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Elle veut être révoquée de son job à la SONAPI. Les patrons refusent.

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Les conditions de travail pour les femmes sont extrêmement difficiles à la Société nationale des parcs industriels

« Tous les matins, je me lève à quatre heures, raconte Josette Cadet. Je fais à manger, le ménage et je me prépare pour aller au travail ». Ce rituel, Cadet le réalise avant six heures parce qu’elle doit à tout prix arriver à la Société nationale des parcs industriels (SONAPI) avant six heures trente si elle veut avoir le temps de déjeuner.

La journée de Martine Céder, une autre ouvrière, débute pratiquement de la même manière. Employée à la SONAPI depuis 2010, Céder reconnait combien les difficultés de travail s’étendent à tous les ouvriers. Néanmoins, « cela a tendance à se compliquer pour les épouses et les mères, précise-t-elle. Car le travail à la factorie prend tout le temps de ces salariés. Et malgré tout, nous autres femmes, devons trouver le moyen de concilier nos vies professionnelle et familiale ». Un véritable défi, amplifié par le machisme ambiant.

Au bout de douze longues années à travailler au Parc industriel métropolitain, Marie-Claire n’arrive plus à joindre les deux bouts. « Je suis malade », geint l’employée de 47 ans à qui on concède l’anonymat par mesure de sécurité.

Souffrant d’hémorroïdes particulièrement douloureux, Marie-Claire affirme ne pas pouvoir rester assise trop longtemps. Un mal dont sont au courant ses supérieurs, puisqu’après avoir été plusieurs fois à l’hôpital, « le docteur m’a remise une recommandation dument signée pour que je sois davantage ménagée, poursuit-elle. Sauf que depuis lors, je ne passe plus mes journées assise sur des machines, mais debout ».

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Fatigue, humiliation, salaire insuffisant et conditions de travail infrahumaines constituent entre autres le lot quotidien de ces femmes. Pourtant, toutes continuent de s’y accrocher. Ce, par crainte de se retrouver plus fauchées qu’elles ne le sont déjà.

Selon l’ONG Better Work, le textile – plus grand pourvoyeur d’emploi en Haiti – compte plus de 40,000 travailleurs. Un simple coup d’œil permet de constater qu’il y a plus de femmes que d’hommes dans les factories, déclare Vanessa Jeudi, membre de l’association féministe Dantò. « Payées moins que les hommes dans ce système capitaliste et patriarcal, les femmes sont considérées comme de la main-d’œuvre à bon marché», dit-elle.

L’autre pendant du problème concerne les brutalités basées sur le genre. « Les travailleuses subissent plusieurs formes de violences sexospécifiques dans les factories, prolonge Jeudi, dont l’association a réalisé en mars dernier un documentaire sur la vie des femmes dans ces espaces de travail. Des superviseurs — généralement masculins — font des attouchements ou des agressions sur les femmes ou exigent des faveurs sexuelles. Nous avons enregistré beaucoup de cas et en général, ce sont les ouvrières qui se trouvent dans l’obligation de changer de poste, sans prise en charge pour les mettre en sécurité. »

D’énormes sacrifices pour de piètres bénéfices

À 25 ans, Rosela Thomas est mariée, mère d’un enfant et contractuelle au Parc industriel. Son travail, dit-elle, consiste à mettre des lacets dans des shorts. Comme pour tous les autres employés, Thomas doit donc se trouver sur sa machine exactement de sept heures jusqu’à seize heures. Neuf heures de temps réparties en une heure de pause et huit heures de travail.

Ces heures de travail empêchent quiconque d’avoir une quelconque autre activité au cours de la semaine. « Et pourtant ils sont nombreux à être des bacheliers fraichement sortis de l’école secondaire, souligne Cadet. J’en connais qui ont demandé des jours de congé pour pouvoir participer aux derniers examens officiels. Je les encourage souvent d’aller apprendre un vrai métier ».

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Là-dessus, Martine Céder n’est pas contre. Mais elle trouve que ceux-ci n’ont pas vraiment le choix entre des cours du soir ou en week-end. Et ceci, pour un salaire plus que misérable. « Il existe deux types de salariés au sein de la SONAPI, explique Cadet. Il y a ceux qui font un job. Ceux-là touchent chaque semaine. Puis il y a les vrais employés qui touchent à la quinzaine. Mais que l’on soit dans l’un ou l’autre groupe, tous gagnent 500 gourdes par jour ».

Le salaire est jugé insuffisant. « Il l’est tellement qu’on est sans cesse obligé d’avoir recours aux escomptes », dit Céder. De là, les dettes qui s’accumulent et les besoins jamais satisfaits.

