Beaucoup de jeunes haïtiens se réfugient dans la drogue. Face à cette situation, de nombreux parents sont dépassés alors que les institutions de prise en charge ne sont pas nombreuses
Après les substances traditionnelles comme la marijuana, le crack, l’alcool, le carburant, la cocaïne ou la cigarette, les jeunes Haïtiens concoctent de nouveaux procédés et effectuent des mélanges pour satisfaire leur soif de drogue. D’où la naissance de combinaisons comme « Bikoul », « Molly », ou « Gaz atè » et l’utilisation de produits censés être inoffensifs comme la menthe, la pâte dentifrice ou la boisson Fanta.
Les jeunes s’enfoncent de jour en jour dans une course folle et dangereuse pour obtenir le plus de sensation possible, ou pour faire durer le plus longtemps possible les effets de ces différentes substances ou de leur mélange.
Gaëtane Auguste, coordonnatrice de l’Association pour la Prévention de l’Alcoolisme et autres Accoutumances chimiques (APAAC) confie qu’en 2019, dans son centre, il y a des jeunes de 17 ou 18 ans qui viennent pour des cas d’addiction avec trois ou quatre années de consommation derrière eux. Pour cela, l’APAAC est obligée faire son travail de sensibilisation et de prévention très tôt, dès la 4e année fondamentale.
Des chiffres qui peignent un sombre tableau
David Bazile, coordonnateur de la Commission nationale de Lutte contre la Drogue (CONALD), a dressé en 2014 un rapport sur la troisième enquête nationale sur la prévalence de la consommation de drogues en milieu scolaire. Son rapport indique qu’à cette époque, la consommation chez les écoliers était de 3,2 % et 2,3 % pour la cocaïne et la marijuana respectivement. De 2009 à 2014, chez les jeunes, le pourcentage de consommateurs de marijuana, de cocaïne, de crack et autres substances similaires a augmenté de plus de 50 %, toujours selon ce même rapport.
Quant aux substances inhalées (ciment, acétone, carburant, etc.) et le crack, ils ont affiché respectivement une prévalence de 6,4 % et 2,5 %. L’alcool a atteint des proportions astronomiques avec 31,45 %, d’où sur chaque 100 élèves, il est probable que 31 d’entre eux ont consommé de l’alcool pour la première fois en 2014.
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Quatre ans plus tard, cette même enquête a été lancée par la CONALD, mais les résultats ne seront disponibles qu’en début 2020, d’après Jean Alain Bernadel, responsable de l’Observatoire haïtien de la drogue (un service de la CONALD). Néanmoins, en 2019, à l’occasion de la Journée internationale de la lutte contre l’abus et le trafic de drogue, le 26 juin dernier, la CONALD a présenté un ensemble de chiffres faisant état de ses réalisations.
De 2015 – 2019, 527 personnes ont été arrêtées dans la lutte de la CONALD contre le trafic de stupéfiants, sans compter l’argent, les propriétés, les véhicules et les armes à feu qui ont été saisis lors de ces opérations. À l’aide d’une répartition réalisée en pourcentage, après un échantillonnage aléatoire réalisé au niveau de quatre départements du pays, en 2018, ils sont arrivés à la conclusion que 16,5 % des Haïtiens ont fumé du tabac au moins une fois, 64 % ont consommé de l’alcool, 6 % de la marijuana et 1,1 % de la cocaïne.
Quand est-ce qu’on souffre d’addiction ?
D’entrée de jeu Stanley Chapoteau, responsable du Foyer de Renaissance Rééducation et de Réhabilitation pour les Toxicomanes du (FRRRT), décrit l’addiction comme une maladie, une personne qui souffre de ce mal, est malade émotionnellement. Selon lui, il y a plusieurs façons de souffrir d’addiction. Il explique : « L’addiction est héréditaire, elle peut être chronique et progressive, ensuite on peut grandir avec un caractère faible ou malade sans que personne ou soi-même ne le sache, et pourtant c’est l’addiction qui grandit en vous ».
