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Entre Haïti et le Venezuela, une longue histoire d’intérêts et de trahisons

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Haïti abandonne le Venezuela en votant la résolution du Conseil Permanent de l’Organisation des États américains « ne reconnaissant pas la légitimité du nouveau mandat de Nicolas Maduro à compter du 10 janvier 2019 ». Plongeon au cœur d’une relation diplomatique rythmée par la pression des grandes puissances

Le 10 janvier 2019, lors d’une réunion à Washington, Haïti a choisi de voter en faveur de la résolution du Conseil Permanent de l’Organisation des États américains qui dit « ne pas reconnaitre la légitimité du nouveau mandat de Nicolas Maduro à compter du 10 janvier 2019 ».

Le jeudi 5 décembre 2019, les dirigeants haïtiens approuvent un énième coup au régime de Caracas en votant des sanctions contre le président vénézuélien Nicolas Maduro et 20 autres personnalités du régime. Ce coup, Haïti la porte à Maduro au nom du Traité interaméricain d’Assistance réciproque (TIAR) explique le président haïtien Jovenel Moïse qui dit « vouloir soutenir le peuple vénézuélien et non le régime de Maduro ».

Les réactions

Ces décisions du pouvoir de Jovenel Moïse enflamment certains politiciens de l’opposition qui crient : « Trahison ».

Lors d’un récent voyage au Venezuela, le leader de la plateforme « Pitit Desalin », Moïse Jean Charles s’était fait remarquer en demandant pardon au régime de Nicolas Maduro, après la dernière décision du gouvernement haïtien de restreindre le déplacement des dirigeants de Caracas dans la région.

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Le député Sinal Bertrand qui dit avoir avec lui, un groupe de députés se réclamant de la gauche est monté en ligne pour dénoncer cette position du pouvoir. Sinal Bertrand indique que « le vote contre le Venezuela n’est pas celui du pays, mais celui du président Jovenel Moïse et de ses alliés ». Le député estime que le pays ne saurait en aucun cas trahir les liens historiques existant entre les deux pays.

Selon Sinal Bertrand, « l’avenir d’Haïti n’est pas du côté des Américains, mais à côté des pays comme le Venezuela, Cuba, La Chine et La Russie ». « C’est cette ligne qui peut nous apporter une vie meilleure », soutient le député de Port-Salut qui se tourne déjà vers une idéologie de gauche. Déjà, il parle d’ouvrir un centre pour former, en partenariat avec Cuba et Venezuela, des jeunes à cette idéologie de gauche, dans le cadre « d’une promotion ».

La loi du plus fort

Cette poussée vers la gauche ne tient pas debout, affirme l’historien Georges Michel. Selon lui, « c’est Donald Trump qui a demandé à Jovenel Moïse de voter contre Maduro », et ce, depuis l’année 2017. Il confie que le président haïtien avait longtemps résisté aux pressions américaines avant de lâcher prise en 2019. Aux dires de Georges Michel, contrairement à Obama qui s’était contenté d’une simple abstention d’Haïti, l’administration Trump avait clairement expliqué aux dirigeants haïtiens que « l’abstention ne suffit pas » et qu’il faut voter désormais contre Maduro.

C’est pour cela que le gouvernement haïtien a choisi de lâcher Nicolas Maduro, estime Georges Michel, arguant que « personne ne résiste aux Américains surtout lorsqu’on est un pays faible et corrompu comme Haïti ».

Une nouvelle fois, le rapport de force contraint les deux Républiques, soudées depuis leurs fondations, à trahir leurs liens d’amitié qui remontent au XIXe siècle.

Une longue histoire de coopération et de trahison

Selon l’historien Georges Michel, parler de la relation diplomatique entre Haïti et le Venezuela renvoie automatiquement à mars 1806 lorsque l’empereur Jacques 1er a fait don d’un stock de drapeaux bleu et rouge à Miranda qui luttait alors pour la libération de la grande Colombie, c’est-à-dire, l’actuel Venezuela, La Colombie, l’Équateur et la Bolivie. C’est sur la place de la douane de Jacmel que Miranda décide d’accoler le jaune au drapeau haïtien pour obtenir les couleurs auxquelles on reconnait aujourd’hui le Venezuela.

