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Des pirates viennent pêcher illégalement en Haïti

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Ces pêcheurs illégaux sont rarement interceptés car les autorités ne disposent pas de matériel pour surveiller efficacement les côtes haïtiennes, explique un cadre de la garde-côte haïtienne

Depuis 2019, des embarcations jamaïcaines et cubaines viennent illégalement pêcher dans les eaux territoriales haïtiennes. C’est ce que révèle à AyiboPost Mackenson Aldajuste, assistant-chef au service du bureau d’aquaculture et pêche au ministère de l’Agriculture, des Ressources Naturelles et du Développement Rural (MARNDR). Ces pêches illégales se poursuivent dans un contexte de crise alimentaire urgente et de rareté de fruits de mer dans les assiettes haïtiennes.

«Non seulement des embarcations jamaïcaines viennent illégalement pêcher dans les eaux territoriales d’Haïti, mais en plus, elles revendent leurs produits à des poissonneries locales», poursuit l’agronome Mackenson Aldajuste. Ces intrusions non autorisées concernent également des bateaux de pêche en provenance de la République dominicaine qui profitent de l’absence de sécurité dans les eaux nationales.

«Nous sommes au courant de la situation, mais nous n’avons pas les moyens de les poursuivre », relate Jean Pedro Mars, président de la garde-côte haïtienne.

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Il s’agit d’une pratique qui perdure depuis longtemps. «Des bateaux illégaux viennent pêcher dans les eaux haïtiennes au large, principalement dans le Grand Nord, le Sud et le Sud-Est», affirme Guichard Gilbert, inspecteur de la garde-côte haïtienne. Il poursuit en expliquant que ces pêcheurs illégaux sont rarement interceptés car les autorités ne disposent pas de matériel pour surveiller efficacement les côtes haïtiennes.

Ces pêches illégales se poursuivent dans un contexte de crise alimentaire urgente et de rareté de fruits de mer dans les assiettes haïtiennes.

Selon les données de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la consommation de produits de la pêche en Haïti s’élevait en 2015 à 5,8 kg de poisson par habitant chaque année. Ce chiffre reste inférieur à la moyenne des autres pays de la région, tels que les 8,7 kg de la République dominicaine et les 25,8 kg de la Jamaïque.

Avec un littoral de 1 500 km de côtes, Haïti a un fort potentiel dans le secteur de la pêche.

La faible consommation nationale s’explique, selon des spécialistes, par le manque de prise en charge du secteur par l’État, la mauvaise exploitation des ressources halieutiques et d’autres déficiences (problèmes de conservation des produits, insécurité, etc.), ce qui rend ce secteur potentiellement porteur d’amélioration face à la crise d’insécurité alimentaire, mais très vulnérable.

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Depuis 2009, la production annuelle de pêche maritime est d’environ 15 000 tonnes par an, et la pêche continentale fournit 600 tonnes. En 2020, la Banque mondiale estime la production totale de la pêche à 17 910 tonnes. Toutefois, les produits provenant de l’aquaculture, à eux seuls, étaient estimés à 1 220 tonnes en 2015.

Avec un littoral de 1 500 km de côtes, Haïti a un fort potentiel dans le secteur de la pêche.

La pêche continentale, avec l’ajout de l’aquaculture, emploie près d’un millier de personnes par an, selon les données de la FAO actualisées en 2017. Ainsi, elle génère environ 77 000 emplois à temps plein (52 000 emplois directs et 25 000 emplois indirects). L’activité représentait en 2010 environ 2,5 % du PIB national.

La pêche fait face à des défis majeurs en Haïti, notamment l’incursion de pêcheurs étrangers dans les eaux territoriales haïtiennes, l’absence de formation pour les pêcheurs, la surexploitation de la zone pélagique et l’inexistence de coopératives de pêche.

Selon les témoignages de pêcheurs, leurs équipements (de pêche, de conservation, de stockage, etc.) sont très peu adaptés et « l’État ne collabore pas avec les associations de pêcheurs», rapporte Joseph Wilto Marcéus, président de l’Association Nationale des Pêcheurs haïtiens.

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« Parfois, les pêcheurs emportent avec eux des thermos de glace afin de maintenir les prises au froid jusqu’à leur retour sur terre », témoigne Mackenson Aldajuste. Cependant, certains pêcheurs n’ont même pas les moyens de se procurer de la glace ou d’un thermos, selon Aldajuste. Cela affecte la qualité des poissons vendus.

Leurs équipements (de pêche, de conservation, de stockage, etc.) sont très peu adaptés et l’État ne collabore pas avec les associations de pêcheurs…

Les pêcheurs ne reçoivent pas une formation adéquate, comme l’a rapporté Joseph Wilto Marcéus. Par conséquent, ils sont obligés de pêcher dans des zones avec une faible concentration de poissons. Cette surexploitation des zones côtières de pêche rend l’écosystème marin vulnérable car ils ne savent pas quand et où pêcher.

En outre, l’insécurité est un autre obstacle qui rend difficile le déplacement d’une zone à l’autre. Carline, une vendeuse de poisson du Sud, doit prendre la route de Martissant chaque semaine. Elle exprime ses craintes à AyiboPost : «C’est risqué car je ne sais pas quand les bandits peuvent attaquer les voitures sur la route».

Une situation qui préoccupe Raymond, propriétaire de Su Casa Bar & Grill à Caradeux. «C’est un problème récurrent, car lorsque nous passons une commande de poisson, elle n’arrive pas toujours à temps», ce qui entraîne des modifications fréquentes de l’offre de plats.

L’insécurité est un autre obstacle qui rend difficile le déplacement d’une zone à l’autre.

La production nationale assure près d’un tiers de la consommation en fruits de mer, le reste est importé. En 2015, Haïti a importé des produits de la pêche pour une valeur de 45 millions de dollars américains, contre seulement neuf millions de dollars liés à l’exportation.

Malgré le désintérêt de l’État envers ce secteur, l’agronome Mackenson Aldajuste croit que l’État peut identifier l’ensemble des parties prenantes du secteur, principalement les pêcheurs, afin de proposer des solutions.

Dans un rapport paru en 2021 dans la revue Études Caribéennes, intitulé « La filière de la pêche en Haïti : quelles perspectives face à l’insécurité alimentaire ? », des chercheurs ont recommandé l’intégration des poissons salés et séchés dans le régime alimentaire des régions éloignées, car de faibles quantités permettent d’accroître l’assimilation des protéines d’origine végétale.

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En réalité, les fruits de mer apportent à l’organisme humain des protéines, des acides aminés, des acides gras (oméga-3), des vitamines A, D et B. Ils contiennent également des minéraux tels que le fer, le sodium, le potassium, le calcium, l’iode, le phosphore, le fluor, le magnésium et le sélénium.

Par Jérôme Wendy Norestyl

© Image de couverture : wirestock/freepik


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Journaliste-rédacteur à AyiboPost, Jérôme Wendy Norestyl fait des études en linguistique. Il est fasciné par l’univers multimédia, la photographie et le journalisme.

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