Pour ce professionnel des toxicomanes, une personne qui est consommatrice de ces substances au point où sa vie en est troublée, qu’il ne puisse plus travailler ou étudier comme avant, peut être considérée comme un changement de comportement vers la dépendance. Également, qu’il ne peut plus se passer de la substance qu’il consomme, que tout son argent y passe d’un coup est aussi un signe avant-coureur.
Cependant, ce n’est pas tous les changements de comportement qui s’apparentent à une addiction.
Phaïdra Laraque, est une psychologue qui s’occupe de l’alcoolisme et de la toxicomanie dans le privé et collabore avec la CONALD. Elle invite les parents de ne pas brusquer leurs enfants et d’aller étape par étape s’ils se rendent comptent qu’ils consomment de la drogue ou sont devenus dépendants. Selon elle, « il y a beaucoup de choses qui peuvent être liées à un changement de comportement, mais qui ne sont pas liées à la drogue, et les jeunes n’aiment pas se faire accuser. »
Les parents doivent se tenir informer
Après que les parents ont découvert l’existence de ces pratiques, il y a des chances que l’enfant lui-même arrive à berner ses parents en lui faisant croire qu’il n’y a aucun danger, ou qu’ils deviennent très résistants à toute discussion sur le sujet. Pour Stanley Chapoteau, la personne qui souffre d’addiction ne va pas facilement arrêter de par lui-même, parce qu’il est devenu dépendant. Cacher cela et ne pas en parler n’est pas la meilleure chose à faire. L’isoler en l’envoyant à l’étranger non plus, car il trouvera d’une manière ou d’une autre, une façon pour se procurer de la drogue.
La personne qui souffre d’addiction ne va pas facilement arrêter de par lui-même, parce qu’il est devenu dépendant.
Parce que les enfants ont souvent une vision de la drogue que leurs parents n’ont pas, Phaïdra Laraque encourage les parents à s’informer davantage sur ces produits. De cette façon, ils pourront engager sereinement la discussion avec leurs enfants et leur parler ouvertement. Elle explique : « Ce qui arrive assez souvent, c’est que les parents s’affolent tout de suite. Ils présentent aux enfants des informations qui ne sont pas adéquates, et à partir de ce moment-là, l’enfant trouve une façon de convaincre ses parents que tout ce qu’ils disent est faux. »
Que les parents donnent l’exemple
Aujourd’hui l’alcool, la cigarette et les bonbons pour enfants se vendent dans le même lieu, par le même commerçant. En plus de cela, les parents eux-mêmes envoient leurs enfants acheter de l’alcool ou de la cigarette dans les boutiques et les étales qui encombrent nos territoires. Et même de la marijuana pour eux, chez les voisins qui en vendent dans certains quartiers.
En Haïti, après que le projet de loi sur la vente de l’alcool à des mineurs a été voté par le Sénat de la République, le 10 décembre 2012, elle n’a jamais été ratifiée par la Chambre des députés. Quant à la marijuana, elle est interdite, mais selon les chiffres énoncés plus haut, après l’alcool et le tabac, elle est la première qui vient quant au taux de consommation dans le pays.
Dès le plus jeune âge, l’enfant est en contact avec ces substances, arrive à les identifier et connait les effets sur le corps. À partir de ce moment, il est difficile pour un parent de faire entendre raison à son fils ou sa fille d’arrêter de consommer, car il est lui-même consommateur. Pour cela, « en dehors de la thérapie ou les visites chez le psychologue, c’est important que le parent ait des limites et des barrières très claires chez lui », insiste Phaïdra Laraque.
