de « combattre le banditisme en Haïti et renforcer le programme de réduction de la pauvreté ».
Un combat sur le temps long
Ce n’est pas la première fois que les États-Unis et la Russie s’affrontent dans la région de l’Amérique latine et des Caraïbes.
Au mois de mars 2019, la Russie prend la décision d’envoyer deux avions militaires russes, des soldats et des matériels pour soutenir le régime de Nicolas Maduro au Venezuela. À l’époque, les Américains dirigés par Donald Trump soutenaient l’opposant acclamé comme président du pays de Chavez, Juan Gaido.
En 1960, un rapprochement diplomatique et commercial entre Cuba et l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), devenu la Russie par la suite, avait occasionné des relations tendues entre Cuba et les États-Unis.
En 1961, les États-Unis soutiennent une opération échouée d’exilés cubains entrainés par la CIA qui voulaient envahir Cuba et renverser le régime de Fidel Castro.
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Un an plus tard, des missiles de l’URSS installées à Cuba et pointées vers les États-Unis ont failli mener les deux pays au cœur d’une guerre nucléaire. Toute cette période est qualifiée de guerre froide par les historiens. Elle prend place à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, et oppose les États-Unis et ses alliés d’un côté, l’URSS et ses États satellites de l’autre. Cette guerre prend fin avec la dislocation de l’URSS au début des années 1990.
Les deux belligérants signent un accord en 1994 qui prévoyait une dénucléarisation des anciens pays faisant partie de l’Union soviétique. Les États-Unis avaient pour obligation de ne pas encourager ces pays à faire partie de l’Organisation du traité atlantique nord (OTAN), composé de territoires soudés militairement face aux russes.
Cependant, les pays de l’OTAN ont « profité de la faiblesse des Russes » depuis la guerre froide pour piétiner l’accord, rapporte l’éditorialiste Daly Valet. Depuis, les tensions des deux côtés occasionnent des rivalités géopolitiques, idéologiques et économiques partout dans le monde.
Des appels mille fois renouvelés
Depuis le règne du roi Henri 1er dans le nord qui a entrepris des relations diplomatiques avec le tsar de Russie, Alexandre 1er, aucun dirigeant haïtien, à part René Garcia Préval lors de son premier mandat, n’a entretenu des relations extensives avec les Russes, par révérence pour les Américains, rappelle l’historien Georges Michel.
Le désintérêt du côté haïtien ne faiblit pas l’engouement des Russes. Des dizaines d’étudiants haïtiens étudient aujourd’hui en Russie. C’est aussi ce qui explique la participation de la Russie à la Mission des Nations-Unies pour la Stabilisation en Haïti (MINUSTAH), selon Georges Michel.
L’opposant politique, Moïse Jean Charles dénonce la « soumission des hommes politiques haïtiens aux caprices des Américains. » Il révèle qu’en 2014, lorsqu’il a été sénateur de la République, les Russes avaient proposé un accord bilatéral aux autorités haïtiennes.
Le jour fixé par le président du Sénat d’alors Joseph Lambert, pour le vote de cet accord, 95 % des sénateurs, dont le sénateur Youri Latortue, ont brillé par leur absence, dit Moïse Jean Charles.
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L’accord prévoyait : « des bourses d’études pour des jeunes haïtiens en Russie, la dotation de matériels pouvant servir à faire face aux désastres naturels, la formation, l’équipement et l’encadrement des policiers haïtiens et l’exploitation des mines du pays. »
Trois ans après, le ministre des Affaires étrangères de la Russie avait écrit aux autorités haïtiennes les sollicitant une rencontre en marge de l’Assemblée générale des Nations-Unies, afin de discuter des possibilités de coopération. Cette rencontre n’a pas eu lieu.
Le 10 août 2019, l’ambassadeur russe pour la région était en Haïti pour convaincre les autorités haïtiennes sur l’accord de 2014, selon Moïse Jean Charles. Une fois de plus, la Russie a fait fausse route.
Vive la dictature russe ?
Pour certains commentateurs politiques et des personnalités politiques comme Moïse Jean Charles qui dénoncent les dérives dictatoriales et se positionnent pour la démocratie, Haïti a grand intérêt à se positionner aux côtés de la Russie.
Pourtant, la dictature qu’ils dénoncent prend chair en Russie. Au pouvoir depuis l’année 2000 — avec une pause entre 2008 et 2012 avec Dmitri Medvedev — Vladimir Poutine, vient, au cours de l’année 2020, d’opérer un changement de constitution, via référendum afin de pouvoir briguer deux autres mandats à la tête de la Russie.
Pour se maintenir au pouvoir, l’homme fort use de méthodes pas tout à fait démocratiques. En août 2020, il aurait tenté d’empoisonner le chef de l’opposition Alexeï Navalny. Revenu dans son pays, après sa sortie d’hôpital en Allemagne, Navalny est condamné à deux ans et demi de prison en février dernier.
En 2000, un ancien agent secret russe, Alexandre Litvinenko a fait des révélations compromettantes sur le président Vladimir Poutine. Il a fui la Russie, mais a rendu l’âme en 2006 à la suite d’un empoisonnement au polonium 210.
Ces genres d’actions attisent les tensions entre la Russie et les pays occidentaux qui multiplient des sanctions contre le pays.
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La Russie ne fait que profiter d’un « timing » caractérisé par des questionnements de certains citoyens haïtiens quant à la politique étrangère des pays occidentaux dans le pays, pour tenter de se positionner sur le terrain, analyse le politologue Jean Ronald Joseph.
Lors des dernières manifestations visant à dénoncer les velléités dictatoriales du président Jovenel Moïse, certains manifestants ont arboré le drapeau russe, comme pour défier les Américains qui soutiennent le pouvoir de Jovenel Moise.
Selon Jean Ronald Joseph, sortir du joug d’une puissance pour se mettre sous la tutelle d’une autre, ne changera pas la réalité du pays.
L’essentiel est de défendre l’intérêt du pays dans ce conflit latent entre puissances étrangères. Sinon, « on risque de revivre les mêmes expériences de coopérations faites avec les pays occidentaux » conclut l’expert.
Samuel Celiné
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