La justice tarde encore à faire lumière sur ce dossier ainsi que plusieurs autres cas de corruption enregistrés ces dernières années
Une demi-douzaine d’institutions étatiques se trouvent épinglées pour mauvaises dépenses dans le cadre de la lutte contre le Covid-19, selon un premier rapport d’audit de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux administratif (CSCCA) publié le 8 juin 2022.
En moins d’un an, la somme de 9,22 milliards de gourdes – plus de 70 millions de dollars américains – a été décaissée par le gouvernement du Premier ministre Joseph Jouthe pendant la présidence de Jovenel Moïse afin de prendre des mesures pour faire face à la crise sanitaire.
Plus de cinq milliards de gourdes dépensées affichent des anomalies comme la non-justification des coûts, des doutes sur la réalité du service fourni ainsi que des problèmes dans l’exactitude des sommes mises en paiement, selon la CSCCA.
L’institution avec la plus forte dépense, le ministère de la Santé publique et de la population (MSPP), échoue à fournir des explications convaincantes pour près de deux milliards de gourdes allouées par l’État dans la lutte contre la pandémie.
Au mois de mars 2024, la justice tarde encore à avancer dans ce dossier ainsi que plusieurs autres cas de corruptions potentielles enregistrés au moins depuis le tremblement de terre de 2010.
Selon des spécialistes, la CSCCA doit émettre des arrêts de débets contre la gestion calamiteuse des responsables impliqués.
«La cour finira par rendre ces arrêts» indispensables pour poursuivre les auteurs d’infractions comme le détournement de biens publics ou le vol qui peuvent être constatés dans la gestion du fonds, analyse à AyiboPost Me Samuel Madistin, président de la Fondation Je Klere.
La CSCCA doit émettre des arrêts débets contre la gestion calamiteuse des responsables impliqués.
Cependant, cette procédure n’est pas nécessaire s’il est constaté des infractions de corruption comme le «pot-de-vin, l’enrichissement illicite, la surfacturation, le délit d’initié, le favoritisme, la prise illégale d’intérêt alors», souligne Me Madistin. «Car, continue l’avocat, ces infractions ne nécessitent pas d’autorisation préalable pour engager une poursuite pénale.»
Le gouvernement de l’ancien premier ministre Joseph Jouthe avait déclaré «l’état d’urgence» sanitaire sur le territoire national après l’introduction du Covid-19 en Haïti au début de l’année 2020.
Selon des spécialistes, «l’état d’urgence» prévue par la constitution du 29 mars 1987 amendée et la loi du 15 avril 2010 sur l’état d’urgence favorise la corruption parce qu’il permet d’effectuer des dépenses rapidement, sans passer par les procédures normales.
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D’après l’audit de la CSCCA, quasiment toutes les institutions publiques impliquées dans la gestion de ces fonds – ministères et autres organismes de l’État – sont concernées par les anomalies parfois très graves.
Le Fonds d’Assistance économique et sociale (FAES) est la deuxième institution derrière le MSPP à avoir dépensé le plus d’argent durant le Covid-19.
Impliqué par le passé dans plusieurs scandales de corruption, cet organisme autonome doit normalement accompagner le gouvernement dans sa stratégie de lutte contre la pauvreté.
Le FAES avait donc reçu 2,3 milliards de gourdes dans le cadre de la lutte contre le Covid-19, selon un rapport du Ministère de l’Économie et des Finances.
46 millions de gourdes de dépenses présentent des pièces justificatives insuffisantes et 24 millions affichent des justifications irrégulières, selon la Cour.
Dans ce dossier, FAES devait octroyer une compensation pour perte de revenus aux ouvriers du Parc Industriel de la Société des parcs industriels (SONAPI), accorder une assistance financière à des ménages à travers le service MonCash de la Digicel et distribuer des kits alimentaires.
65 % des kits ont pratiquement été détournés, selon la CSCCA.
Le FAES a dépensé plus de 983 millions de gourdes pour effectuer les transferts MonCash. Des doutes persistent sur comment cet argent a été distribué.
L’institution entendait identifier et enregistrer les bénéficiaires en insécurité alimentaire en utilisant le système d’information du ministère des Affaires sociales et du Travail (SIMAST).