Après l’emprisonnement de Miranda en Espagne, Simon Bolivar prend le flambeau de la mobilisation visant à chasser les Espagnols de l’Amérique du Sud. Vaincu, il se sauve du continent, rejoint Haïti le 24 décembre 1815 et rencontre le président Alexandre Pétion à Port-au-Prince le 2 janvier 1816.

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Dans leur tête-à-tête, Pétion décide de l’aider à rentrer en grande Colombie, à partir de la ville des Cayes, pour continuer la bataille contre les Espagnols. Pour une deuxième fois, Simon Bolivar est vaincu et remet le cap vers Haïti en juillet 1816 où, à Jacmel, dans une maison allouée par l’État haïtien à côté du marché public de la ville, il passa environ six mois. Le terrain servant l’actuel aéroport de Jacmel a été aussi mis à disposition de Simon Bolivar pour son entraînement alors que sa sœur Joana Bolivar habitait dans une propriété de Pétion à Port-au-Prince.

Fin décembre 1816, Simon Bolivar laisse Haïti pour continuer sa lutte contre les Espagnols jusqu’à la victoire.

Malgré le rôle joué par Haïti dans la bataille pour l’indépendance de la grande Colombie, elle n’a pas osé reconnaitre l’indépendance d’Haïti, sa bienfaitrice. En effet, la jeune république, malgré les rapports informels qu’elle entretenait avec la première république noire, n’avait pas le courage de tenir tête à la France. Cette ancienne métropole a attendu jusqu’en 1825 pour reconnaitre l’indépendance des nègres qui ont mis en déroute l’armée napoléonienne. Une fois l’indépendance du pays reconnue par la France, la grande Colombie lui a tout de suite emboîté le pas. Depuis lors, une relation heureuse suit son cours, malgré une cassure dans la deuxième moitié du 19e siècle.

Immigration

Dans la première moitié du 20e siècle, un couloir d’immigration s’ouvre entre Haïti et le Venezuela. Ainsi, Georges Michel retient les noms de quelques familles haïtiennes qui se sont établies au pays de Chavez. Il cite : « Darlampre, René Godfoy et le père Jacques Clermont » qui représentaient la diaspora haïtienne au Venezuela.

Toutefois, lorsque l’ancien dictateur vénézuélien Marcos Perez Imenes est chassé du pouvoir en 1958 pour faire place à la démocratie, la diaspora haïtienne prend une douche froide. Le nouveau président vénézuélien Romulo Betancourt, en défenseur de la démocratie déclare son aversion pour les dictateurs comme Duvalier en Haïti et Trujillo en République dominicaine. Betancourt a tenté, sans succès, de renverser François Duvalier qu’il qualifie de honte pour l’Amérique. Vexé de ce tournant, le dictateur haïtien décide, en 1963, de rompre les relations diplomatiques avec le Venezuela. Après environ 10 années de gel, les relations diplomatiques sont reprises en 1977.

PetroCaribe

En 2008, les relations entre les deux pays connaissent leur âge d’or avec l’arrivée au pouvoir du président Hugo Chavez. Désireux de montrer la reconnaissance du peuple vénézuélien envers Haïti, Hugo Chavez a fait un don de trois centrales électriques installées au Cap-Haïtien, aux Gonaïves et à Port-au-Prince. C’est ce même Chavez qui a intégré Haïti au programme PetroCaribe qui devait servir à développer le pays grâce à un prêt d’environ 4 milliards de dollars américains.

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Georges Michel se mord les doigts quand il lui faut parler de la manne Petro Caribe qui, loin de servir le peuple haïtien, a été détournée au profit des politiciens qui se sont succédé de 2008 à 2016. Pour Georges Michel, l’aéroport des Cayes, est l’exemple type de cette vaste opération de détournement. Selon lui, la totalité de la somme qui devait servir à la construction de cet aéroport a été décaissée. Cependant, en 2019 encore, les travaux sont au point mort dans l’indifférence des institutions qui devraient en garantir la bonne gestion.

L’historien s’insurge aussi contre ceux qui aujourd’hui demandent « Kot kòb Petwo Karibe a ? » alors qu’ils étaient là, à assister passivement à la dilapidation de ces milliards. 

Photo couverture: L’ancien président d’Haiti, Michel Martelly et l’actuel président du Venezuela, Nicolas Maduro.

Poète dans l'âme, journaliste par amour et travailleur social par besoin, Samuel Celiné s'intéresse aux enquêtes journalistiques.

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