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Comment une copie originale de l’acte de l’indépendance fut retrouvée après le séisme

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Plongée au cœur de la recherche qui a mené la Dr. Julia Gaffield, professeure d’histoire à l’Université d’État de la Georgie, à découvrir une copie originale de l’acte de l’indépendance d’Haïti, pour la première fois. Celle qui a écrit le livre « Haitian Connections in the Atlantic World » se penche désormais sur une biographie de Jean Jacques Dessalines, le père de la nation haïtienne

L’annonce tombe quelques semaines après le tremblement de terre du 12 janvier 2010. Et elle avait de quoi surprendre. Déjà par son essence : deux siècles après la révolution, une copie originale de l’Acte de l’Indépendance haïtienne refait surface. Mais surtout par la coïncidence. En février 2010, la nation haïtienne se trouve sur ses genoux. Les secousses du tremblement de terre ont englouti 300,000 citoyens, et fait s’effondrer l’économie du pays, déjà moribonde. Les dommages se chiffrent en milliards. Une dizaine de milliards de dollars américains, pour faire dans la précision.

« C’est quelque peu étrange de trouver dans cette période de tremblement de terre le document qui a créé l’État [haïtien] » déclarait alors l’archiviste Patrick Tardieu au New York Times. Celui qui authentifiera le document admet l’immensité de la découverte : « On recherchait ce document depuis des lustres ».

Clin d’œil de la providence. Coïncidence heureuse. Signe annonciateur venu d’outre-tombe… les discussions allaient bon train sur le symbolisme de la découverte. L’étudiante de 27 ans, derrière l’accomplissement préférait, elle, s’en tenir aux faits. Dans un article compte-rendu publié en 2014, Julia Gaffield, est revenue sur le mystère profond qui entourait jusqu’à date l’acte de l’indépendance d’Haïti, l’absence d’archives officielles de l’État haïtien jusqu’au milieu du XIXe siècle, les recherches officielles et officieuses, les spéculations de vols et de spoliations. Étudiante à l’Université Duke, en Caroline du Nord aux États-Unis, elle rédigeait à l’époque une thèse sur la période de l’indépendance.

10 ans après, Julia Gaffield revient sur l’épisode pour Ayibopost.

Elle évoque  la découverte d’une deuxième copie originale de l’acte de l’indépendance, et la possibilité d’un don ou d’un prêt à Haïti. Ses recherches d’aujourd’hui portent sur les moyens utilisés par les dirigeants haïtiens – malgré un rejet diplomatique international généralisé – pour construire une base économique, idéologique et juridique viable afin de pérenniser leur indépendance et leur souveraineté à une époque où la société et l’économie des plantations coloniales étaient au cœur des structures de pouvoir mondiales.


Comment avez-vous pu découvrir l’acte de l’indépendance d’Haïti ?

En 2010, je faisais les recherches pour ma thèse qui portait sur les relations d’Haïti avec d’autres pays, colonies et empires après l’acte de l’indépendance de 1804. J’avais étudié les négociations entre Jean-Jacques Dessalines et le gouverneur de la Jamaïque qui avaient commencé au milieu de 1803—Dessalines voulait établir des relations commerciales avec les Britanniques pour l’aider à obtenir son indépendance de la France.

J’avais fait des recherches à la Bibliothèque nationale de la Jamaïque à Kingston et j’ai trouvé une série de lettres entre Dessalines et le gouverneur de la Jamaïque, George Nugent. Nugent a envoyé un émissaire en Haïti à la fin de 1803 et au début de 1804 pour tenter d’établir des relations amicales avec Haïti dans le contexte des guerres napoléoniennes et pour essayer d’empêcher la propagation de la révolution haïtienne à la Jamaïque.

L’émissaire est arrivé pour l’une de ses visites en janvier 1804 et pendant son séjour, on lui a remis un exemplaire imprimé de l’acte de l’indépendance—le gouvernement haïtien voulait que les gouvernements étrangers sachent qu’ils avaient déclaré l’indépendance de la France et ils voulaient que cette indépendance soit reconnue officiellement. L’émissaire a remis le document—une brochure de 8 pages—au gouverneur de la Jamaïque. À la Bibliothèque nationale de Jamaïque, j’ai vérifié qu’elles n’ont qu’une copie manuscrite du document. Mais j’ai examiné une lettre d’accompagnement écrit par l’émissaire qui confirme qu’il avait reçu un document imprimé, donc je savais que je devais continuer à chercher.

