Une année de violence et de victoires mitigées
Les organisations féministes viennent de vivre une année éprouvante, teintée néanmoins de victoires symboliques et prometteuses. Elles abordent le Nouvel An tenaillé par un problème de financement, alors que les violences et féminicides se multiplient.
Une avancée notable se trouve dans le nouveau Code pénal publié par l’actuelle administration en juillet dernier. Les articles 328 et 329 de la législation « en révision » maintenant, à cause des protestations, dépénalisent l’avortement sous certaines conditions. Ce faisant, Haïti suit la Thaïlande et l’Argentine. De nombreux articles du décret qui établit le Code pénal protègent les homosexuels contre les violences.
Plusieurs organisations féministes interrogées déplorent le caractère illégal du décret, son instrumentalisation politique, et le manque de débat qui entoure son élaboration, qui d’ailleurs était en œuvre bien avant l’entrée en scène du pouvoir de Jovenel Moïse.
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« L’avortement a été dépénalisé, mais comment fonctionne l’hôpital général, se demande Sabine Lamour, coordonnatrice de la Solidarité des Femmes haïtiennes. Parce que les femmes qui ont les problèmes d’avortement dans le pays, ce ne sont pas celles de la bourgeoisie ou de la classe moyenne. »
Le caractère progressiste de certains articles du Code donne aussi lieu à une remontée de l’intégrisme religieux dans le débat public.
Danièle Magloire est membre fondatrice et l’une des dirigeantes de Kay Fanm. Elle dit observer des personnalités religieuses qui profitent de leur sermon pour s’attaquer aux organisations féministes ou les femmes qui se disent féministes. Certains politiciens haïtiens soutiennent ces diatribes sexistes et misogynes dans l’espoir de capter un électorat.
Dossier Dadou
L’autre victoire concerne le bannissement « à vie » de l’ancien dirigeant de la Fédération haïtienne de Football, Yves Jean Bart, par la Fédération internationale de Football, pour viol et agressions sexuelles sur au moins quatorze joueuses, dont certaines étaient mineures à l’époque des faits.
La justice haïtienne a cependant blanchi l’ancien homme fort du football haïtien, sans avoir écouté une seule victime. Le juge qui a rendu la décision raconte qu’il a contacté sans succès certaines organisations bien en vue dans le dossier.
« Ils ne nous ont jamais convoqués, réplique Danièle Magloire. Nous avons partagé toutes les informations que nous avions, avec eux. Mais nous savons très bien dans quel pays, nous vivons : il n’était pas question que des victimes se présentent sur la place publique. »
2020 a été l’année du Covid-19. Après la médiatisation du premier cas de la maladie en Haïti, en mars 2020, les activités économiques, déjà assommées par la crise politique, ont ralenti davantage. Les portes des écoles, marchés, bars, restaurants ou hôtels étaient closes ou fonctionnaient en sous-capacité. Dans le secteur de l’industrie, des milliers de personnes, principalement des femmes, se sont trouvées au chômage.
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« Les femmes sont les premières à subir la crise économique, soutient Danièle Magloire. Selon l’organisation de la société, continue la militante, ce sont elles qui sont en bas de l’échelle et ont les emplois les moins bien payés et les plus précaires. Lorsque les routes sont bloquées, elles sont les premières à ne pas pouvoir aller travailler. Et avec le phénomène de la paternité irresponsable en Haïti, elles doivent se débrouiller pour élever seules leurs enfants. »
Pour se protéger du Covid-19, le lavage des mains était une des mesures préconisées. Les femmes et jeunes filles ont très certainement travaillé plus, sachant qu’elles sont souvent responsables d’aller récupérer de l’eau potable notamment dans les quartiers défavorisés.
Pour 2021, ONU Femmes prévoit une augmentation de 9,1 % de la pauvreté des femmes dans le monde. Il n’y a qu’un pays sur huit à travers le monde qui a pris des mesures visant à atténuer les conséquences des crises économiques et sociales causées par Covid-19 sur les femmes. Haïti n’en fait pas partie.
