Insecurité alimentaireSOCIÉTÉ

Des pistes pour résoudre la crise alimentaire en Haïti

0

«Si nous prenons la décision d’agir dès aujourd’hui, dans un an, nous serons en mesure d’augmenter la disponibilité alimentaire», affirme l’agronome Davilard Michel dans une interview avec AyiboPost

La grave crise alimentaire qui frappe Haïti ne peut être résolue sans la mise en œuvre d’un ensemble de politiques publiques, notamment monétaires, commerciales, agricoles et économiques, visant à développer des secteurs clés de l’économie nationale tels que l’agriculture, l’élevage et le textile. L’objectif ultime est d’augmenter le pouvoir d’achat des Haïtiens, selon Jean Poincy, économiste et vice-recteur de l’Université d’État d’Haïti (UEH).

D’après la Coordination nationale de la Sécurité alimentaire, 4,9 millions d’Haïtiens sont concernés par le problème de la faim, en mars 2023.

En mai, un rapport de la FAO classe Haïti parmi les sept pays où l’insécurité alimentaire est la plus élevée. Cette crise grave survient dans un contexte où des spécialistes constatent l’absence d’actions politiques significatives visant à garantir le respect du droit à l’alimentation de la population et à réellement améliorer la sécurité alimentaire.

La grave crise alimentaire qui frappe Haïti ne peut être résolue sans la mise en œuvre d’un ensemble de politiques publiques […] visant à développer des secteurs clés de l’économie nationale tels que l’agriculture, l’élevage et le textile.

«Compte tenu des immenses potentiels agricoles d’Haïti et de sa biodiversité, le pays aurait dû éviter toute crise alimentaire », selon l’économiste Camille Chalmers.

Selon le dirigeant de la Plateforme haïtienne de Plaidoyer pour un développement alternatif (PAPDA), en raison de sa position géographique stratégique, Haïti aurait pu assurer son autosuffisance dans la production de céréales, de fruits, de légumes et de fruits de mer.

«Lorsqu’une communauté paysanne parvient à fournir entre 44 et 46 % de l’approvisionnement alimentaire du pays dans les circonstances que nous connaissons, cela témoigne de sa vitalité », affirme Chalmers. « Cependant, il reste encore beaucoup à faire », ajoute-t-il.

Compte tenu des immenses potentiels agricoles d’Haïti et de sa biodiversité, le pays aurait dû éviter toute crise alimentaire.

AyiboPost a contacté le ministère de l’Agriculture, des Ressources naturelles et du Développement rural pour savoir si le gouvernement avait mis en place des mesures en réponse à la crise : aucune réaction n’a été obtenue. Cependant, une source proche du ministère indique que le gouvernement d’Ariel Henry a déjà lancé un sous-programme sectoriel axé sur la sécurité alimentaire. Ce programme sera mis en œuvre dans les dix départements du pays et portera sur plusieurs aspects tels que la conservation des sols, l’irrigation et les voies agricoles. Cependant, aucune note officielle n’a été publiée à ce sujet et aucun responsable du projet n’a souhaité réagir.

Certains experts se plaignent du fait qu’Haïti n’ait pas réussi à développer un secteur de la pêche prospère malgré ses plus de 1700 km de côtes.

Lire aussi : Au lieu d’investir dans la pêche en haute mer, Haïti importe du poisson

Selon le Programme national pour le Développement de la pêche maritime en Haïti, la production annuelle de fruits de mer entre 2010 et 2014 était d’environ 16 000 tonnes, ce qui représente moins de 50 % de la demande locale. «Avec des investissements dans des équipements de pêche adéquats, nous pouvons augmenter notre production de fruits de mer», analyse Chalmers.

Un autre secteur qui peut contribuer à résoudre la crise est celui de l’élevage.

Selon Jean Poincy, économiste et vice-recteur aux affaires académiques de l’Université d’État d’Haïti, ce secteur présente un potentiel de création d’emplois très intéressant.

«Il est possible de développer d’autres sous-secteurs à partir de l’élevage, tels que la production de viande et l’industrie laitière en Haïti », explique Poincy. Cependant, cela nécessite la mise en place de politiques publiques, souligne-t-il.

Il est possible de développer d’autres sous-secteurs à partir de l’élevage, tels que la production de viande et l’industrie laitière en Haïti.

Ces politiques, axées sur l’industrialisation et la transformation à long terme, ont pour objectif principal la création d’emplois, ce qui entraînera une augmentation réelle du pouvoir d’achat des citoyens.

Lire aussi : Encore cinq ans pour sauver « Madan Gougousse », selon un spécialiste

Selon un rapport publié par l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) en 2016, la consommation annuelle de lait en Haïti est estimée à 130 000 tonnes. Cependant, seulement 85 000 tonnes sont produites localement, alors que le pays a un potentiel de production évalué à 145 000 tonnes. Selon le Ministère de l’Agriculture, Haïti importe du lait étranger pour environ 40 millions de dollars américains par an, ce qui en fait la deuxième importation la plus importante après le riz.

