AYIBOFANMSOCIÉTÉ

En Haïti, avorter est un crime. Les femmes en paient les frais.

0

Interdit par la loi, l’avortement demeure très répandu en Haïti. La clandestinité de la pratique occasionne des complications souvent fatales pour les femmes

Avant son dernier avortement, Joséphanie Saint-Villien n’avait pas vu ses règles depuis deux mois. N’étant pas prête pour avoir un enfant, elle s’est rendue chez un médecin, la peur au ventre. « Je suis rentrée dans la salle pour effectuer une opération connue sous le nom de curetage », se souvient Saint-Villien.

En vrai, la jeune femme de 29 ans compte neuf interruptions volontaires de la grossesse (IVG). Elle n’est pas la seule à emprunter régulièrement cette solution ultime pour se défaire d’une grossesse non désirée. Environ sept femmes sur dix en Haïti n’utilisent aucune méthode de contraception selon le rapport Emmus VI.

Or, l’article 262 du Code pénal haïtien considère l’avortement comme un crime. Ce qui oblige médecins légitimes et charlatans à s’occuper des patients dans la clandestinité. « J’ai hurlé de toute mes forces lors de mon premier avortement, se rappelle Saint-Villien. Sans anesthésie, le médecin a procédé à une intervention fortement douloureuse. Des trucs en forme de pince en métallique ont été insérés dans mon vagin pour expulser morceau par morceau le fœtus », explique celle qui a dépensé en tout 2000 gourdes pour l’opération.

Une violation des droits des femmes

Joséphanie Saint-Villien s’en est sortie indemne, mais régulièrement, des femmes meurent ou subissent de lourdes conséquences après des avortements souvent pratiqués par des individus non qualifiés. « À cause de la pénalisation de la procédure, les femmes recourent à des méthodes alternatives d’avortements qui causent des préjudices considérables sur leur santé et leur vie. Ce, pour éviter d’être punie par la justice », déplore Pauline Lecarpentier, avocate et secrétaire générale du Bureau des droits humains en Haïti (BDHH).

À la maternité Chancerelles, seul hôpital de l’État haïtien spécialisé en gynécologie, Chantal Datus Junior atteste que les cas de complications après avortement sont légion.

À la maternité Chancerelles, seul hôpital de l’État haïtien spécialisé en gynécologie, Chantal Datus Junior atteste que les cas de complications après avortement sont légion. En moyenne, explique le directeur médical de la maternité, le centre en reçoit 12 par semaine, soit 48 par mois. « Généralement, les matériels utilisés [par les médecins charlatans] transpercent la matrice des femmes et atteignent parfois l’intestin du patient. Ce phénomène s’appelle perforation », fait remarquer Chantal Datus Junior.

Ces situations qui auraient pu être évitées si l’avortement était dépénalisé empiète sur les droits des femmes, selon Lecarpentier. « La pénalisation de l’avortement viole le droit des femmes à disposer de leur corps », précise celle qui appelle à sensibiliser davantage les femmes sur ce sujet et à promouvoir l’accès aux méthodes contraceptives.

Les procédés sont multiples

Joséphanie Saint-Villien est à nouveau enceinte depuis tantôt sept mois. « Vous risquez de perdre votre vie si vous avortez », lui a prévenu son médecin. Deux de ses neuf avortements ont été réalisés à l’aide d’une pilule dénommée Cytotec. Ce médicament très répandu se vend sans ordonnance médicale dans presque toutes les pharmacies. D’autres composés à base de plantes médicinales sont aussi utilisés en Haïti pour obtenir une IVG.

Lisez également: J’avorte, et alors!

À chaque occurrence, Joséphanie Saint-Villien relate avoir, durant 3 à 4 jours, un saignement et des douleurs atroces au niveau de son abdomen. « [Pour les dernières IVG], je n’ai pas eu de complications. L’opération s’est faite à l’aide d’un tube qu’on insère dans mon vagin après l’injection des anesthésies », rapporte Saint-Villie qui s’est dirigée vers une clinique pour limiter les complications.

L’avortement provoqué ou spontané

Avec les méthodes contraceptives, l’avortement permet d’éviter les grossesses non désirées. « Parler de l’avortement revient à évoquer plusieurs situations » élabore Chantal Datus Junior, directeur médical de la maternité de l’hôpital Isaïe Jeanty-Léon Audain. « L’avortement provoqué, également appelé IVG, peut être déclenché de plusieurs façons, notamment par la prise de médicaments (abortifs) ou par l’aspiration du fœtus. »

L’avortement peut aussi être spontané. C’est-à-dire, lorsque l’acte se produit sans avoir été recherché. « Il peut survenir par suite de problèmes de santé, de complications durant la grossesse ou à [cause] de facteurs d’ordres génétique ou chromosomique », dit le médecin. Dans le cas de l’avortement spontané, on parle aussi de fausse-couche.

Des complications

Plus loin, Chantal Datus Junior relate que l’intervention faite dans des contextes inappropriés peut avoir des impacts négatifs sur le long terme. « Lorsque l’acte est mal exécuté, le col de la matrice peut être gravement fragilisé et même aboutir à l’infertilité », remarque-t-il.

Parmi les autres cas de complications reçus dans son hôpital, le directeur médical fait mention des femmes qui ont eu une suite ininterrompue de sang après l’avortement. En marge de leur traitement à l’hôpital de Chancerelles, poursuit le médecin, plusieurs patients perdent leur vie ou leur utérus et n’arrivent plus à enfanter durant toutes leurs vies.

Le projet d’un nouveau Code pénal devrait adresser le problème de la pénalisation de l’avortement en Haïti. Le parlement étant dysfonctionnel, le vote de ce texte n’est pas pour demain. En plus, les quelques supporteurs de la décriminalisation de la procédure médicale devront s’affronter aux objections de l’Église catholique et des religieux qui estiment que l’IVG constitue un péché.

Journaliste à AyiboPost. Communicateur social. Je suis un passionnné de l'histoire, plus particulièrement celle d'Haïti. Ma plume reste à votre disposition puisque je pratique le journalisme pour le rendre utile à la communauté.

Comments

Leave a reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *