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C’est la marine américaine qui surveille la majorité des eaux territoriales haïtiennes

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Les garde-côtes haïtiens sont démunis, et ne disposent pas d’assez de moyens pour la protection des côtes du pays.

Le littoral d’Haïti s’étend sur 1772 kilomètres. Ce sont les garde-côtes d’Haïti qui sont censés en assurer la protection. Cette unité spécialisée de la Police nationale d’Haïti, dont le quartier général est à Bizoton 57, dispose de 200 agents et d’un personnel civil estimé à une trentaine.

Les moyens manquent cruellement à cette unité pour la réalisation de sa mission. Selon le commissaire divisionnaire Mars Jean Pedro qui la dirige, l’État haitien se désintéresse de la question maritime. Il n’existe aucune stratégie pour encadrer les actions des garde-côtes, qui sont de lutter contre les trafics illicites en mer, les voyages clandestins, la contrebande, etc. Cette unité doit aussi intervenir dans des opérations de recherche et de sauvetage de victimes en mer.

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Avec uniquement quatre bateaux en manque de puissance, les garde-côtes sont dans la quasi-impossibilité de mener à bien leur mission. À cause de cette incapacité à répondre seuls aux situations qui l’exigent, les garde-côtes haïtiens trouvent du soutien de la marine américaine. Celle-ci maintient une présence régulière dans nos eaux maritimes, pour combler le vide laissé par la marine nationale. 

Présence américaine

C’est l’accord du 17 octobre 1997 qui autorise la coopération entre les deux pays en vue de mettre fin au trafic illicite de la drogue en mer. Toutefois, cet accord prévoit qu’un représentant haitien doit embarquer à bord du bateau américain, pour qu’il soit autorisé à patrouiller nos eaux territoriales. 

« Nous embarquons des membres de la garde côtière haïtienne à bord de navires de la garde côtière américaine pour des opérations y compris des interventions de recherche et de sauvetage », confirme à Ayibopost un porte-parole de l’ambassade américaine. Cette aide est d’autant bienvenue que les bateaux de patrouille d’Haïti fonctionnent à moins de 50% de leur capacité, à cause de leur vétusté.

Ces navires ont été offerts à la garde côtière haïtienne par le Canada en 2010. Même leur maintenance dépend du gouvernement américain par l’intermédiaire du bureau de coopération en matière de sécurité de leur ambassade à Port-au-Prince. C’est la raison pour laquelle cette « flotte » fonctionne encore, explique Jean Pedro Mars. 

« La garde-côte ne détient pas un budget propre. L’institution fonctionne sous la tutelle de la PNH qui approuve ou désapprouve nos réquisitions. C’est pourquoi, il est difficile d’atteindre un objectif clairement défini », affirme de son côté l’inspecteur Alexandre Gilbert Guichard Antoine, membre de la garde côtière haïtienne.

Des interventions limitées

Les garde-côtes d’Haïti possèdent trois bases navales à partir desquelles elle réalise ses interventions. La base Amiral Killick à Carrefour détient deux bateaux de patrouille. L’un d’entre eux est en panne. La base navale du Cap-Haïtien et celle des Cayes possèdent chacune un bateau.

Cette unité spécialisée de la PNH travaille d’arrache-pied pour rendre opérationnelle une mini-base navale dans la ville de Port-de-Paix. « Elle ne dispose pas encore de bateaux  ni d’équipements. L’État haïtien n’a jamais acheté de bateaux depuis la création des garde-côtes », affirme le commissaire Mars. Selon lui, l’idéal serait qu’il y ait une petite station dans chaque ville de province, et une base dans les plus grandes villes. 

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« Ainsi, nos opérations seraient planifiées avec tact, précision et rapidité, justifie Mars. Si on nous alerte pour une intervention à Jérémie, combien de temps nous faudra-t-il pour y arriver avec des équipements peu performants ?»

Ces équipements limités en quantité le sont aussi en qualité. Ainsi, les opérations en haute mer sont menées par la garde-côte américaine. Surtout les recherches et le sauvetage, impliquant toutes sortes de voyages y compris la migration irrégulière. 

« Elle nous informe des situations ayant rapport avec les difficultés des migrants haïtiens en haute mer. Nos équipements ne peuvent pas réaliser ces genres d’interventions », confie Jean Pedro Mars.

Les outils de travail peu performants de la garde côtière haïtienne paralysent les activités de surveillance qu’elle doit mener en mer, dans un contexte où les voyages illégaux des Haïtiens sont de plus en plus fréquents. Par exemple, révèle Mars, des ressortissants cubains et jamaïcains investissent régulièrement la zone économique exclusive d’Haïti, pour des activités de pêches ou d’autres affairements. La marine haïtienne n’a pas la capacité de les chasser. 

Environnement de travail menacé

En matière d’exploration et d’usage des ressources naturelles, chaque État définit un espace maritime sur lequel il exerce ses droits souverains et économiques. Selon le décret du 6 avril 1972, l’État haitien fixe la limite des eaux territoriales d’Haïti à 12 milles marins ou 22 224 kilomètres. 

Ces eaux, y compris la zone économique exclusive, font partie du territoire national. La haute mer, communément appelée les eaux internationales, qui va au-delà de ces deux parties, n’appartient à aucun pays.

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Les eaux territoriales d’Haïti sont surveillées de manière incomplète. Même les environs de la base navale Amiral Killick échappent en partie au contrôle de la marine haïtienne. D’ailleurs, à cause de l’explosion démographique, ces eaux subissent une modification de leur configuration. Deux cités empiètent fortement sur la base navale des garde-côtes.

« D’un côté, il y a la cité Drail à Carrefour qui avance à grand pas vers le port de la garde-côte. De l’autre côté, il y a la cité Michel qui s’étend de Martissant, passant par Fontamara 43 jusqu’à Carrefour », dit l’inspecteur Alexandre Gilbert Guichard Antoine. Ce membre de l’équipage de la direction des garde-côtes d’Haïti relate que le port de cette unité risque la disparition dans les années à venir en cas où aucune décision n’est prise pour stopper ce phénomène qui s’en va grandissant.

« Les résidents de ces deux cités poussent continuellement la mer pour établir des espaces d’hébergement. Ils utilisent des débris pour remblayer le littoral », relate-t-il. Résultat: l’entrée de la rade de la garde-côte haïtienne est baignée des deux côtés de maisonnettes en tôles abîmées, en bois et en carton. En outre, des immondices colonisent la mer, là où ces maisons sont construites. 

Un espace historique

La base navale Amiral Killick qui accueille la garde-côte haïtienne a été construite sous le président Élie Lescot dans les années 1945. À l’époque, les navires des pays de la région ou ceux des pays européens qui sillonnaient les eaux caribéennes confiaient à Haïti la réparation et l’entretien de leurs embarcations en cas de panne majeure.

Les vestiges de cet atelier mécanique existent encore. « Les machines et autres appareils de travail sont à présent attaqués par la rouille. Haïti avait la capacité de fabriquer des moteurs pour des bateaux moyens », raconte Jean Wesner Sémeccent. Il traîne derrière lui 10 ans d’expérience comme garde-côte, en tant que mécanicien.

Selon ce réparateur de bateau, Haïti était le seul pays de la Caraïbe qui détenait à l’époque un dock flottant. Il s’agit d’une grande structure servant à la réfection de grands navires. « Elle permettait d’amener en cale sèche les bateaux pour des services d’entretien », dit-il.

La création des garde-côtes d’Haïti est l’œuvre d’un décret-loi du président Lescot en date du 28 juillet 1942. Ils avaient pour mission de surveiller et de protéger les côtes du pays. L’institution a par la suite été rebaptisée marine haïtienne. Elle a été démantelée après la dissolution des forces armées d’Haïti en 1994.

La garde côtière a fait sa réapparition avec la création de la PNH, dont elle est une unité spécialisée. Mais, en réalité, le nom de Garde-côte n’est pas légal, vu que la loi qui a créé la PNH parle de Direction de la police de mer.  

Journaliste à AyiboPost. Communicateur social. Je suis un passionnné de l'histoire, plus particulièrement celle d'Haïti. Ma plume reste à votre disposition puisque je pratique le journalisme pour le rendre utile à la communauté.

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