D’ailleurs, de son côté, Marie-Claire attend en silence qu’on la renvoie rien que pour pouvoir toucher une petite somme en plus de ce qu’elle gagne ordinairement. « Je me fais vielle, je ne peux plus supporter mes pieds. J’ai déjà écrit l’administration à ce sujet, mais aucun suivi n’est encore fait. Ce qu’ils veulent c’est que je démissionne moi-même, mais le faire serait me porter le coup fatal. Du coup, je pense à écrire une lettre aux affaires sociales pour voir si cela pourra aider. »

Certaines usines collectent de l’argent pour une assurance de santé sans pour autant reverser ces montants aux institutions médicales. « Ceci impacte négativement la santé physique des femmes, car elles ne sont pas prises en charge quand elles sont dans le besoin », dénonce Vanessa Jeudi.

Equilibre difficile

Lorsqu’elle a accouché de son premier enfant, Martine Céder avoue s’en être vraiment occupé jusqu’à ses sept mois. « C’est ma mère qui a pris la relève depuis lors. Aujourd’hui ma fille est âgée de huit ans ».

Céder allaite son deuxième enfant et regrette déjà que le scénario ne puisse changer. « À cause de mon horaire de travail, mes enfants n’ont pas droit à toute mon affection. Et ma famille ne va pas comme je le souhaite ».

En dépit de tout, les efforts sont continuellement multipliés pour parvenir à donner le meilleur résultat possible. Ainsi, contrairement à ce qu’il en est pour plus d’un, lorsqu’elle quitte la factorie sa journée est encore loin de prendre fin.

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C’est aussi le cas pour Rosela Thomas. « Quoique fatiguée, je me dépêche de toujours rentrer avant mon mari », confie la jeune mariée. Non seulement celle-ci veut rentrer s’occuper de son enfant, mais aussi faire à manger pour que la nourriture soit prête avant l’arrivée de son époux. « Et si jamais je n’ai pas le temps dans la soirée, ajoute-t-elle, le lendemain je lui prépare ses vêtements à mon réveil ».

Quant à Josette Cadet, lorsque ses enfants ne sont pas en vacances, son travail augmente un peu plus. N’étant ni mariée, ni « plase », elle ne peut compter sur l’appui d’un compagnon. Toutefois sa stratégie lui permet de tenir depuis plusieurs années déjà. « Je prépare la cuisine depuis la veille. Je me réveille à deux heures, je fais à manger. Je réveille les enfants pour qu’ils puissent réviser, ensuite les laver, les nourrir et leur mettre leur uniforme ». C’est sa petite sœur qui vit avec elle qui les emmène à l’école, mais elle s’assure que tout a été fait avant qu’elle parte. Donc, avant six heures du matin.

« Généralement, c’est ce même repas consommé au petit déjeuner qui sert de diner, révèle Cadet. Et le soir venu, à mon retour, je pense à leur préparer un souper ».

Du « travail forcé » ?

Travailler dans une factorie n’est ni plus ni moins que du « travail forcé ». Tel est l’avis de l’ensemble de ces femmes. Pourtant, même Marie-Claire qui dit ne plus pouvoir supporter n’entend lâcher prise. « Le travail est tout pour moi », dit-elle. Parce qu’aussi minime qu’il soit, son salaire lui permet de prêter main forte à son mari.

Aussi, Thomas Rosela veut se donner une raison de ne pas abandonner. « Je ne regrette pas d’être entrée à la factorie. Je vois cela comme une expérience en plus ». Lequel expérience elle affirme néanmoins ne pas souhaiter à quiconque.

De son côté, Martine Céder atteste que si elle travaille encore là-bas, c’est parce qu’elle n’a pas le choix. « Arrêter serait pire pour moi mais surtout pour mes enfants ». Ainsi s’explique le choix de « supporter qu’on nous parle n’importe comment sans riposter parce qu’on ne veut pas être renvoyé ».

Widlore Mérancourt a participé à ce reportage. 

Photo de couverture : Des ouvriers confectionnent des t-shirts pour l’exportation dans la zone industrielle franche de la SONAPI à la périphérie de Port-au-Prince. Crédit : Isabeau Doucet

Rebecca Bruny est journaliste à AyiboPost. Passionnée d’écriture, elle a été première lauréate du concours littéraire national organisé par la Société Haïtienne d’Aide aux Aveugles (SHAA) en 2017. Diplômée en journalisme en 2020, Bruny a été première lauréate de sa promotion. Elle est étudiante en philosophie à l'Ecole normale supérieure de l’Université d’État d’Haïti

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