« Le Président du Sénat, M. Joseph Lambert, invite les journalistes désireux de couvrir le départ pour les Etats-Unis du Sénateur Nawoon Marcellus, à l’aéroport international Toussaint Louverture au salon diplomatique à 1 h pm ce 21 mars. M. Marcellus a fait un accident cérebro-vasculaire (ACV) hier soir au cours d’une séance au parlement. »
Ce message a été partagé dans un groupe WhatsApp réunissant des journalistes de différents médias. La surprise une fois passée, les commentaires ont été unanimes quant à l’inutilité et le non-sens d’une telle invitation. Mais au-delà du ridicule, loin de tuer certains honorables, de plus grandes préoccupations doivent être soulignées.
D’abord les faits
Nawoon Marcellus, premier sénateur du Nord, a été victime mardi soir d’une hémiplégie droite (paralysie du côté droit de son corps) en pleine séance au Parlement. Il a sollicité la parole mais a été incapable de prononcer le moindre mot. Le sénateur Dumont (Ouest) a été le premier à se rendre compte que son collègue n’était pas en train de mesurer ses mots. Le sénateur-médecin Carl Murat Cantave (Artibonite), tout près, mettra un peu plus de temps pour comprendre ce qui se passe.
Le président du sénat, Joseph Lambert, avait lui aussi rapidement reconnu les signes de l’accident vasculaire cérébral à l’origine de l’hémiplégie. Le « men anpil chay pa lou » ayant toujours fait ses preuves, plusieurs sénateurs ont accouru et ont porté leur collègue tant bien que mal jusqu’à la sortie. Déjà, on ne comprend pas qu’aucune équipe médicale d’urgence n’ait pu intervenir pour aider le sénateur. Pourquoi le service d’infirmerie n’était pas en fonction alors que les « élus » de la nation étaient « sérieusement » penchés sur les affaires d’État ? Le public saura un peu plus tard que Nawoon Marcellus a reçu ses premiers soins à l’hôpital Bernard Mevs, ou le président Jovenel Moïse lui a rendu visite après avoir appris la nouvelle avec « douleur ». Trêve de rappels.
La solution en billets verts
Pour ceux qui ont visionné la vidéo, ils ont sûrement entendu le sénateur Cantave lancé un « lopital jeneral » à plusieurs reprises. Le sénateur du Nord n’y a pas été transporté. Aujourd’hui Honorable, Nawoon Marcellus possède un passeport diplomatique qui lui donne accès aux meilleurs hôpitaux du monde. Sans compter les 19 000 dollars, toujours américains, qui peuvent être rapidement mis à disposition pour payer les frais de l’avion-ambulance venu des Etats-Unis. A l’heure actuelle, le sénateur reçoit les soins de spécialistes, confortablement installé dans une chambre aseptisée de la Jackson Memorial Hospital de Miami. Pas de grèves de médecins (ils sont régulièrement payés), pas de panne de courant, les scanners ne manquent pas ni les intrants de base (piqure, gants). Il n’y a peut-être pas lieu de s’inquiéter du prompt rétablissement du sénateur…
Préval, Martelly, Jean-Charles avant Marcellus
Nawoon Marcellus est la dernière personnalité en date à prendre l’avion pour se faire soigner en urgence. Mais il n’est pas le premier. Quelques-uns de nos chefs d’État et hommes politiques ont également adopté cette pratique. C’était le cas du feu président René Préval. Il avait été diagnostiqué d’un cancer de la prostate en 2001. En décembre 2006, il effectuait deux voyages à Cuba pour suivre un traitement ; son premier séjour dure quatre jours. En avril 2012, c’était le tour de Martelly de quitter Haiti précipitamment pour se rendre à Miami. Il devait se faire opérer d’une embolie pulmonaire. Moïse Jean Charles, lui, est parti à Cuba en novembre 2017 se faire soigner d’une infection à l’oreille. Préval avait choisi de se faire opérer à Cuba : d’excellents soins à un moindre coût ; tandis que Martelly avait choisi les Etats-Unis : d’excellents soins à un coût élevé. Dans les deux cas, les deux hommes d’État ont préféré mettre toutes les chances de leur côté.
Qu’en est-il des 10, 999, 997 autres illustres inconnus ?
René Préval, Michel Martelly, Moïse Jean-Charles ou Nawoon Marcellus ne représentent qu’une infime partie de la population haïtienne. Leur statut de personnalités a pourtant permis à chaque fois qu’ils échappent, de justesse ou non, à la mort. Ces mêmes hommes à qui le peuple a remis son destin pour qu’il ne crève pas comme des indigents sur un banc d’hôpital. Pour que le centre de dialyse de l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti fonctionne à plein régime. Ou pour qu’un vieux de 65 ans ne soit pas obligé de dépenser ses dernières économies en clinique privée pour se faire opérer de sa cataracte. Lui aussi veut mettre toutes les chances de son côté, cette fois, car il a déjà perdu un œil après s’être fait opérer dans un établissement public.
L’éléphant blanc aux Gonaïves (écouter la bande son) est peut-être la plus grande preuve de la mauvaise foi ou de l’inexistence d’une véritable politique de santé des dirigeants haïtiens. La facilité avec laquelle ils peuvent recevoir des soins ailleurs n’est probablement pas étranger à cet état de fait. Difficile de croire aussi que les membres de leur famille – en quête de meilleurs soins – sont parmi ceux qui se font refouler sur la frontière dominicaine.
Les centres Médecins sans frontières ont été depuis le 12 janvier le patch qui empêchait au vase de déborder jusqu’ici. Leur fermeture imminente ne manquera pas d’impacter une situation déjà catastrophique. Alors que des gens de la société civile parlent de construire un nouveau centre hospitalier – une noble ambition –, ne devraient-ils pas exiger également une meilleure gestion des hôpitaux qui existent déjà ?
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