Parce que si la consommation d’alcool ou de drogue est largement acceptée à la maison pour les parents, les enfants se sentiront plus à l’aise pour continuer dans leurs pratiques. Et dans la thérapie, Phaïdra Laraque fait comprendre qu’elle ne peut pas se substituer aux parents et jouer leur rôle. « Tant que les règles ne sont pas claires à la maison, il sera difficile de faire passer à la thérapie des changements de comportement que le psychologue va demander », avertit-elle.
Que les parents écoutent leurs enfants
« Souvent, c’est la faute des parents, ils empêchent l’enfant de s’exprimer et ils ne l’écoutent pas non plus parce qu’ils ont beaucoup de soucis, déclare Stanley Chapoteau avec franchise. Ils ne fassent pas partie de la vie émotionnelle de l’enfant, ils ne sont pas amis avec lui. » Comme conséquence, l’enfant refoule ses sentiments qui finiront par exploser un jour, mais ce sera en présence des amis qui vont lui offrir la drogue, continue d’expliquer le responsable du FRRRT.
C’est important que le parent ait des limites et des barrières très claires chez lui.
La prise de cette drogue va anesthésier ses sentiments, cet effet sera que temporaire avec une fausse sensation de bien-être que le consommateur va chercher à retrouver à chaque fois. Pour ce psychologue, la colère ou la tristesse ne sont pas des sentiments négatifs. En réalité, ils n’existent pas de sentiments négatifs, ce qui compte vraiment c’est ce qu’on en fait de ces sentiments.
Et lorsque le processus de prise en charge débute, une chose qui est très importante que le parent doit comprendre, c’est que le changement de comportement chez l’enfant ne dépend pas uniquement de lui. Son enfant a également son mot à dire. Il faut trouver un juste milieu. « C’est l’enfant qui décide comment il va réduire sa consommation, je peux lui proposer d’aller par petit bout, trois mois pour commencer Phaïdra Laraque explique. À l’issue de ces trois mois, on renouvelle par rapport à son bien être, à ce qu’il a pu accomplir et les avantages qu’il a pu en tirer. »
Un traitement différent pour chaque personne
Chaque personne est traitée différemment pour Phaïdra Laraque, tout dépendra de la personne, du type de drogue. Il y a des personnes qui devront aller dans une clinique, à l’hôpital, d’autres dans une supervision plus rigoureuse, ou bien en traitement en interne (même s’il existe très peu de possibilités en Haïti). Chaque cas est différent, parce que chaque personne est différente. Cependant, les raisons qui ont poussé une personne à consommer, soit dans une fête, par suite d’un trauma, une douleur chronique, à cause d’une petite copine, ou bien sur pression, ne déterminent pas si on va souffrir d’addiction ou pas.
Phaïdra Laraque et Stanley Chapoteau s’entendent pour dire qu’il y a certaines gens qui sont capables de goûter une seule fois et de ne pas s’empêtrer dans le cercle de la consommation abusive. Le début pour chaque personne sera pris en compte en thérapie, mais ce n’est pas nécessairement cela qui va faire la différence d’un patient à l’autre dans le processus de prise en charge. Cependant, les circonstances atténuantes seront adressées par un psychologue bien avant le début de la thérapie, pour vérifier si la personne n’a aucun antécédent, des sentiments refoulés ou un trauma qui peut servir d’élément déclencheur d’une rechute.
Avez-vous besoin d’aide?
Le Foyer de Renaissance Rééducation et de Réhabilitation pour les Toxicomanes est au #56, village Artistique, Noailles, Croix-des-Bouquets, Haïti. Téléphone, +50947679153 /+50933763821, ou pour l’internationale 305 280 62 99.
L’Association pour la Prévention de l’Alcoolisme et Autres Accoutumances Chimiques (A.P.A.A.C) est au #9, Delmas 60, Musseau. Ils sont joignables au : +50928131551, +50942444680, +50942444690.
Note de l’éditeur: Cet article découle d’une initiative éditoriale. Les organisations citées n’ont ni payé ni supervisé le reportage.
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