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Au secours ! Le cri persistant de Petite-Rivière de l’Artibonite abandonnée aux bandits

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Depuis plus d’une semaine, la coalition des gangs de Baz Gran Grif et de Nan Palmis prend en otage les Rivartibonitiens. À bout de souffle, des milliers de vie crient en vain au secours de l’État

Vendredi 28 octobre 2022. Il est près de minuit quand le téléphone de Briguel Pierre Louis sonne. Il se réveille en sursaut. Il avait enfin réussi à dormir quelques heures, pour la première fois depuis le samedi 22 octobre, lorsque les bandits de Savien ont attaqué le centre-ville de Petite-Rivière de l’Artibonite.

L’appel venait d’amis vivant dans d’autres quartiers de la ville, qui le mettaient en garde. « Ils m’ont dit que les malfrats se préparaient à attaquer, et qu’il fallait rester sur le qui-vive. » L’homme de 30 ans, technicien en mécanique d’entretien industriel, est connu dans son quartier pour avoir l’habitude d’organiser des activités socioculturelles. Tout de suite il sort dans la rue, et court vers les barricades érigées tant bien que mal pour freiner les assauts des bandits. « J’ai dit aux gars ce que je venais d’apprendre, leur disant d’ouvrir les yeux, et je suis passé voir d’autres quartiers. »

Entre les gangs et la population, l’affrontement paraît imminent.

Ce 1er novembre, alors qu’il nous parle au téléphone, la voix de Pierre Louis trahit sa lassitude. Comme lui, la plupart des habitants de sa rue – et de quartiers avoisinants, n’ont pas fermé les yeux depuis douze jours, anxieux à l’idée de subir les représailles du gang Baz Gran Grif, et de nan Palmis. Depuis douze jours, selon ses dires, le haut de la ville de Petite-Rivière s’est retranché.

Des membres de la population érigent une barrière-barricade à l’entrée du centre-ville, à Pon Bouk, ainsi nommé dans la ville.

Des barricades d’objets hétéroclites entassés jusqu’à empêcher la circulation leur accordent un semblant de répit. Un répit fragile. Des hommes et des femmes veillent ; certains sont armés. Entre les gangs et la population, l’affrontement paraît imminent.

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Le centre-ville de la commune au Fort de Crête-à-Pierrot et au « Palais aux 365 portes » est divisé en deux : le haut du bourg et le bas. Au bas, les gangs font déjà la loi, malgré la présence d’un commissariat de police. « Une quinzaine de maisons ont été brûlées depuis quelques jours, plus de 60 autres, y compris des entreprises, ont été pillées. Les gens ont été obligés de quitter leurs maisons, et jusqu’à présent le pillage se poursuit », explique Désir Vénès, journaliste, correspondant local d’une radio de Port-au-Prince.

Des maisons brulées, détruites par les bandits, les habitants désertent le bas de la ville.

Le groupe Baz Gran Grif, de la région de Savien, est connu depuis quelques années, et n’a cessé de faire parler de lui. Mais jusqu’à récemment encore, ces bandits n’entraient que rarement dans la ville. Un autre groupe leur en interdisait l’accès. « Pour entrer dans la ville, les bandits doivent passer par le quartier appelé Nan Palmis. Dans le temps, Palmis les affrontaient et les empêchaient de passer. Mais maintenant les deux groupes se sont fusionnés. L’accès au centre-ville est libre », raconte Briguel Pierre Louis.

D’après le journaliste Désir Vénès, la situation actuelle a commencé à se dessiner le mardi 18 octobre : « Les bandits avaient pillé une entreprise. Au cours de l’attaque, ils ont averti qu’ils reviendraient venger l’un des leurs, tué au mois d’août par la Police. Le lendemain mercredi, ils avaient installé des chefs dans différentes parties de la ville. »

L’accès au centre-ville est libre.

Le vendredi 21, les bandits utilisent une autre stratégie. « Ils ont passé des heures à tirer dans les environs du commissariat, pour empêcher l’intervention de la Police, pendant qu’ils pillaient », assure Désir.

Mais c’est durant le weekend, le samedi 22 octobre, que la situation s’est détériorée, après que la population a livré à la police deux bandits qui avaient attaqué le marché, situé dans le haut de la ville. Désormais, l’objectif est d’y entrer, car c’est là que se trouvent les plus grandes entreprises de la commune. Pour empêcher d’être envahis par les bandits, les habitants se disent prêts à se défendre, même à armes inégales.

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« On ne peut pas circuler librement. Si un inconnu passe dans ton quartier, il sera interrogé et fouillé, pour s’assurer de son identité. On manque de nourriture, parce que les denrées ne peuvent pas rentrer dans la ville, et tout est devenu cher. Si quelqu’un a une urgence, il doit traverser le fleuve Artibonite pour se rendre dans une autre commune. Et la traversée est dangereuse », se plaint Briguel Pierre Louis.

Comme dans plusieurs quartiers de la commune, cette ruelle au bas de la ville est barricadée pour empêcher la libre circulation des bandits.

La police nationale, selon ces habitants, se dit impuissante, par manque de matériels, confirme les deux résidents de Petite-Rivière. « Pour intervenir, les policiers ont besoin d’un blindé. Le plus proche se trouve à Kafou Pèy, un autre endroit stratégique, en dehors de la commune. Mais les habitants de Kafou Pèy ne veulent pas que le blindé s’en aille, car c’est lui qui les protège contre le gang de Savien. »

La police nationale, selon ces habitants, se dit impuissante, par manque de matériels.

La situation désespère les habitants, qui ne voient pas d’où pourrait venir l’aide, malgré leurs appels de détresse au gouvernement. « Je subis des menaces sans cesse parce que je partage des informations sur la commune, explique Désir Vénès, mais je suis obligé de faire ce métier. »

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Une autre inquiétude taraude la ville blottie derrière les barricades de fortune : lorsqu’il n’y aura plus rien à manger, est-ce que les mêmes personnes qui gardent les barrières ne s’adonneront pas au pillage ? « C’est ce qui s’est passé avec le groupe de nan Palmis, dit Briguel Pierre Louis. Ils se barricadaient pour empêcher à Baz Gran Grif d’avancer. Mais aujourd’hui, ils sont devenus des bandits également. Je vois difficilement comment nous pourrions tenir une semaine de plus, si personne ne vient à notre secours », soupire-t-il.

Photo de couverture : Une des maisons brulées par les bandits. Les habitants fuient le bas de la ville.

Journaliste. Éditeur à AyiboPost. Juste un humain qui questionne ses origines, sa place, sa route et sa destination. Surtout sa destination.

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