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L’Etat boycotte un projet de l’EDH et refuse de payer ses dettes

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Les institutions publiques doivent des sommes considérables à l’EDH et refusent catégoriquement l’installation dans leurs bureaux des compteurs prépayés introduits pour résoudre le problème de non-paiement des consommateurs de courant

Le responsable de l’institution a accordé une interview à AyiboPost en marge de la publication d’une enquête révélant que les grandes villes du pays se retrouvent plongées dans le black-out.

Toutes les grandes villes d’Haïti sont plongées dans le noir, avait relevé AyiboPost dans un récent article. L’Électricité d’État d’Haïti, principale institution responsable de la production et de la distribution du courant, reste incapable de remplir son rôle dans un contexte de vétusté du réseau, d’accumulation de dettes et de l’absence d’une politique claire pour le secteur. Mais la structure étatique rencontre des difficultés.

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« Aucun investissement nécessaire au développement du secteur de l’énergie n’a été fait par l’État haïtien depuis plus de 40 ans », a déclaré Jose Joachin Davilmar, directeur administratif de l’Électricité d’Haïti (EDH) lors d’une interview exclusive accordée à AyiboPost le 14 octobre dernier.

La situation s’avère critique : seulement 28 % des ménages haïtiens ont accès au réseau électrique, d’après les données de la Banque mondiale en 2014. Selon le directeur, l’EDH devrait disposer de 300 millions de dollars pour « refaire le réseau national ». L’État ne semble pas disposé à investir dans ce contexte.

Les institutions publiques doivent des sommes considérables à l’EDH et refusent catégoriquement l’installation dans leurs bureaux des compteurs prépayés introduits pour résoudre le problème de non-paiement des consommateurs de courant, selon Davilmar.

L’insécurité paralyse effectivement le fonctionnement de l’EDH, rendant l’accès à la plupart de ses centres de production extrêmement difficile. Les gangs perturbent non seulement le réseau électrique mais attaquent également les consommateurs. En septembre, l’Ambassade des États-Unis avait contacté l’institution pour se plaindre que Vitelhomme Innocent, un redoutable chef de gang, avait détourné le courant alimentant son local.

Seulement 28 % des ménages haïtiens ont accès au réseau électrique, d’après les données de la Banque mondiale en 2014.

Contacté par AyiboPost, l’ambassade américaine en Haïti déclare ne pas faire de commentaires sur ses opérations.

Cette interview a été éditée et condensée pour en améliorer la clarté.


L’EDH est l’opérateur public responsable de la question de l’électricité dans le pays.

Quelle est la situation actuelle du secteur ?

L’EDH évolue actuellement dans un autre environnement légal.

L’EDH ne dispose plus du monopole de la production, de la distribution, et de la commercialisation de l’électricité dans le pays. C’est un opérateur comme tous les autres. On n’est pas responsable si une entreprise n’intervient pas dans le secteur. C’est pourquoi il y a une institution qui a été créée, portant le nom d’Autorité nationale de régulation du secteur énergétique. Elle est chargée de réguler le secteur.

Depuis 2017, l’EDH est un opérateur comme tous les autres. Malheureusement, l’EDH continue de porter le poids de la production du courant électrique dans tout le pays, alors que plusieurs zones du pays sont alimentées par des opérateurs privés.

L’État haïtien a libéré l’EDH. Il n’y a qu’une partie de Port-au-Prince qui est éclairée. Depuis deux à trois ans, les principales villes de province du pays sont à l’arrêt. C’est gênant et même honteux de le dire. Le Cap-Haïtien, ma ville d’origine, n’est pas alimenté. Et ce n’est pas seulement un problème de production. Il y a également un problème de réseau. Lors des tensions politiques, des gens ont coupé les câbles pour les revendre et brisé les compteurs.

L’EDH ne dispose plus du monopole de la production, de la distribution, et de la commercialisation de l’électricité dans le pays

Maintenant, nous avons une entreprise privée de l’État. Elle produit pour le grand public, qui doit payer à son tour le service.

Photo du nouveau local de l'EDH, à Frères, prise le lundi 14 octobre 2024. CP : Rolph Louis-Jeune

Photo du nouveau local de l’EDH, à Frères, prise le lundi 14 octobre 2024.
©Rolph Louis-Jeune

Qu’est-ce que cela vous dit au niveau de l’EDH en constatant que seulement une partie de Port-au-Prince est alimentée en électricité et tous les chefs-lieux des départements du pays sont dans le black-out total ?

On a commencé à fournir des efforts pour changer la situation. Pour le département du Centre, on vient de changer les transformateurs. Ça a pris un peu de temps parce qu’on n’avait pas la possibilité de traverser à cause de la situation d’insécurité. Il n’y a pas de passage pour approvisionner le Cap-Haïtien en carburant, alors qu’elle dispose d’une centrale thermique.

Même si on a le carburant, je ne peux pas l’acheminer à Jacmel ou Jérémie, par exemple.

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Certains pensent que l’EDH n’est pas affectée par la situation du pays. Mais non, l’EDH est à l’intérieur du pays.