Cependant, au moment de la conception du projet, les informations se rapportant à la sélection des bénéficiaires de la prestation étaient assez vagues, sans distribution géographique des bénéficiaires par département et par communes avec la méthode et les critères de sélection à l’appui.
SIMAST couvrait à peine quatre communes du département du Sud-Est et les données n’étaient pas actualisées.
Le FAES a dépensé plus de 983 millions de gourdes pour effectuer les transferts MonCash. Des doutes persistent sur comment cet argent a été distribué.
Selon les responsables de Digicel contactés par AyiboPost, la compagnie – qui n’avait tiré aucun bénéfice des transferts – n’était pas impliquée «ni de près, ni de loin» dans le choix des bénéficiaires.
L’équipe MonCash avait reçu des demandes totalisant un milliard de gourdes pour payer 327 000 personnes, selon les révélations de Gerard Laborde, responsable de la section juridique de Digicel.
«98 % de ces paiements ont été complétés avec succès», rapporte Laborde à AyiboPost. «À la demande du FAES, nous avons alors restitué les 2 % restants des fonds qui n’avaient pas été décaissés », souligne-t-il.
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L’audit de la CSCCA soulève d’autres questions.
Par exemple, d’après la Cour, certaines personnes sélectionnées pour ce programme «n’avaient même pas un compte MonCash», ce qui aurait «élevé le taux d’échec de transfert».
L’institution dit avoir dépensé 202 des 203 millions de gourdes allouées à la subvention des ouvriers des usines textiles en chômage partiel à cause du Covid-19, à raison de 3 750 gourdes pour 53 906 ouvriers.
Contacté par AyiboPost, Georges B. Sassine, porte-parole de l’Association des Industries d’Haïti (ADIH) déclare que les usines avaient été payées supplémentairement par le gouvernement Jouthe-Moïse pour fabriquer vingt millions de masques.
Sassine n’a pas communiqué le montant reçu par les usines pour la fabrication de ces masques ni si elles ont toutes été délivrées.
Pour plus d’informations sur ce dossier, le porte-parole a demandé à AyiboPost de contacter la directrice exécutive de l’ADIH.
Sassine n’a pas communiqué le montant reçu par les usines pour la fabrication de ces masques ni si elles ont toutes été délivrées.
Jointe via WhatsApp, la Directrice exécutive de la structure, Sophia Riboul, n’a pas fourni plus d’explications.
«L’ADIH ne compte pas donner d’entrevue par rapport à cette subvention », a-t-elle répondu à AyiboPost, précisant que l’institution n’a été qu’un « intermédiaire d’informations entre le Gouvernement et les membres du secteur textile ».
Contacté à deux reprises, l’ancien Directeur de FAES, Charles Ernest Chatelier, n’a pas voulu donner d’interview. Il a évoqué un problème de santé.
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L’économiste Etzer Émile voit dans ces dépenses une « culture de gaspillage et de corruption » liée, selon lui, au « problème de reddition de compte » dans le pays.
Plusieurs des autres institutions impliquées dans ce dossier se sont rendues coupables de versement à des entreprises, malgré un avis défavorable des autorités légales, d’achats libellés en dollars, ce qui reste illégal, sans compter les dépenses non autorisées et non justifiées dans un contexte d’opacité presque totale sur les dépenses publiques.
Selon l’avocat spécialisé en droit pénal Me Frantz Gabriel Nerette, le rapport de la CSCCA sera un document clé lors de l’étude du dossier de décharge des ministres ou directeurs généraux des institutions publiques indexées.
«La mauvaise gestion suppose des dépenses mal documentées, mais pas forcément un détournement de fonds publics», analyse le spécialiste. «Des audits complémentaires pour chaque ordonnateur doivent être réalisés», continue Nerette.
«Mais comme pour PetroCaribe, ces audits complémentaires tardent encore», fait remarquer Me Samuel Madistin.
Par Fenel Pélissier
Rony Célicourt a participé à cet article.
Image de couverture éditée par AyiboPost illustrant la suspicion de cas de corruption dans les dépenses liées au Covid-19 en Haïti.
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