Considérant le potentiel du pays dans la production de lait ainsi que des dérivés comme le fromage, Camille Chalmers propose de réduire les importations de lait en provenance de l’Europe, qui sont estimées à environ 50 à 60 millions de dollars chaque année. Cela permettrait de favoriser un meilleur développement de l’industrie laitière haïtienne.

«La crise alimentaire en Haïti est extrêmement complexe», explique Jean Martin Bauer, président du Programme alimentaire mondial (PAM) pour Haïti, lors d’une interview avec AyiboPost. «Le secteur agricole haïtien a beaucoup souffert », déclare Bauer, faisant référence aux multiples chocs auxquels le pays a été confronté, tels que les cyclones, les tremblements de terre, la réduction des droits de douane et autres conséquences du changement climatique, ainsi que les crises sociopolitiques.

Prioriser des investissements dans l’agriculture pour atteindre la souveraineté alimentaire ne suffit pas, selon des experts.

«Ce dont nous avons besoin aujourd’hui, c’est de nous assurer que les gens disposent d’argent dans leurs poches. Le pouvoir d’achat est la première considération », analyse l’économiste Jean Poincy. Grâce à cela, l’État pourra générer davantage de revenus fiscaux pour financer des investissements dans des domaines clés tels que l’irrigation, les crédits agricoles et la création d’usines dans les différents départements du pays, souligne-t-il.

Lire aussi : Haïti doit-il remettre sur pied son Magasin d’État ?

Bien que la dépendance à l’égard d’autres pays comporte d’énormes risques, notamment les chocs potentiels sur les marchés internationaux, Jean Marie Boisson, défenseur de la sécurité alimentaire, estime qu’il faut être réaliste. «Nous pouvons toujours aspirer à l’autosuffisance, mais nous devons le faire là où nous avons un avantage comparatif », affirme-t-il.

Ce dont nous avons besoin aujourd’hui, c’est de nous assurer que les gens disposent d’argent dans leurs poches. Le pouvoir d’achat est la première considération.

Selon les données du Centre de Facilitation des Investissements (CFI) citées par le Famine Early Warning System Network, en 2016, les importations d’Haïti en provenance de la République dominicaine étaient évaluées à plus de 1,423 milliards de dollars américains.

Chaque année, Haïti importe plus de 200 millions de dollars de riz en provenance des États-Unis, selon des données publiées par Agri-Pulse en octobre 2022.

Dans un pays montagneux comme Haïti, Jean Marie Boisson, vice-président du conseil d’administration de SOFIHDES, une société privée de financement, estime qu’il serait préférable de s’orienter vers l’industrialisation. « J’aurais préféré voir les Haïtiens pouvoir travailler afin de se nourrir aujourd’hui, plutôt que de se battre pour atteindre l’autosuffisance alimentaire », poursuit Boisson.

Plusieurs spécialistes s’accordent sur la nécessité d’une nouvelle approche prenant en compte tous les acteurs de la production nationale afin de sortir de la crise. «Il est impératif que l’État définisse une politique agricole solide », explique Gaël Pressoir, généticien et doyen de la faculté d’agronomie de l’université Quisqueya. «Malheureusement, Haïti ne dispose pas d’une politique agricole qui devrait établir les grandes orientations de l’agriculture du pays », déplore Pressoir.

Des mesures d’urgence doivent également être prises pour aider les familles en difficulté. L’agronome Davilard Michel propose une approche qui combine la gestion de l’urgence immédiate et l’amélioration de la situation à moyen et long terme. Il suggère de donner la priorité aux cultures à cycle court, telles que le haricot noir (90 jours), la patate douce (60-75 jours), le gombo (41 jours) et le maïs (90-120 jours). « Cependant, il est également nécessaire de changer les habitudes alimentaires des Haïtiens, qui sont trop axées sur le riz », suggère-t-il.

Lire aussi : Les avantages du maïs pour combattre la crise alimentaire en Haïti

«Si nous prenons la décision d’agir dès aujourd’hui, dans un an, nous serons en mesure d’augmenter la disponibilité alimentaire», affirme l’agronome Davilard Michel, qui déplore le fait que la campagne agricole de printemps n’ait pas été lancée dans le pays depuis trois ans.

Par Wethzer Piercin, Widlore Mérancourt & Wendy Jérôme Norestyl

Ce texte rentre dans le cadre de l’exploration d’AyiboPost sur l’insécurité alimentaire. Cliquez ICI pour lire les reportages, les tribunes d’experts et regarder les documentaires.

© Image de couverture : freepik


Gardez contact avec AyiboPost via :

▶ Notre canal Telegram : cliquez ici

▶ Notre Communauté WhatsApp : cliquez ici

Wethzer Piercin est passionné de journalisme et d'écriture. Il aime tout ce qui est communication numérique. Amoureux de la radio et photographe, il aime explorer les subtilités du monde qui l'entoure.

    Comments