Mon prochain voyage de recherche était à Londres parce que je voulais comprendre le contexte impérial des négociations entre Dessalines et Nugent. Il s’avère que le gouverneur de la Jamaïque a envoyé l’acte de l’indépendance imprimée à ses supérieurs à Londres en mars 1804.

 

Vous avez retrouvé le document quelques semaines après le tremblement de terre du 12 janvier 2010 qui a fait environ 300,000 morts en Haïti. À cette époque, on parlait d’une coïncidence heureuse. 10 ans après, comment voyez-vous cette date ? Garde-t-elle le même symbolisme ?

Ce fut une coïncidence remarquable que j’ai trouvé l’acte de l’indépendance juste après le tremblement de terre. Le moment a permis aux gens autour du monde de lire cet important document, beaucoup pour la première fois. Face à une tragédie aussi immense, ce fut un rappel de la puissante histoire d’Haïti.

Cependant, aujourd’hui, la coïncidence semble importante pour différentes raisons. Les messages de l’acte de l’indépendance ont pris un nouveau sens dans le contexte d’une augmentation de l’intervention étrangère, d’une inégalité mondiale croissante et d’un état prédateur. Dessalines a défendu les droits de tous les citoyens et a expulsé les tyrans étrangers – dans la décennie qui a suivi le tremblement de terre, ce message résonne certainement.

Pourquoi était-ce si difficile de trouver une copie originale de l’acte de l’indépendance d’Haïti ?

Dans de nombreuses études sur le XIXe siècle en Haïti, les historiens soulignent qu’Haïti a été isolé après l’indépendance ; ce qui est vrai en partie, car le pays n’a été reconnu diplomatiquement qu’en 1825 et plus tard.

Cette perspective, cependant, a limité la recherche archivistique internationale sur Haïti, surtout après 1804. Mais j’ai soupçonné que, malgré la non-reconnaissance diplomatique, Haïti n’était pas vraiment isolé et j’ai donc voyagé dans sept pays pour en savoir plus sur la période juste après 1804.

À Londres, j’ai découvert que le document donné à Nugent a été catalogué aux Archives nationales du Royaume-Uni avec les documents coloniaux de la Jamaïque et n’était pas facilement consultable dans le catalogue d’archives—cela a changé, heureusement !

Qu’avez-vous ressenti quand vous aviez découvert le document dans un des classeurs des Archives nationales de la Grande-Bretagne ?

Ce fut un moment très excitant—c’est l’un des documents les plus importants de l’ère de la révolution et c’est la deuxième acte ou déclaration d’indépendance réussie du monde.

Mais il est difficile de célébrer dans une grande salle de lecture pleine d’étrangers qui sont tous très sérieux au sujet de leurs propres recherches. J’ai photographié le document et continué mes recherches—le même dossier contient d’autres documents importants sur les négociations entre Haïti et la Jamaïque.

Est-il possible que d’autres copies originales du document existent ailleurs dans le monde ?

L’année suivante, je suis retourné à Londres pour faire le suivi de certaines sources et j’ai trouvé un deuxième exemplaire de l’acte de l’indépendance dans les mêmes archives—celle-ci a été cataloguée dans les registres de l’amirauté jamaïcaine. Il avait été retiré du livre et catalogué sous forme de carte, car il s’agit d’un gros tirage. Les deux documents imprimés aux Archives nationales du Royaume-Uni sont les deux seuls exemplaires officiels connus de l’acte de l’indépendance.

D’autres transcriptions et traductions manuscrits existent dans d’autres archives, mais aucune d’entre elles n’est une version officielle. Il est possible qu’il existe d’autres exemplaires imprimés — je continuerai certainement à chercher !

En termes de contenu, qu’est-ce qui différencie le document original découvert des versions publiées ailleurs notamment dans les journaux de l’époque ?

Les deux disparités sont qu’Haïti a été orthographié « Hayti » et au lieu de « idéux » le document officiel dit « fléaux ».

Pourquoi la Grande-Bretagne ne retourne-t-elle pas l’acte de l’indépendance en Haïti ? Y a-t-il quelque chose que le gouvernement haïtien puisse faire en ce sens ?

Le gouvernement haïtien a envoyé le document aux Britanniques, il n’a donc pas été volé ou pris illégalement.

Je pense que ce serait merveilleux si l’un des deux documents pouvait être retourné ou à tout le moins être prêté et affiché au MUPANAH.

Historiquement, pourquoi l’original de l’acte demeure un document important ?

Je pense que c’est symboliquement très important—c’est un rappel physique du succès de la Révolution haïtienne, l’un des événements les plus importants de l’histoire du monde moderne.

