SOCIÉTÉ

Huile, sucre, sel…, ces excès alimentaires qui tuent en Haïti

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L’haïtien mange trop salé, trop sucré et beaucoup trop d’huile. Ce régime alimentaire doit changer, alertent des spécialistes en nutrition

Elise Hernanttia Murielle A. Seide se compte parmi les passionnés de poulets importés et des boissons gazeuses.

Lorsque son petit ami est assassiné en mars dernier, elle a commencé à ressentir des étourdissements, un mal de tête à répétition, des vomissements, des palpitations et des problèmes gastriques.

Des tests sortis en juillet 2022 révèlent son statut de diabétique en stade avancé, bien qu’aucun membre de sa famille n’ait eu à souffrir de la maladie.

Des études démontrent que le diabète se déclenche souvent chez les amants de la « malbouffe » faite de boissons gazeuses, des frites et chips, du sucre et du riz blanc.

…des étourdissements, un mal de tête à répétition, des vomissements, des palpitations et des problèmes gastriques.

Parce qu’ils sont faciles à digérer, ces aliments enclenchent une augmentation du niveau de sucre et d’insuline dans l’organisme, ce qui peut déclencher le diabète de type 2 diagnostiqué chez Seide.

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Cette jeune femme de 22 ans n’est pas un cas unique. Selon des données datant de 2021 de la Banque Mondiale, la prévalence du diabète parmi la population haïtienne de 20 à 79 ans est de 8,9 %.

Une enquête réalisée par la Fondation haïtienne de diabète et de maladies cardiovasculaires (FHADIMAC) en 2003 dans la région métropolitaine révèle que plus de 7 % des gens de plus de vingt ans souffrent de diabète.

Cette jeune femme de 22 ans n’est pas un cas unique.

En réalité, les citoyens du pays mangent mal. La consommation locale est trop riche en sel, sucre et graisse, ce qui engendre des maladies.

Selon les données de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), les adultes devraient consommer moins de 2000 mg de sodium, soit 5 grammes de sel par jour. En Haïti, la consommation journalière atteint les 30 à 35 grammes par jour — six fois plus la dose recommandée, selon les spécialistes.

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Ces excès exposent les gens à un risque d’hypertension artérielle, ce qui augmente les cas de cardiopathies et les accidents vasculaires cérébraux, selon l’OMS.

« Il est fort probable qu’une consommation élevée des cubes de bouillon favorise le développement de l’hypertension artérielle, quand on considère la teneur en sel de ces cubes », hypothétise le nutritionniste Junior Antoine.

Cubes de bouillon communément appelés « magi » sur le marché haïtien.

Selon les données de la Fondation haïtienne de diabète et de maladies cardiovasculaires (FHADIMAC), la prévalence de l’hypertension artérielle en Haïti est de 49 % pour le groupe de 25 à 39 ans et 69 % après 40 ans.

Les études menées par des chercheurs montrent aussi qu’Haïti a le taux de mortalité le plus important lié aux accidents vasculaires cérébral (AVC) dans la Caraïbe et plus du double de celui de la République dominicaine.

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« L’hypertension artérielle, l’obésité, le diabète, l’asthme, l’insuffisance rénale, les maladies cardiovasculaires sont des pathologies ayant un lien avec l’alimentation contrairement à d’autres qui sont d’origine bactérienne », dit Dr Wilner Pierre, diététicien et spécialiste en nutrition, interviewé par AyiboPost.

Sur 100 consultations pour des problèmes liés à l’alimentation dans la clinique du médecin, 90 % des patients ont des régimes alimentaires anormaux et seulement 10 % prennent des précautions, révèle-t-il.

La consommation locale est trop riche en sel, sucre et graisse, ce qui engendre des maladies.

Par exemple, le diabète de type 2 contrairement à celui du type 1 n’est pas héréditaire. Ce type de diabète très courant, dit Dr Pierre, est strictement lié à la façon dont la personne se nourrit. Dans le cas de Seide, le stress a probablement déclenché la maladie, mais la pathologie était déjà présente.

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En outre, les médecins recommandent le petit mil, les vivres alimentaires, les mirlitons et le bannissement des mets trop épicés ou trop salés. Les produits locaux comme « l’arbre véritable », le manioc, « l’arbre à pin », le mirliton ou le maïs peuvent aider à éviter les risques d’hospitalisations pour des problèmes de diabète, les douleurs de l’estomac ou l’hypertension artérielle, conseille Dr Patrick Jacques, détenteur d’une maîtrise en gestion hospitalière et spécialiste en nutrition.

L’autre pendant du problème concerne le manque de contrôle de l’État sur l’alimentation des Haïtiens. Environ 70 % de la consommation locale provient d’exportations de pays étrangers. Et Haïti ne supervise pas systématiquement les produits distribués sur son territoire, malgré l’existence du laboratoire vétérinaire et de contrôle de qualité des aliments de tamarinier (LVCQAT). Le pays fait aussi face à un déficit de certification.

L’autre pendant du problème concerne le manque de contrôle de l’État sur l’alimentation des Haïtiens.

La production agricole d’Haïti a considérablement décliné durant ces vingt dernières années.

Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) dans un rapport publié le 10 décembre 1999, la production agricole nationale en Haïti connaît depuis 1965 une certaine stagnation.

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Selon ce même rapport, le pourcentage des produits locaux dans la couverture des besoins alimentaires est passé de 70, 75 % au début des années 1970 à 50, 55 % en 1996 et 1997.

Au cours de la période 2004-2008, Haïti a importé la quasi-totalité de ses besoins en huile végétale et en farine de blé, 88 % de ses besoins en riz, 30 % de ses besoins en haricots et 8 % de ses besoins en maïs, selon Réseau des Systèmes d’Alerte précoce contre la Famine (FEWS NET en anglais) dans un document publié en avril 2014.

Haïti fait aussi face à un déficit de certification.

Le pays importe aussi plus de lait, des œufs et de la viande de poulets.

Certains de ces produits ne respectent pas les normes, observe le Dr Maxo Noël. Cela met en danger la vie de la population soit par des contaminations, soit par des intoxications ou par leur pouvoir cancérigène, continue le médecin bien au courant des importations.

La saccharine, un édulcorant 300 à 500 fois plus sucré que le sucre et le benzoate de sodium conservateur, se trouve utilisée comme conservateur dans une bonne partie des aliments importés. Ce produit est incriminé pour ses propriétés cancérigènes.

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Même l’huile pour frire les « griots » par exemple représente un danger quand sa température dépasse 100 degrés Celsius. Au-dessus de 100 degrés, cette huile affiche le même comportement que le glycérine vendu à la pharmacie : elle produit un composé chimique cancérigène du nom aldéhyde acroléique, raconte Dr Noël. Encore plus chaude, cette huile donne des dérivées voisines du diéthylène glycol. Ceci peut causer des insuffisances rénales ou des calculs rénaux (pyè nan ren).

Photo de couverture : une cuisinière ajoute de l’eau du djon djon dans une marmite. Elle prépare du riz djon djon. | © Camille Oger/180oC

Fenel Pélissier est avocat au Barreau de Petit-Goâve, professeur de langues vivantes et passionné de littérature.

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