Comme institution publique, quelle alternative avez-vous au moins utilisée pour surmonter les difficultés liées à l’insécurité ?

C’est l’État dans son ensemble qui a la responsabilité de résoudre le problème. Nous ne sommes pas dans le domaine de la sécurité. De notre côté, nous disposons des matériels et des employés pour produire. Et bien que nous soyons dans une situation d’arrêt de production dans ces zones, nous sommes obligés de continuer à payer les employés, alors qu’ils n’ont rien produit pour vendre.

Comment l’EDH peut-elle être rentable pendant que tous les circuits du pays dépendent de nous en termes de loyer, de salaire, et de dépenses de fonctionnement sans aucune production ?

Comme d’autres entreprises dans le pays, l’EDH ne peut pas être en bonne marche. Depuis 40 à 50 ans, aucun investissement sérieux n’a jamais été fait au sein de l’entreprise. Donc, elle ne peut pas être exemptée de cette situation. Nous continuons à fonctionner grâce à une austérité administrative adoptée par l’administration pour réduire considérablement nos dépenses. Depuis presque trois ans, on n’a pas fait l’acquisition d’aucun véhicule neuf.

Quelles sont les zones actuellement alimentées par l’EDH ?

Seulement une petite partie de Port-au-Prince : Vivy Mitchel, Delmas, Broutilier, Thomassin, la route de l’aéroport, entre autres. L’alimentation de ces zones représente à peu près 30 % de nos capacités et constitue notre principale source de revenu. Elles ont bénéficié d’une bonne distribution, vu que six de nos sous-stations dans la zone métropolitaine ont été vandalisées par des bandits. On ne peut pas les récupérer. Ils sont hors service. Les sous-stations reçoivent le courant pour ensuite le redistribuer.

On produit 63 mégawatts pour une partie très restreinte de la zone métropolitaine. Ce courant est distribué à travers 30 circuits fonctionnels.

L’EDH perd plus de 50 % de sa production lors de la transmission et de la distribution du courant. Comment comptez-vous résoudre ce problème spécifiquement ?

Nous avons besoin d’argent parce qu’on parle là de l’industrie lourde. Il faut des années pour réhabiliter le réseau de Port-au-Prince. Il y avait des pertes techniques dues à la défectuosité du réseau et des pertes commerciales dans le cas où les bénéficiaires ne payaient pas pour le service.

Depuis quarante ans, il n’y a pas d’investissement, même dans un bout de fil pour le réseau. L’ancien président Jovenel Moïse a tenté de faire quelque chose, mais il n’avait pas réussi. Le réseau est à refaire parce qu’à Port-au-Prince la configuration a changé.

Depuis quarante ans, il n’y a pas d’investissement, même dans un bout de fil pour le réseau

Il faut 300 millions de dollars pour refaire le réseau national. Il nous faut un réseau moderne capable de transporter le courant de Léogane au Cap-Haïtien, de Saut-Mathurine à Jérémie. Pour réaliser ce projet, il faut une politique publique de l’État.

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Ça ne devrait pas être le projet d’un gouvernement comme ce fut le cas avec l’ancien président Jovenel Moïse, qui avait une idée personnelle non embrassée par l’État. Ce projet est mort avec lui. Haïti est le pays d’Amérique latine où la population a le plus faible accès à l’électricité.

Qu’est-ce que cela vous dit comme responsable de l’EDH ?

28 % de la population seulement a accès à l’électricité, alors que pour nos voisins de la République dominicaine, c’est 90 %. En avril 2022, nous avons lancé le plan Horizon 2030. C’est un plan bien élaboré qui indique ce que l’EDH veut faire et doit faire.

De cette date à aujourd’hui, l’entreprise dispose de moins d’infrastructures, de moins de personnels qualifiés parce que beaucoup d’entre eux ont quitté le pays. Nous avons demandé un milliard de dollars sur cinq ans afin de renforcer notre production en électricité. Actuellement, nous n’avons rien reçu de l’État, sauf le paiement de Epower, qui nous fournit à peu près 29 mégawatts. Ce qui ne représente rien du tout.

En considérant l’EDH comme une entreprise commerciale bénéficiant des subventions de l’État, quelles sont les stratégies que la compagnie compte mettre en place pour ramener ses clients à payer afin de renforcer sa rentabilité ?

Il faut qu’il y ait une prise de conscience générale. Aujourd’hui, nous essayons de passer à un système prépayé. Au contraire, c’est le même État qui fait obstacle à ce projet.

Les ministères nous doivent beaucoup d’argent. En essayant de les mettre sur le système prépayé, ils ont refusé catégoriquement. Or, notre essai au système prépayé est très rentable. Nous avons un minimum de moyens pour rester encore opérationnels grâce à ça. Ce système est installé dans plusieurs zones de la capitale comme à Frères ou à Vivi Michel.

Nous avions des compteurs prépayés en ligne qui obligent la disponibilité du courant presque en permanence. Maintenant, nous avons besoin de compteurs offline. Ces compteurs peuvent continuer à fonctionner même quand il n’y a pas d’électricité.

Nous avions un projet pour recommander 70 000 compteurs prépayés, mais la condition était d’avoir la capacité de fournir au moins dix à douze heures de courant par jour sans interruption. Malheureusement, nous n’avons pas cette capacité. Actuellement, nous avons seulement 10 000 compteurs prépayés qui fonctionnent et constituent notre principale source de revenu.

Qu’en est-il des sources d’énergies renouvelables pour renforcer la production ?

Depuis au moins deux ans, il n’y a qu’à la centrale électrique de Péligre que nous ne sommes pas obligés d’utiliser une génératrice. Nos autres centrales hydroélectriques ne fonctionnent pas actuellement. Nous avons besoin de l’argent pour exploiter davantage les ressources naturelles.

Dans tous les pays, la question de l’énergie est gérée par l’État. Même une demande de 200 millions de gourdes à l’État pour mettre notre payroll à jour reste sans réponse.

Il n’y a pas d’investissement de l’État dans le secteur à l’exception de la centrale de Carrefour sous la présidence de Jovenel Moïse, qui reste inachevée. Cette centrale aura la capacité de produire 60 mégawatts de courant.

Nous avons besoin d’investissements dans le cadre de politiques publiques. Selon le budget 2024-2025 de l’EDH, on aura besoin de presque 800 millions de gourdes par mois pour le fonctionnement de l’entreprise.

Comme institution autonome, l’EDH a son propre budget. Il faut noter qu’en 1980, l’EDH avait la capacité d’envoyer au trésor public une partie de ses bénéfices. L’institution fait face également à des problèmes de corruption, selon un rapport de l’Unité de Lutte contre la Corruption.

Comment cette situation a-t-elle affecté le fonctionnement et le rendement de l’EDH ?

Premièrement, l’ULCC est passé à côté de la plaque. Les cas de corruption sont repérés pendant deux ans jusqu’en décembre 2021.

J’ai été interpellé sur ce dossier en août 2022 alors que je n’avais rien à voir avec. Je suis revenu à l’EDH en avril 2022. Dès mon arrivée, j’avais demandé à l’inspection générale de l’entreprise de réaliser une enquête sur une échéance de 30 jours.

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Le rapport a révélé que cinq caissières ont profité de la faiblesse du système pour détourner près de 23 millions de gourdes. Après cet audit, elles sont toutes révoquées et deux d’entre elles ont été arrêtées. On a remis notre rapport à l’ULCC et voilà qu’elle a eu les mêmes conclusions que la nôtre, alors qu’elle a fait appel à toutes les directions et services de l’institution.

Avez-vous enregistré des pertes de données à l’EDH qui ouvrent la voie à la corruption ?

Non. Mais les caissières ont profité de la faiblesse du système. C’est pourquoi on a renforcé le système de caisse et de supervision.

Il est clair qu’il n’y a pas de système complètement fiable. C’était le système informatique et le système de perception qui avaient la faiblesse. Lors de notre déménagement à notre siège social à la Bicentenaire, on était obligé de rapatrier notre système informatique.

Nous avons passé près de deux semaines sans pouvoir travailler. Tous les systèmes ont des failles, c’est normal qu’on ait des faiblesses dans le nôtre. Rien ne dit actuellement qu’il n’y aurait pas de vols en cours.

Où est passé le projet “Kay pa m klere” de l’ancien président Jovenel Moïse ?

L’EDH n’avait pas participé à ce projet.

C’était l’affaire personnelle de Jovenel Moïse. Ce n’était pas un projet d’État. C’est moi qui avais dit que le président Jovenel Moïse a dupé le peuple avec le slogan du courant 24/24 en 24 mois. Cette déclaration m’avait coûté mon limogeage en août 2019 à l’EDH. J’ai dû quitter le pays sous la pression des menaces des partisans du président. Après trois ans en dehors du pays, je suis retourné à l’EDH comme directeur administratif parce qu’ils ont jugé que j’étais encore utile.

Comment l’EDH alimente-t-elle les zones difficiles d’accès contrôlées par les gangs dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince ?

Les bandits ont détourné le courant dans ces zones. Ils ne veulent voir aucun technicien de l’EDH sur leur territoire. Nous avons déjà perdu deux de nos employés à Tabarre et à Fontamara.

La situation est très difficile. L’ambassade américaine m’avait appelé le 19 septembre dernier après que le gang de Vitel’Homme Innocent à Tabarre a détourné le courant qui alimente son local. Je leur ai dit que je ne pouvais rien faire.

Par Rolph Louis-Jeune

Wethzer Piercin a pris contact avec l’Ambassade américaine dans le cadre de cet article. 

Image de couverture | Image à gauche : un homme portant un casque se tient ou travaille sur une ligne électrique ou répare le réseau. Cette ressource a été générée avec l’IA. Image à droite Bureau de l’Électricité d’Haïti (EDH) Collage © AyiboPost

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Louis-Jeune est journaliste à AyiboPost depuis avril 2023. Il a fait des études en philosophie et en science politique à l'Université d'État d'Haïti.

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