La crise que le pays connaît en ce moment est structurelle. Il faut prendre des mesures structurelles pour la contrecarrer expliquent des historiens.
En seulement trois semaines de protestations populaires, beaucoup de choses se sont produites en Haïti. Les activités sont pratiquement paralysées, le président a parlé et des nominations s’en sont suivies. Mais le calme tarde à revenir.
Face à la conjoncture, un ensemble de démarches ont été entreprises par différents secteurs de la nation. Plusieurs professeurs d’université, écrivains, artistes engagés ou non, sont sortis de leur mutisme. Des foules de plus en plus denses se joignent aux fréquentes manifestations.
L’Exécutif est incapable, les parlementaires sont véreux, le pouvoir judiciaire ne peut pas mener le procès Petro Caribe… Tels sont entre autres, les reproches adressés au régime PHTK.
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La plupart des protestataires optent pour un chambardement du système, comme c’est le cas pour les signataires d’une pétition signée par des universitaires. Alors que d’autres acteurs ne réclament que la tête du chef de l’État.
Entretemps, la situation demeure chaotique. Ces derniers jours, beaucoup de meurtres ont été perpétrés et le bilan des pertes matérielles est lourd. Jovenel Moïse continue à inviter au dialogue les forces vives de la nation qui se sont levées contre lui.
La crise à laquelle le pays fait face de nos jours n’est pas spontanée. Elle résulte de décisions (forcées ou pas) que les chefs d’États haïtiens ont prises antérieurement
Selon certains historiens, la crise à laquelle le pays fait face de nos jours n’est pas spontanée. Elle résulte de décisions (forcées ou pas) que les chefs d’États haïtiens ont prises antérieurement.
Un État qui a subi
Dans un ouvrage publié en 2010, Haïti : entre colonisation, dette et domination. Deux siècles de luttes pour la liberté, Sophie Perchellet a dressé un panorama des périodes difficiles de l’histoire d’Haïti.
En effet, deux ans après son Indépendance, le chef du nouvel État a été assassiné. Tout compte fait, Jean Jacques Dessalines n’a pas eu le temps de mettre tout son plan en exergue.
L’autre événement majeur qui a marqué l’histoire du pays toujours selon l’auteure est la dette de l’indépendance payée à la France.
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L’ordonnance royale de 1825 exigeait la somme de 150 millions de francs-or pour dédommager les anciens colons. Cette somme représentait quatre fois le budget de la France à l’époque si l’on croit Sophie Perchellet.
Cette indemnité a pesé lourd sur l’économie de la jeune nation qui a dû s’endetter auprès d’institutions bancaires françaises pour payer son ancienne métropole.
Le fardeau de l’occupation
L’occupation américaine est un autre événement ayant conduit le pays à des conséquences économiques désastreuses. Le 16 septembre 1915, les États-Unis ont signé une convention avec Haïti qui les autorise à s’emparer des douanes. Ils ont ensuite changé la Constitution pour permettre aux étrangers de posséder des propriétés dans le pays.
Perchellet écrit que les Américains ont contrôlé les finances du pays même après les 19 ans de l’occupation.
Plus tard, le pays connaîtra des instabilités politiques qui déboucheront sur le régime dictatorial des Duvalier qui a quasiment duré trente ans. En plus de mettre toutes les ressources du pays à son profit, François Duvalier a fait des alliances fallacieuses avec la mafia nord-américaine.
Une administration de prévarication
Ce régime répressif a délaissé les paysans qui jusque là ont constitué un facteur important de l’économie nationale.
Laënnec Hurbon dans Comprendre Haïti relate que des fonds internationaux destinés à l’agriculture ont été détournés par la famille présidentielle dans les années 1980.
L’un des coups forts du duvaliérisme à la classe paysanne a été l’éradication des porcs créoles par l’entremise des États-Unis et des institutions financières internationales.
L’un des coups forts du duvaliérisme à la classe paysanne a été l’éradication des porcs créoles par l’entremise des États-Unis et des institutions financières internationales. Une décision qui a cassé les bras des paysans.
De 1957 à 1986, la dette extérieure du pays a été multipliée par 17,5. Alors que la fortune de la famille Duvalier représentait 900 millions de dollars.
Après Duvalier la situation ne change pas
Sophie Perchellet parle dans son livre du programme d’ajustement structurel que le pays avait adopté pour une sortie de crise.
