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Avoir 20 ans en Haïti

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Je souris. Je suis heureuse. Je me trémousse dans mon jean moulant et mon débardeur rose bonbon. Je fais semblant de souffler sur des bougies imaginaires qui seraient posées sur l’énorme gâteau qu’il m’a si gentiment commandé. Il se déplace et vient s’installer à mes cotés, entourant mes maigres épaules de ses bras forts. Bernard Cotin a déjà plus de quarante ans. Il est marié. Il a deux enfants et j’ai choisi d’être amoureuse de lui. Je sais qu’il m’aime lui aussi, enfin je crois qu’il aime bien ma jeunesse, mes courbes généreuses et mon petit coté extravagant. Il fait de son mieux pour qu’on arrive à se voir rien que nous deux, dans ces luxueuses chambres d’hôtel où il avoue n’avoir jamais emmené sa femme. Selon Bernard, rien n’est trop cher pour nous deux, surtout rien n’est trop cher pour moi. Je suis bien tentée d’en abuser parfois, lorsque je n’arrive pas à le rencontrer deux fois par semaine comme convenu. En plus d’exiger de lui mes mensualités universitaires, je profite de ses largesses pour me faire une garde-robe des plus élégantes. Cette société comme le dit si bien ma mère ne fonctionne que sur les apparences…

Aujourd’hui j’ai vingt ans. Je souris. Je n’ai qu’une vie à vivre. Mon sourire ne reflète pas la souffrance sourde qui m’habite. Depuis plus de quinze ans, j’ai appris à faire de mon visage un masque impassible, étranger à la foule d’émotions, de douleurs, de rêves qui tourbillonnent dans mon moi le plus secret. Je me demande souvent ce qu’aurait été ma vie si mon père n’avait pas abandonné ma mère avant même que je ne sois née ? Aurais-je également eu l’opportunité de poursuivre mes études universitaires aux Etats-Unis ? D’avoir mon propre véhicule à 20 ans seulement ? De manger le dimanche en famille ? Me serais-je intéressée aux jeunes hommes de mon âge qui s’entêtent à vouloir m’aborder malgré toutes mes velléités pour les éloigner ?

J’ai tôt fait de comprendre que les jeunes garçons de mon âge ne pouvaient m’apporter que des ennuis, me détourner de mes objectifs, profiter de moi sans que j’en tire aucun avantage. Je n’ai jamais eu cette naïveté de croire en l’amour pour l’amour ! Je me sens fière d’avoir pu dépasser ces futilités, de pouvoir jouer le jeu de l’amour pour qu’il soit au service de mes intérêts. Après tout, il ne s’agit que d’une comédie grotesque à laquelle ma mère s’est laissée piégée. Elle pourtant, je l’aime.

J’ai vingt ans et déjà mes propos sont amers. Je n’ai pas eu d’autres choix que de me doter de cette attitude pour refuser de survivre dans un pays où l’espoir s’apparente à une utopie. Je veux vivre, vivre en dehors de leurs conventions, ignorer leurs excuses. Je refuse d’être une victime de la vie, quoiqu’il m’en coûte, par tous les moyens je réussirai. Pourquoi s’encombrer d’un semblant de morale, alors que tous ceux qui la prônent sont les premiers à ne pas s’y fier ?

J’ai vingt ans et mon avenir est tout tracé dans ce brouillard qui aveugle tous les autres. Après Bernard, il y en aura surement d’autres plus friqués, plus influents dans ce pays de marionnettes. Dans deux ans, visa en poche, je quitterai ce pays sans regrets.

J’ai vingt ans et mon avenir, il est ailleurs, loin de ce maudit pays !

Très attachée à mon cher pays, je demeure une personnalité ouverte, qui à travers sa profession de juriste et son implication au sein de diverses organisations soutient le projet du renouveau d’Haïti.

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