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La radio reste le média préféré des Haïtiens. Ce n’est pas par hasard!

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Malgré la grandissante popularité de l’internet, la radio reste le média de prédilection des Haïtiens particulièrement en temps de crise. Certains professionnels des médias expliquent pourquoi 

C’est un fait. La radio, désormais considérée, par les techniciens de la communication comme un média « traditionnel » reste l’outil privilégié pour atteindre le grand public en Haïti. Cette situation s’observe surtout en période de crise politique quand le son de ces émetteurs devient le tensiomètre de l’actualité.

Cherilin Pierre Antoine, communicateur social, fait partie de ces auditeurs fidèles des émissions radiophoniques. « J’écoute la radio quotidiennement. Particulièrement, les émissions politiques », révèle-t-il en affirmant qu’il zappe parfois sur les émissions sportives.

Même s’il utilise Internet également pour s’informer, Antoine estime que les émissions radiophoniques lui permettent de mieux observer les acteurs politiques, « leur déroulement et leur discours. » 

Média des tensions

Redjanie Laguerre, étudiante à l’université Quisqueya, se tourne vers les nouvelles radiodiffusées « chaque fois qu’il y a une tension politique dans le pays. » En temps normal, elle lit les articles de presse via Internet.

Mais pendant les périodes de crise sociopolitiques, Redjanie estime que « les informations de la radio vont plus rapidement que celles de la presse écrite. (…) Bien que les informations soient plus subjectives qu’objectives, on fait avec ce qu’on trouve. Moi personnellement je fais un tri. Je garde ce qui me paraît plus logique », affirme-t-elle.

La radio reste le médium le plus populaire en Haïti.

Dans les faits, la radio reste le médium le plus populaire en Haïti. L’affirmation vient du livre « Sauver l’information en Haïti », publié par le professeur Vario Serrant

Pour se justifier, l’auteur fait référence aux données préliminaires d’un sondage réalisé par l’Institut Gallup en 2003 qui révèlent que « 92 % des Haïtiens possèdent ou ont accès à la radio, 79 % des Haïtiens possèdent une radio (60 % en ont une, 31 % en ont deux, 9 % en possèdent 3). 67 % des personnes interviewées ont affirmé qu’ils écoutent la radio entre deux heures et cinq heures par jour. » 

Histoire de la radio en Haïti

L’histoire de la radio en Haïti remonte en 1926 sous l’occupation américaine et la présidence de Louis Borno avec la HHS. Cette station de radio implantée par les Américains était décriée par les autres organes de presse qui l’accusaient de « porter les Haïtiens à avoir une opinion favorable des étrangers » au détriment de leurs propres leaders et institutions.

Les troupes américaines en Haïti en 1929. KEYSTONE-FRANCE / GAMMA-KEYSTONE VIA GETTY

L’impact des émissions diffusées sur cette radio s’avère toutefois limité à cause du nombre insignifiant des récepteurs. Plusieurs récepteurs et haut-parleurs ont été installés dans divers points de la capitale haïtienne comme les places publiques et dans 14 villes de province. L’expérience de la HHS se terminera en 1937.

Entre 1941 et 1945, trois stations commerciales se concurrencent déjà sur le terrain: La HH2S, la HH3W et HHBM qui sera dénommée plus tard MBC. En 1957, l’UNESCO fait un don de 1000 transistors à récepteurs au gouvernement de François Duvalier afin de faciliter l’accès de la radiodiffusion à la population.

Le CONATEL a aujourd’hui dénombré 347 stations de radios fonctionnant en situation irrégulière et 350 autres opérant légalement à travers le pays.

Ces amplificateurs audio permettaient la fabrication de postes miniaturisés exigeant 4 à 5 « piles flash. » Entre 1948 et 1955, onze nouvelles stations de radio apparaissent sur le cadran parmi lesquels Radio Caraïbes qui existe encore.

9 autres apparaîtront avant 1958 à travers les villes de province. Entre temps, les transistors se multiplient avec l’ère des radios à tendance évangélique.

Cette période marque aussi la naissance des radios pro gouvernementales, dont la Radio Nouveau Monde « qui a été précédée par la Voix de la révolution duvaliériste, ci-devant Radio Commerce. Celle-ci était de 1952 à 1956 la propriété du président Paul Eugène Magloire. »

En 1977, elle deviendra la Radio nationale appartenant au gouvernement, mais fonctionnant sous l’influence de la dictature. Après 1970, les stations de radio privées se font remarquer par la qualité de leur programmation. Cependant, le créole est banni dans la plupart des émissions.

Un paysage riche, mais menaçant

Depuis quelques années le Conseil national des télécommunications (CONATEL) alerte contre la prolifération des stations de radio sur la bande FM. En 2017, l’institution a dénombré 347 stations de radios fonctionnant en situation irrégulière et 350 autres opérant légalement à travers le pays.

« Je pense que nos contenus radiophoniques sont biaisés. Il y a toujours un manque constant d’objectivité dans le [traitement des] informations » – Redjanie Laguerre

Ce pullulement de stations radiophoniques progresse avec l’appauvrissement des contenus des émissions. « Je pense que nos contenus radiophoniques sont biaisés. Il y a toujours un manque constant d’objectivité dans le [traitement des] informations », soutient Redjanie Laguerre tout en mentionnant que certains journalistes ont du mal à différencier « un fait d’une opinion. »

Cherilin Pierre Antoine, pour sa part, croit que le niveau d’intoxication qui circule à travers les ondes se révèle « une menace pour la société. » Il explique l’attachement de l’Haïtien à la radio comme un manque d’alternative. « Les citoyens, surtout ceux qui vivent en milieu rural, n’ont pas d’autres moyens pour s’informer. »

La radio, un média très accessible

Journaliste depuis plus de 30 ans et professeur à l’université, Vario Serrant raconte que le taux de pénétration de la radio en Haïti s’explique par « la culture orale de la population, le niveau d’analphabétisme. » La radio, selon lui, n’exige pas certains efforts que requièrent d’autres médiums comme la presse écrite.

Il estime qu’en plus d’être lettrée, la presse écrite en Haïti publie généralement en français. « La radio devient de plus en plus accessible même avec le développement des NTIC. Plusieurs Smartphones permettent de capter facilement une fréquence radiophonique », affirme-t-il.

Le taux de pénétration de la radio en Haïti s’explique par « la culture orale de la population, le niveau d’analphabétisme. »

De fait, la radio devient donc une alternative permettant de pallier certains problèmes comme le manque d’électricité. Vario Serrant se montre conscient du faible niveau des émissions radiophoniques actuellement.

« Cependant, ceux qui critiquent doivent considérer ce phénomène par rapport au temps et à l’évolution du monde puisque Haïti ne fonctionne pas en vase clos », poursuit le professeur. Selon lui, la loi du marché a forcé les stations de radio au changement à travers le temps.

Plusieurs spécialistes estiment que la radio est le média le plus adapté aux pays en voie de développement. La souplesse de ses programmations, la facilité de sa diffusion, la suppression de l’obstacle de l’analphabétisme et sa facile adaptation aux langues locales sont autant d’avantages qu’offre la radio à ces sociétés généralement pauvres.

Journaliste et communicateur

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