Chroniques de l’échec des négociations entre l’Etat et les hôpitaux privés
Au départ, on évoquait le montant 336. En dollar, ce chiffre renvoie à l’exigence qu’auraient faite les hôpitaux privés à l’État haïtien pour la prise en charge de chaque patient infecté du Coronavirus.
Des pourparlers, il y en avait et ils étaient initiés par l’Association des hôpitaux privés d’Haïti (AHPH), en date du 16 avril 2020.
Cependant, il n’y avait pas eu de demande financière de l’association lors des échanges entamés avec l’État haïtien dément le président de l’AHPH, le docteur Franck Généus. « Ce que je dis est vérifiable à travers les échanges de courriels qu’on a eus lors des discussions ».
Ayibopost n’a pas eu accès aux courriels en question. Mais les informations disponibles cimentent l’échec d’un accord global entre l’État haïtien et les structures privées, sur la question du Covid-19.
« La commission chargée de la gestion de la maladie a permis à certains hôpitaux faisant partie de l’association d’avoir quelques équipements de protection individuelle. C’est pratiquement à cela que se réduit la collaboration entre les autorités du MSPP et l’AHPH », dit Franck Généus qui affirme plus loin que certaines structures sanitaires ont reçu une commission.
« Il y a des hôpitaux privés qui ont des partenariats avec le MSPP afin de recevoir des équipements médicaux et pour payer le personnel médical affecté dans les espaces de soin du Covid-19 », révèle le médecin qui n’a pas voulu citer le nom de ces centres hospitaliers.
Contacté sur la question, le directeur général du MSPP, le docteur Lauré Adrien, n’a pas souhaité réagir.
L’état crée ses propres structures
Pierre Hugues Saint-Jean travaille de concert avec le MSPP dans la fabrication de produits sanitaires visant à combattre le coronavirus. Il est également le président de l’association des pharmaciens d’Haïti (APH). Selon Saint-Jean, L’État avait refusé de parapher le contrat à cause du fait que la structure des hôpitaux privés n’est guère adaptée à la prise en charge du Coronavirus.
« L’État avait plutôt choisi de créer [ses propres] centres de prises en charge du coronavirus un peu partout dans le pays au lieu d’hospitaliser les patients dans des structures non adaptées à la maladie », révèle Saint-Jean.
À date, le pays compte 26 sites de prise en charge du coronavirus avec un total de 1 011 lits, selon l’épidémiologiste Jean-Hugues Henrys de la cellule scientifique qui gère le coronavirus dans le pays.
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Aussi, quelques hôpitaux privés offrent un accompagnement payant pour les infectés du nouveau Coronavirus. D’autres renvoient les cas suspects aux autorités alors que quelques centres ont fermé certains services notamment les urgences et l’hospitalisation, parce qu’ils sont incapables de gérer les infections occasionnées par la pandémie.
Dans les centres de prise en charge du MSPP, les soins reçus sont gratuits et le patient hospitalisé est nourri aux frais de l’État. Quant au personnel soignant, il paraphe un contrat avec les autorités sanitaires pour les soins prodigués.
Une occasion d’affaire
« Les infirmières reçoivent mensuellement 70 000 gourdes et travaillent durant trois jours et trois nuits dans les sites de prise en charge. Le salaire des médecins est de 100 000 gourdes », confie une infirmière sous couvert de l’anonymat. Elle travaille au centre de Covid-19 de Canaan.
En parallèle, certains hôpitaux privés saisissent l’occasion d’affaires qu’offre le Covid-19. « Dans la mesure où les institutions privées ne sont pas subventionnées par l’État ou par d’autres structures pour la prise en charge du Coronavirus, les hôpitaux qui ont la capacité accueillent les patients avec les modalités de paiement qu’ils ont eux-mêmes l’habitude de définir. Il y a même des compagnies d’assurances qui remboursent déjà la prise en charge du Covid-19 », informe docteur Franck Généus.
Environ un mois après l’annonce des premiers cas de Coronavirus dans le pays le 19 mars dernier, des experts du comité scientifique ont prédit que la pandémie pourrait provoquer jusqu’à 20 000 morts, notamment à cause de la faiblesse du système de santé. Trois mois après, cette prédiction tarde à se matérialiser.
« La modélisation a commis des erreurs sur le nombre de personnes qui allaient avoir besoin d’un lit d’hôpital, cela a faussé le nombre de morts probables », a admis le coprésident de la commission multisectorielle de la gestion du Covid-19, William Pape, au Nouvelliste.
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À ce jour, Haïti dénombre « officiellement » une petite centaine de décès et un peu plus de 6 000 infections dues au Covid-19. La plupart des structures de prise en charge officielles sur le territoire restent désertes.
Par exemple, avec sa capacité d’accueil de 200 lits, le site de Canaan ne compte que 3 patients, rapporte l’infirmière interrogée plus haut. Le centre Olympique de Carrefour peut recevoir 160 malades. Il ne comptait qu’un seul patient en hospitalisation, 25 juin dernier.
La plupart des individus infectés préfèrent rester chez eux. Aucune étude ne vient établir combien sont morts des complications du Coronavirus à domicile.
L’hôpital Saint-Luc n’a rien signé
Préalablement, l’AHPH voulait venir en aide dans la prise en charge une fois que les structures de l’État sont dépassées par les cas avérés de Coronavirus, dit Franck Généus, spécialiste en santé publique.
L’AHPH compte 24 membres et réunit au total 50 hôpitaux. Le docteur Généus juge que peu centres hospitaliers privés ont des partenariats avec l’État dans le cadre de la pandémie.
L’hôpital Saint-Luc fait partie des rares centres de la capitale qui acceptent de recevoir les individus affichant les symptômes du Covid-19. Joint au téléphone, son directeur médical, Edson Augustin, rapporte que le centre qu’il dirige n’a aucun accord monnayé avec l’État pour la prise en charge des patients atteints du Covid-19.
« L’hôpital Saint-Luc n’a aucun contrat de soutien financier avec l’État haïtien. Tout le personnel de l’hôpital Saint-Luc est donc soumis aux rémunérations de l’hôpital, et ceci, depuis le personnel de soutien jusqu’au médecin. »
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Si le centre hospitalier travaille de concert avec les autorités sanitaires du pays, il ne fait pas partie de l’AHPH et son initiative pour faire face à la pandémie actuelle est autonome, révèle le docteur Augustin. « L’hôpital Saint-Luc est ouvert au grand public et offre des soins illimités malgré sa faible capacité d’accueil. » Le centre reçoit le support de la fondation Saint-Luc, « de nos supporteurs et des donateurs », dit le médecin.
Toutefois, le directeur médical du centre reconnaît avoir demandé au MSPP des équipements médicaux dans le cadre de l’achat de matériels par l’État haïtien. « Une partie de notre demande a été agréée », explique Edson Augustin. « Le ministère nous a fait don de 20 bonbonnes d’oxygène et d’une trentaine de lits ».
Emmanuel Moïse Yves
Photo couverture: Hôpital Bernard Mevs – Georges Harry Rouzier / Ayibopost
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