«Une femme, me regardant travailler sur un portail, m’a dit à brule-pourpoint qu’il y a de fortes chances que je sois lesbienne», confie une ferronière à AyiboPost
Ostinvil Phydemazela se souvient encore de ces épisodes où certains l’appelaient «Bayakou» (vidangeuse) parce qu’elle avait choisi la plomberie comme métier.
Originaire de Vallières dans le sud-est, la dame subit constamment les reproches de membres de sa famille, très remontés contre sa «profession sale qui ne cadre pas du tout avec sa beauté», décrit Phydemazela à AyiboPost.
Plombière depuis 2016, Phydemazela rentre dans le rang des femmes haïtiennes qui exercent des métiers où elles sont historiquement sous-représentées. Ce faisant, ces pionnières tracent la voie par l’exemple. Elles rencontrent aussi de la résistance.
Phydemazela se découvre un intérêt pour la plomberie depuis sa prime enfance.
«Élevée à la campagne, j’avais l’habitude d’utiliser des cabinets d’aisances très délabrés et impropres», raconte Phydemazela. «J’ai pensé, dit-elle, apprendre la plomberie pour avoir chez moi des toilettes modernes et propres.»
L’apprentissage du métier au Village SOS, un centre d’enseignement professionnel situé au Cap-Haïtien, a duré deux longues années.
Mais malgré l’effort, Phydemazela fait souvent face au manque de confiance de ses collègues masculins qui, dit-elle, remettent en cause son travail.
«C’est très agaçant», tempête la professionnelle qui, depuis 2021, prête ses services comme plombière à la Direction nationale de l’Eau potable et de l’Assainissement (DINEPA).
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La désapprobation des familles revient souvent dans ces situations.
Alberline Saint-Jean, 24 ans et mécanicienne, a dû braver son père qui avait voulu pour sa fille «une profession beaucoup plus décente».
Lui-même mécanicien, l’homme a refusé de payer la scolarité exigée à l’École professionnelle des Gonaïves (EPG). N’était-ce pas le support financier de sa mère, Saint-Jean n’aurait pas pu poursuivre sa vocation.
Jean Medunji Liamell, habitant aux Gonaïves, vit une situation similaire. Mécanicienne, la jeune femme se voit opposer «des éclats de rire dans son ancienne école congréganiste» et des remarques blessantes sur son lieu de travail, à cause de son métier.
«Un jour, un policier qui venait faire réparer sa voiture au travail a insisté pour financer mes études dans n’importe quelle école de cosmétologie de la place», raconte Jean Medunji Liamell, la voix brumeuse.
Ces commentaires déplacés éprouvent la motivation des femmes œuvrant dans des métiers considérés comme chasse gardés des hommes.
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Marceille Merloude, une ferronnière spécialisée en soudure électrique, en a reçu un trop plein. L’année dernière, dans son atelier à Trou du Nord, «une femme, me regardant travailler sur un portail, m’a dit à brule-pourpoint qu’il y a de fortes chances que je sois lesbienne.»
De son côté, Stécy Augustin, une électricienne, se souvient encore d’un chef d’équipe dominicain en terre voisine qui n’a pas voulu l’enrôler parce qu’elle était une femme en mai 2021.
«Ce n’est qu’après une discussion houleuse avec un autre chef d’équipe haïtien que j’ai été retenue», confie la Capoise qui a étudié l’électricité entre 2013 et 2015 après avoir obtenu une bourse de l’école professionnelle du Saint-Esprit au Cap-Haïtien.
Seule femme parmi près d’une dizaine de manœuvriers masculins, sa paye lui procure indépendance et liberté.
«Je fais entre 15 000 et 20 000 gourdes par mois», souligne Augustin selon qui «la peur de se salir et les critiques qui visent les femmes comme elles sont des facteurs importants qui expliquent la surreprésentation des hommes dans certains métiers.»
Tamas Jean Pierre, sociologue et militante féministe, opine du chef. «La moquerie, les remarques sexistes, entre autres», sont autant de moyens utilisés pour perpétuer «la division sexuée du travail, un élément matériel qui organise le système social patriarcal [à l’œuvre en Haïti].»
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Cet apartheid professionnel se prolonge même dans les universités du pays.
Yodlène Bazelais, 23 ans, est l’une des deux femmes admises directement sur 28 hommes dans le département des mathématiques à l’École Normale supérieure (ENS) de l’Université d’État d’Haïti (UEH) en 2021.
L’intégration, selon Bazelais, n’a pas été facile. L’autre femme, admise directement comme elle, a abandonné cette étude.
«On m’ignore souvent dans les cours, et les appels de résolution des problèmes de mathématiques formulés par les professeurs s’adressent ordinairement aux hommes», déplore Bazelais. «Je me sens parfois comme un poisson hors de l’eau», prolonge la professeure de mathématiques dans deux écoles de la zone métropolitaine.
À l’ENS, ces trois dernières années, sur 80 postulants admis directement au département des mathématiques, on compte cinq femmes, soit un pourcentage de 6,25 %.
Au département de physique, ces trois dernières années aussi, l’on recense, sur 81 postulants admis directement, seulement sept femmes, soit 8,64 %.
On m’ignore souvent dans les cours, et les appels de résolution des problèmes de mathématiques formulés par les professeurs s’adressent ordinairement aux hommes.
Une pseudoscience faisant des femmes des individus inaptes à l’exercice de certains métiers revient souvent dans les argumentaires «sexistes».
Svelte et de faible corpulence, Malaïca Jean-Baptiste travaille dans la construction des bâtiments à Petit-Anse.
«Beaucoup de mes proches me laissent comprendre que ce métier manuel appartient aux hommes, qu’il ne convient pas à une personne aussi chétive que moi et que je pourrais ne pas avoir d’enfants», raconte la maçonne et ferrailleuse dans la vingtaine.
Selon le Dr Grégory Beaugé, gynécologue, il existe des métiers où les deux sexes sont exposés à des produits chimiques potentiellement dangereux comme le benzène ou l’arsenic. Des activités d’athlétisme de haut niveau peuvent également créer des déséquilibres pouvant affecter la fertilité des femmes.
«Mais, selon le spécialiste, il n’y a aucune étude qui prouve que les femmes qui professent les métiers cités dans le cadre de cet article peuvent ne pas être fertiles.»
Par Junior Legrand
Image de couverture : Marceille Merloude, ferronnière spécialisée en soudure électrique, est en train de souder du fer dans l’atelier où elle travaille à Trou du Nord.
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