Si l’année scolaire s’avérait difficile, des écoles dans la zone métropolitaine ont institué diverses stratégies en vue de surmonter les contraintes
Hausse de la violence armée, pillage, attaques des élèves… de nombreuses difficultés perturbant l’année académique 2022-2023 ont forcé des établissements de la zone métropolitaine de Port-au-Prince à adopter de nouvelles stratégies en vue de tirer l’année du péril, selon des témoignages récoltés par AyiboPost auprès de certains directeurs.
Dans différentes régions du pays, des menaces et attaques perpétrées contre des établissements ont sapé la rentrée pour octobre fixée par le Ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle (MENFP) en 2022.
Selon le Fonds des Nations-Unies pour l’éducation (UNICEF), pas moins de 1 700 établissements scolaires ont dû fermer leurs portes en 2022 dans la région métropolitaine de Port-au-Prince. Dans certaines circonstances, il a même été nécessaire de procéder au déplacement physique des écoles.
Pas moins de 1 700 établissements scolaires ont dû fermer leurs portes en 2022 dans la région métropolitaine de Port-au-Prince.
En raison de l’insécurité persistante à Delmas 6, les cours pour l’année académique 2022-2023 au Lycée Daniel Fignolé n’ont pu débuter qu’en janvier 2023 puis se sont interrompus en février, le temps pour l’institution de prendre refuge dans les locaux de l’École Nationale du Canada à Delmas 3 et au Collège Immaculé Conception de Delmas 11. En mai 2023, le lycée a malheureusement été la cible de vandalisme et de pillages perpétrés par des groupes de gangs du bas de la ville.
«Nous avons une salle informatique de près de 30 ordinateurs et d’autres matériels de bureau, ils ont pénétré le lycée et tout emporté sur leur passage », relate à AyiboPost le directeur de l’institution Karnold Annelas.
À l’heure actuelle, le lycée dispose d’un millier d’élèves, comparativement à l’année dernière où il y avait plus de 2 000 écoliers, déclare le directeur. «Beaucoup d’élèves provenant des zones, telles que Mayard, Bel Air, Sans Fil ou Cité Cadet ont abandonné l’établissement , selon Annelas.
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En réalité, environ 10 % des élèves abandonnent leur scolarité avant d’atteindre la 6e année fondamentale, tandis que près de 40 % quittent l’école avant d’achever la 9e année, comme le révèlent les estimations d’une analyse sectorielle nationale menée en 2019 par l’UNESCO. Cette situation n’est pas exclusive à cette région, et elle se retrouve également dans d’autres zones géographiques.
Environ 10 % des élèves abandonnent leur scolarité avant d’atteindre la 6e année fondamentale, tandis que près de 40 % quittent l’école avant d’achever la 9e année.
Kendy Nicolas, directeur de l’Enseignement fondamental au MENFP, prend la mesure du phénomène. «Il y a des endroits où les écoles ne pouvaient pas fonctionner et les locaux des établissements servent de repaire aux bandits», révèle Nicolas. Selon le responsable, c’est le cas des zones comme Martissant, Grand Ravine, Fort Mercredi, Saint-Jude, Solino, où les bandits ont tout dérobé, du matériel de bureau aux portes.
Galingdo Bellegarde Michel est le responsable pédagogique pour l’établissement Jean Michel Bellegarde de Bon Repos. «À partir du mois de mai, la situation de l’insécurité a commencé à s’empirer et nous étions obligés de travailler avec précipitation, ce qui inclut mettre fin aux cours plus tôt que prévu », déplore Bellegarde. La situation aux environs de l’école a dégénéré par suite des agissements des gangs opérant à Canaan qui étendent leurs tentacules sur les zones environnantes. Le nombre d’élèves fréquentant les établissements perturbés par les activités des gangs a également considérablement diminué.
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Il n’est pas nécessaire de se trouver dans une localité sous le contrôle des bandits pour subir leurs assauts. «Nous n’étions pas dans une zone difficile, mais des élèves provenant notamment de zones difficiles d’accès comme Pernier, ne pouvaient pas venir à l’école », témoigne à AyiboPost Régis Jeanice, responsable de l’institution Nouvelle Source, située sur la route de l’aéroport.
Il n’est pas nécessaire de se trouver dans une localité sous le contrôle des bandits pour subir leurs assauts.