Ma découverte a également permis à de nombreux étrangers qui ne connaissaient pas l’histoire d’Haïti de se renseigner sur la Révolution. Le document physique, et où il se trouve, raconte également une histoire importante sur la diplomatie internationale (c’est l’histoire que j’explore dans mon livre, Haitian Connections in the Atlantic World : Recognition after Revolution).

Au niveau international Toussaint Louverture est plus connu et célébré que Jean Jacques Dessalines. Pourquoi à votre avis l’héritage révolutionnaire de Dessalines est presque invisible en dehors d’Haïti ?

Je pense que cela vient en grande partie de l’idée que Louverture était plus disposé à faire des compromis et que Dessalines était beaucoup plus radical—ce binaire réduit la complexité de tous les deux.

De nombreux étrangers—y compris des historiens—se sont concentrés sur l’analphabétisme présumé de Dessalines et son exécution de la plupart des citoyens blancs français qui sont restés en Haïti après l’acte de l’indépendance. Cette concentration a empêché une analyse vraiment réfléchie de ses contributions politiques et idéologiques révolutionnaires à l’ère de la révolution. J’écris actuellement une biographie de Dessalines et j’espère changer sa perception populaire à l’étranger.

Comme historienne passionnée de l’histoire d’Haïti, que souhaiteriez-vous que les gens sachent d’Haïti et de sa révolution ?

Mon objectif est toujours de souligner la centralité d’Haïti dans l’histoire du monde—la Révolution haïtienne est au centre de l’histoire de l’abolition, de l’État-nation et des débats sur la citoyenneté et les droits de l’homme. Nous avons tant à apprendre de l’histoire d’Haïti.

Pourquoi est-ce important d’enseigner la révolution haïtienne aux États-Unis ?

Enseigner et étudier la Révolution haïtienne en relation avec la Révolution américaine et la république est vraiment important, car il met en évidence les limites de la Révolution américaine.

La révolution haïtienne met en évidence les limites de la Révolution américaine.

En plus, cette histoire nous offre un voie alternative centrée sur la liberté universelle et la citoyenneté universelle. De même, il est important d’étudier la réponse des États-Unis à la révolution haïtienne—les États-Unis n’ont reconnu Haïti qu’en 1862. Si l’on place l’Haïti au cœur de l’histoire de la liberté, des droits universels et de la démocratie, on remet en question le méta-narratif du triomphalisme américain et on reconnaît les contributions idéologiques et humanistes de la diaspora noire.

Vous avez publié un long texte sur Amazon pour dénoncer une utilisation abusive de Toussaint Louverture par Ben Horowitz qui était dans le pays pour le Haiti Tech Summit en 2017. Expliquez-nous en quoi consistent les problèmes de son analyse et pourquoi est-ce important de lutter contre ces formes d’appropriations historiques.

Oui, Ben Horowitz a mal lu et déformé l’histoire de la Révolution haïtienne. Il disait que les hommes et les femmes réduits en esclavage n’avaient pas de « culture » et que, pendant la Révolution, Louverture les « reprogrammait » pour les élever au niveau des citoyens français. Il fait ensuite valoir que les entreprises du 21e siècle peuvent également « reprogrammer » la culture au travail. C’est une horrible analogie basée sur une incompréhension complète de l’histoire. C’est encore plus dévastateur puisqu’il défend des entreprises comme Amazon qui sont connues pour leurs violations des droits humains. Cela me signale un besoin désespéré d’une compréhension plus large et plus profonde de l’histoire d’Haïti, qui vient d’un endroit de respect.

Pourquoi la jeune étudiante dans la vingtaine que vous étiez s’est-elle intéressée à l’histoire d’Haïti ?

Lorsque j’étais étudiante à l’Université de Toronto en 2004, je me suis inscrite dans un cours intitulé « Introduction à l’histoire des Caraïbes » enseigné par le professeur Melanie Newton. Elle nous a enseigné The Black Jacobins par C.L.R. James et j’étais fascinée par l’histoire de la Révolution. C’était une histoire dont je n’avais jamais entendu parler, mais j’ai soupçonné immédiatement que c’était un moment si important dans l’histoire du monde. C’est l’une des raisons que la révolution haïtienne est une composante de tous les cours que je donne à l’Université de l’état de Géorgie.

Photo couverture: Georges Harry Rouzier

Widlore Mérancourt

Widlore Mérancourt est éditeur en chef d’AyiboPost et contributeur régulier au Washington Post. Il détient une maîtrise en Management des médias de l’Université de Lille et une licence en sciences juridiques. Il a été Content Manager de LoopHaïti.

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