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Photos | Des habitants du Bel Air dorment sur le Champ de Mars. La mairie les ignore.

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«Il y en a qui ne sont pas des victimes du Bel Air et qui sont là parce qu’ils le souhaitent»

Depuis quelques années, le quartier du Bel Air, non loin du Champ de Mars, est une zone impraticable. Des membres de gang, dont l’ancien policier Jimmy Cherizier, mettent régulièrement le quartier à feu et à sang. 

Abri provisoire des déplacés

Carla Charles a dû fuir en avril 2020, après l’incendie de sa maison. Enceinte de sept mois, la jeune femme dort sur la place Occide Jeanty, au Champ de Mars, depuis bientôt un an.

« Je vivais avec une de mes tantes qui a été gravement touchée dans cet incendie. Aujourd’hui elle se trouve en province et se porte mieux, mais elle a complètement perdu l’usage de son côté gauche», explique-t-elle. 

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Comme Charles, Cadet Evelyne, 40 ans, a perdu sa maison, brûlée en avril 2020 aussi, lors d’une descente des hommes du G9. Elle est mère de trois enfants, et s’occupe d’une orpheline dont la mère a péri dans l’un des incendies. 

D’autres victimes des guerres de gang n’ont cessé d’envahir l’espace du Champ de Mars, fuyant les flammes et les balles. C’est parmi ces déplacés que nous avons rencontré Carla Charles et Evelyne Cadet. Il n’y a pas de chiffres officiels qui les recensent, mais ce jour-là ils étaient plus d’une vingtaine. 

Les branches d’arbre servent de support pour étendre le linge

Aux alentours de leur campement, quelques enfants jouent au ballon. Leur air naturel trahit à peine les conditions difficiles dans lesquelles ils vivent. Un pré-adolescent tangue légèrement sur la droite, luttant contre le sommeil. Il semble épuisé, et s’accoude à une chaise en plastique. Puis, en désespoir de cause, il tire d’on ne sait où un drap qu’il dispose sur un des bancs de la place, s’étend et finit par s’endormir.

Tout près de lui, Cadet nous montre sa place à elle, constituée d’un amoncellement de draps où d’habitude elle se couche, en se distrayant grâce à son téléphone portable.

Certains déplacés ont établi leur petit commerce

Musique, Lumière, Boissons.

Pas de réfugiés 

Pour Lucsonne Janvier, maire de Port-au-Prince, la municipalité ne reconnaît pas de déplacés sur le Champ de Mars. Le maire affirme qu’avec l’aide de l’OIM, une somme a été accordée en fin d’année 2021 à ceux qui y avaient élu domicile, qui devait leur servir à quitter les lieux. Les victimes étaient divisées en quatre groupes dont celui qui vivait sur la place Occide Jeanty. Il estime ainsi qu’il n’y a officiellement pas de déplacés recensés dans les dossiers de la mairie. 

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Le responsable de la commune de Port-au-Prince n’a pas fourni de documents pour appuyer ses déclarations. Mais une employée de l’Organisation internationale de la migration, confirme qu’un montant de 50 000 gourdes a été versé à 131 familles installées à l’époque dans l’aire du Champs de Mars. Elles venaient du Fort national, de Lakou Mouzen ou de Poste Marchand. 

Il n’est pas clair si parmi les personnes présentes actuellement, certaines ont pu bénéficier de l’aide accordée par la mairie et l’OIM. Mais, Evelyne Cadet assure qu’elle n’avait rien reçu. 

Une habitante de la place dans sa maison de fortune

La maison de fortune de l’une des habitants de la place et le peu qu’elle a pu sauver

Avec d’autres femmes qui occupent la place, elle a créé une association appelée Droit au but, qui a envoyé une correspondance à la mairie et à la Primature, afin de les informer de leur présence. Elles n’ont reçu aucune réponse, selon ses dires.

Nulle part où aller 

Lorsque sa maison est partie en fumée, Evelyne Cadet a juste eu le temps de sauver sa peau pour éviter les flammes. «J’étais à l’intérieur avec les enfants, et nous avons commencé à suffoquer, raconte-t-elle. Il y avait des tuyaux en PVC chez moi, et le feu les a fait fondre. Je me suis ruée dans la rue. Dehors nous étions plusieurs à crier et à pleurer. Certains essayaient de faire sortir des parents, d’autres, des enfants. Moi, les miens étaient sortis de la maison et m’entouraient. »

La mère de famille qui s’estime chanceuse d’être en vie dort tous les soirs sur la place Occide Jeanty. Elle n’a nulle part d’autre où aller.

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Mais au cours de la journée, il leur est difficile de rester sur la place. D’après Carla Charles, il y fait trop chaud car à cause du manque d’arbres, l’exposition au soleil est un calvaire. De plus, c’est pendant la journée que ceux qui le peuvent sillonnent les rues, pour trouver de la nourriture. 

Par ailleurs, à cause de l’insécurité, les employés du Théâtre national ont été relogés au kiosque Occide Jeanty. L’institution située non loin du portail Léogane, tout près du quartier Village de Dieu, n’échappe pas au climat de terreur que font régner les gangs armés dans cette zone. C’est ce que confirme Wilson Paullemond, employé du ministère de la Culture, dont relève le Théâtre national. 

Tente de l’un des habitants de la place

 

Gallons jaunes, bâches, congélateurs. Ils s’organisent et vivent avec ce qu’ils ont

La cohabitation entre les déplacés et les employés n’est pas toujours facile. Une fois, alors qu’il pleuvait, ils n’ont pas pu s’abriter sous le kiosque à cause de nouvelles serrures installées par les employés du théâtre.  

« Parce qu’ils le veulent » 

L’insécurité empêche la mairie de mettre sur pied un programme d’aide sociale, pour les localités les plus touchées par l’insécurité, assure le maire Lucsonne Janvier. Cependant, il estime que si la situation créée par l’incapacité des forces de l’ordre à reprendre le contrôle de certaines zones légitimait la présence jusqu’à l’année dernière de victimes, après l’aide qui leur a été allouée rien ne justifie qu’il y ait encore des « réfugiés » sur la place. 

« Ces gens pourraient rentrer chez eux si le Bel Air et les autres quartiers retrouvaient leur sérénité, je l’avoue. Il faut déjà que la police fasse son travail, mais il faut reconnaître qu’il y en a qui ne sont pas des victimes du Bel Air et qui sont là parce qu’ils le souhaitent», dénonce le maire intérimaire. 

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En outre, du dimanche 27 février au mardi 1er mars, la mairie de Port-au-Prince a emboîté le pas à celle de Jacmel en organisant l’édition 2022 du carnaval de Port au Prince. S’il s’agit là d’une aubaine pour ceux qui vendent du clairin et des boissons gazeuses, c’était une épreuve de plus pour les autres déplacés. Certains affirment qu’ils n’ont pu s’endormir que bien après la fin des festivités tous les soirs.

Image de couverture: Certains des habitants du Champs-de-Mars. Carvens Adelson / AyiboPost

Photos: Carvens Adelson / AyiboPost

Cet article a été mis à jour pour apporter des précisions sur le nombre de victimes ayant reçu une aide de l’OIM. 3.2.2022 08:50

Melissa Béralus est diplômée en beaux-arts de l’École Nationale des Arts d’Haïti, étudiante en Histoire de l’Art et Archéologie. Peintre et écrivain, elle enseigne actuellement le créole haïtien et le dessin à l’école secondaire.

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