René Préval a privatisé une bonne partie des institutions publiques. C’est ainsi que la compagnie de télécommunications TELECO est devenue NATCOM après avoir financé à maintes reprises des gouvernements et des instances privées.
Par cette même politique, le pays a libéralisé ses finances et son commerce. Les droits de douane ont chuté. De ce fait, les produits étrangers ont envahi le pays au détriment des producteurs nationaux.
Affaiblissement de la classe paysanne
L’historien Pierre Buteau parle de la faiblesse de la classe paysanne. « Les paysans ne pouvant pas travailler la terre viennent grossir les masses populaires urbaines. En 1986, il y avait quelque 800 000 habitants à Port-au-Prince. Cette population s’élève de nos jours à 3 000 000. »
Selon le professeur, l’État devient faible, car il y a une inadéquation entre la quantité de bouches à nourrir et la quantité de ressources disponibles. « Nous avons un problème de structure de l’État, enchaîne-t-il. L’État est faible. L’État ne fonctionne que pour lui-même. La fonction d’assurer l’unité et la cohésion du corps social n’est pas remplie. »
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Quant à Michel Acacia, un autre historien, il pense que l’État est illégitime. « En 1804, c’est la capacité et la disponibilité de l’État à encadrer l’engagement des citoyens à défendre l’intégrité du territoire qui assurait sa légitimité. En 1825, l’option du président Boyer de monnayer l’intégrité du territoire avait mis à mal la légitimité de son gouvernement. »
Il poursuit : « Quoiqu’il en soit de l’origine de l’illégitimité de l’État, une chose est certaine : le gouvernement issu des luttes qui sont menées aujourd’hui contre la corruption et la dilapidation des fonds publics ne jouira de légitimité que s’il entretient la perception de s’attaquer ou de vouloir s’attaquer aux structures qui marginalisent le plus grand nombre. »
« Jean Bertrand Aristide, Michel Joseph Martelly et Jovenel Moïse n’étaient pas préparés à accéder au pouvoir. » Pierre Buteau
Pierre Buteau affirme que les gouvernements qui ont succédé au régime des Duvalier n’ont pas compris l’étendue de la crise. Et l’international qui selon le professeur avait son propre agenda n’a pas aidé en ce sens. « Jean Bertrand Aristide, Michel Joseph Martelly et Jovenel Moïse n’étaient pas préparés à accéder au pouvoir. Le parti Lavalas a causé d’énormes dégâts dans les institutions et le PHTK ne s’en sort pas mieux », lance le professeur.
Selon la lecture des deux historiens, la crise que le pays connait aujourd’hui est la conséquence de la paupérisation des masses populaires, de la faiblesse et de l’illégitimité de l’État.
Que faire ?
Pour une sortie de crise, Michel Acacia pense qu’il faut attaquer la base de la crise. «Il faut d’abord se faire à l’idée que la crise est structurelle, qu’elle porte sur les rapports qui lient et délient les différentes strates sociales. Sur ce fonds structurel se greffe une crise de légitimité. Il n’y a pas que le gouvernement qui est illégitime ; l’État est illégitime. Chacun sait que l’État n’est pas ce qu’il devrait être. »
Pierre Buteau pour sa part pense qu’il convient de solidifier les secteurs les plus fragiles du corps social. Il entend par là les couches populaires particulièrement les paysans. « Cela doit se faire en priorisant l’agriculture. Il faut se mettre au travail. »
Par ailleurs, le professeur Buteau soutient qu’il faut un recadrage du système politique. « N’importe qui ne peut pas être président », lance-t-il avant d’ajouter que l’Haïtien doit reprendre sa manière modeste de vivre.
Selon le professeur, L’Haïtien vivait modestement autrefois. « De nos jours, des gros commis de l’État aux citoyens lambda, tout le monde vit au-dessus de ses moyens. »
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L’historien regrette qu’il y ait autant de parlementaires pour un pays aussi pauvre. Il critique aussi le fait que la famille de la plupart de ces derniers vit dans le luxe à l’étranger aux frais de la République.
Somme toute, Michel Acacia avoue que: « la question à l’ordre du jour est celle d’un changement de « système », c’est à dire des structures sociales. Il reviendra aux organisations de défense des droits humains et de groupes de pression comme le Rasanbleman pou Diyite Ayiti (RADI) de maintenir une vigilance soutenue pour que le pays ne revienne pas au même ou ne sombre dans le pire. »
Nous avons corrigé une erreur dans l’article. Au lieu de 8000, Port-au-Prince comptait 800 000 habitants en 1986.
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