Une centaine des 1000 élèves de l’établissement ont émigré aux États-Unis dans le cadre du programme Humanitarian Parole lancé en janvier 2023, révèle un responsable. Ce programme affecte aussi le MENFP. Plusieurs départements observent une fuite des cadres vers les États-Unis d’Amérique, ce qui laisse un vide considérable. « Dans ma direction, j’ai perdu cinq cadres l’année dernière, révèle Kendy Nicolas, directeur de l’Enseignement fondamental au MENFP. Trois d’entre eux sont spécialisés dans l’élaboration des textes d’examens, ce qui a rendu cette tâche plus difficile à réaliser ».
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En Haïti, 500 000 enfants ont perdu l’accès à l’éducation en raison de la violence liée aux gangs selon une note de l’UNICEF sortie le 5 mai 2022. Même les écoles perçues comme privilégiées se sont trouvées en mauvaise posture cette année.
Par exemple, l’établissement Catts Pressoir a été impacté par les fermetures temporaires des classes. Ce qui a perturbé leur programme. Pour faire face à cette situation, Catts Pressoir a été contrainte d’utiliser une plateforme numérique créée depuis la pandémie du Covid-19, afin de dispenser des cours virtuels et organiser des travaux académiques. Cette plateforme est associée à un compte Zoom professionnel permettant de réunir 24 classes virtuelles simultanément.
«On a utilisé un système plutôt mixte puisque nous n’ignorons pas le fait que le problème d’internet est général et que son accès pour les enfants reste difficile», déclare à AyiboPost le directeur de l’institution, Guy Étienne. Ainsi, même lorsque les enseignants dispensent les cours en ligne, leurs présentations sont enregistrées et mises à disposition sur la plateforme, permettant aux élèves ayant accès à Internet pendant la nuit de consulter ces cours ultérieurement.
Nous n’étions pas dans une zone difficile, mais des élèves provenant notamment de zones difficiles d’accès comme Pernier, ne pouvaient pas venir à l’école.
«Nous avons également intensifié la stratégie des projets pédagogiques », rapporte le directeur Guy Étienne. Il s’agit d’une approche où les élèves ont des recherches à réaliser, des montages sur bande sonore ou vidéoclips, etc. Cette approche par projet pédagogique a permis de voir intégralement le programme prévu et les résultats sont très satisfaisants, selon le responsable. « Nous avons découvert ces trois dernières années que les élèves développent des capacités énormes à travers les projets pédagogiques », confie l’éducateur Guy Étienne.
Si Catts Pressoir n’a pas enregistré d’échecs scolaires cette année, l’établissement a dû faire face à une déperdition énorme : environ 35 % d’un effectif de 850 élèves ont quitté le pays en raison de l’insécurité. Ce qui n’est pas sans conséquence sur les finances de l’école.
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Dans les écoles moins bien loties, l’insécurité affecte grandement le rendement des élèves.
Lors des examens du 1er contrôle au lycée Daniel Fignolé par exemple, le taux de réussite était de 60 %. En temps normal, le rendement avoisinait les 80 %, selon les responsables.
Le taux de réussite à la Nouvelle Source avoisine normalement 95 voire 100 %, selon des responsables. Cependant, la section fondamentale a connu une baisse de 60 à 75 % du taux de réussite en 2023, informe Régis Jeanice, responsable de l’établissement. «Notre problème était plus psychologique » analyse Jeanice.
Si l’année scolaire s’avérait difficile, des écoles dans la zone métropolitaine ont institué diverses stratégies en vue de surmonter les contraintes.
L’institution Nouvelle Source a maintenu ses cours à distance pendant près d’un mois au début de l’année académique, précise Régis Jeanice. Une pratique déjà de mise depuis la pandémie du Covid-19 et qui continue dans le cadre d’autres activités de l’école.
En Haïti, 500 000 enfants ont perdu l’accès à l’éducation en raison de la violence liée aux gangs selon une note de l’UNICEF sortie le 5 mai 2022.
Après sa relocalisation, le lycée Daniel Fignolé a bénéficié d’un programme de cours intensif qui inclut les week-ends mis en place par le MENFP.
Pour l’institution Jean Michel Bellegarde, les examens ont été réalisés en trois jours au lieu des six jours habituels. L’horaire des cours s’est vu rallongé d’une heure de plus avec des cours en week-end afin de compenser les retards. « Nous avons bouclé le programme, mais c’est vite fait, car nous n’avons pas pu continuer comme au début », admet Gallingdo Bellegarde Michel, directeur pédagogique.
Depuis l’année dernière, le MENFP a mis en place des centres permanents d’évaluation afin de faciliter les élèves résidant dans des endroits sous le contrôle des gangs de subir les épreuves officielles. Un total de 313 278 candidats devait subir les examens d’État de 2023.
© Image de couverture : David Lorens Mentor/AyiboPost
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