Nathalie E. Vilgrain est coordonnatrice de l’organisation Marijàn. Elle soutient que son organisation avait proposé une prise en charge genrée du COVID-19 au gouvernement haïtien, mais rien n’a été fait.
Gangs tout puissants
Le pays a vu une recrudescence de l’insécurité l’année dernière, avec un lot de massacres dans des quartiers défavorisés comme Cité-soleil, Bel-Air et La Saline. Le kidnapping est devenu une industrie criminelle florissante. Il occasionne régulièrement des viols collectifs sur les femmes victimes. Évelyne Sincère, 21 ans, kidnappée, violée puis tuée en novembre fut l’un des cas les plus emblématiques.
Aucune recherche ne vient confirmer une recrudescence des actes de violence contre les femmes à cause du coronavirus. La Fondation Toya et SOFA remarquent cependant une hausse statistique, par rapport à 2019.
« Ce qui a le plus attiré notre attention, c’est que l’on recevait des plaintes des personnes de la classe aisée ou moyenne, qui d’habitude ne demandent pas de support lorsqu’elles subissent un cas de violence dans leur famille », observe Sabine Lamour, coordonnatrice de SOFA.
Pour l’année académique 2019-2020, 74 adolescentes sont tombées enceintes dans huit écoles à Beaumont, dans le département de la Grand’Anse. On y décompte 44 mineurs. Être enceinte ne devrait pas être un problème en soi, parce que les filles n’étudient pas avec leur utérus analyse Danièle Magloire. Mais la grossesse reste l’un des principaux facteurs de décrochage scolaire chez les filles en Haïti.
« Cela ne fait aucun sens qu’en plein 21e siècle, dès un rapport sexuel ou dès leur premier rapport sexuel, des filles tombent enceinte, alors que la science nous donne des moyens de nous protéger, pour ne pas avoir des grossesses non désirées grâce à la contraception », scande Danièle Magloire.
Attaques en haut lieu
Les violences contre les femmes ont été un peu plus banalisées en 2020, notamment sur le web avec une augmentation de 13 % de la consommation d’Internet.
En septembre, le ministre de la Culture a publié sur son compte Facebook un message où il attaquait les organisations féministes. Cette attaque fait suite aux appels des organisations militantes qui exigeaient que lumière soit faite dans un dossier de viol et d’agression sexuelle sur diverses femmes, impliquant l’actuel directeur de la Bibliothèque nationale d’Haïti.
Pour Nadine Louis, coordonnatrice de la Fondation Toya, il s’agit d’une « stratégie pour pousser les femmes à faire silence sur les violences qu’elles ont subie ».
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Cette banalisation de la violence en générale et envers les femmes en particulier, se retrouve aussi dans les cas de viols collectifs dans les massacres perpétrés dans les quartiers populaires. Sabine Lamour parle d’une forme de gouvernabilité du pouvoir en place, appelée « bandit légal ». Cette forme de gouvernabilité est associée à une masculinité toxique où le viol collectif est devenu un instrument de terreur.
En janvier 2021, SOFA a déjà recensé six cas de féminicides à Port-au-Prince et dans les zones avoisinantes. De janvier 2018 à janvier 2021, cette organisation dit avoir recueilli 50 cas de féminicides sur tout le territoire national.
2021 annonce des crises sociopolitiques, l’aggravation de l’insécurité et la permanence du Covid-19, avant la distribution des vaccins, et les bailleurs de fonds se raréfient ou s’impliquent moins. Dans un tel contexte, le risque pour qu’il y ait augmentation des violences envers les femmes durant l’année est élevé. Car en situation de crise, ce sont les femmes qui se retrouvent en difficultés ou davantage fragilisées.
Pour les organisations féministes, 2021 est une année de combat.
Hervia Dorsinville
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