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Photos | Le mythe de la distance sociale dans les bidonvilles haïtiens

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Si l’on croit les campagnes de sensibilisation à la radio et sur les réseaux sociaux, réduire la propagation de la pandémie du Covid-19 dont les premiers cas découverts en Haïti ont été annoncés mi-mars 2020 est simple et cartésien. Il suffit de rester chez soi, porter un masque, respecter la distanciation sociale et se laver les mains régulièrement.

Cependant, la réalité des faits comme toujours est plus complexe.

Les habitants des quartiers précaires et bidonvillisés qui bordent le centre-ville Port-au-Prince manquent de services sociaux les plus basiques. Promiscuité, pénurie d’eau potable, approvisionnements difficiles faute d’infrastructures routières, pas d’électricité et loisirs improbables, etc. Toute une partie de ces appels aux mesures et aux gestes barrières reste lettre morte, à défaut de moyens.

Comment rester chez soi quand on gagne sa vie de manière quotidienne ? Comment peut-on se mettre en quarantaine à plus de quatre dans une maison mesurant moins de 8 m2 sous des tôles insupportables en milieu de journée ? Comment se laver les mains quand on obtient de l’eau chaque 15 jours et que l’achat du savon représente ¼ de ce qu’on gagne par jour ?

Reportage photographique dans plusieurs quartiers difficiles de la région métropolitaine de Port-au-Prince.

Vue partielle de Ménard, quartier de Jalousie, un bidonville qui s’est étendu davantage à cause de la précarité de logement après le séisme de 2010. En raison des pentes abruptes et corridors étroits, l’intérieur de ce quartier reste inaccessible aux services d’urgence comme l’ambulance et les pompiers.

 

À l’intérieur de quartiers tels que Delmas 31, des personnalités se mettent au premier plan dans la lutte contre la maladie. Ce, en exposant leur vie dans les centres de traitement de Covid-19. C’est le cas de ce jeune qui vit dans une maison qu’il squatte avec neuf autres personnes. Avant d’être engagé, aucun suivi médical n’a été opéré sur lui à par la prise de température. Cependant, le personnel n’a jamais été testé, confie-t-il. Les employés qui présentent des symptômes trouvent des excuses pour rester chez eux quelques jours pour éviter l’hospitalisation ou perdre leur emploi.

 

Pour rejoindre leur quartier, les habitants de Jalousie prennent le transport en commun dont le coût a augmenté avec la pandémie du Covid-19. En cause ? Les chauffeurs de tap-tap acceptent moins de passagers désormais. Le port du masque est obligatoire dans les lieux publics depuis le 20 mai, mais n’est pas toujours respecté surtout dans les transports en commun où la promiscuité et les conversations sont coutumières.

 

À l’intérieur du quartier Cité Canada à Turgeau, comme dans la plupart des bidonvilles, la circulation à pied tout en respectant les deux mètres de distance préconisés par les messages est difficile. Dans les corridors, souvent très étroits, la promiscuité des corps est telle parfois que les gens se frôlent au passage. La distanciation physique dans ce cas s’avère difficile à observer.

Johnson, jeune couturier du quartier de Jalousie, a pu travailler et se constituer une petite économie quand les demandes pour les masques artisanaux étaient fortes au début de la pandémie. Ce qui a changé au fil du temps. Les gens portent le masque uniquement quand ils se rendent sur les grands axes routiers, mais très rarement quand ils circulent à l’intérieur du bidonville, constate Johnson.

Ludeline Jacquet a improvisé un studio de beauté chez elle à Delmas 31. Son travail d’avant la pandémie a dû faire des mises à pied. Elle reçoit désormais chez elle les clients régulièrement afin de continuer à avoir un revenu pour pouvoir subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille.

Des membres d’un Comité de quartier de Debussy s’engagent bénévolement à nettoyer divers quartiers de leur zone résidentielle. Pourtant, ils sont souvent l’objet d’agressions verbales de la part d’autres jeunes qui les accusent d’avoir reçu de l’argent des autorités étatiques pour assainir la zone.

Certains particuliers de la zone de Cité Canada tout en haut de Turgeau, mettent gratuitement à la disposition du quartier des moyens pour se laver les mains. L’eau est souvent gaspillée et le savon volé par des personnes non identifiées. Dans le quartier, l’eau fait partie des ressources rares.

Comme pour une bonne partie de la population haïtienne, les riverains de cette zone de Delmas 31 se tournent vers la médecine traditionnelle pour faire de la prévention, voire traiter les moindres symptômes liés au Covid-19. Le symptôme phare du Covid-19 est considéré comme « une petite fièvre » par des Habitants des bidonvilles comme de nombreuses autres régions qui refusent de croire en l’existence réelle de la maladie.

 

Déjà mis à mal par l’arrêt des cours depuis mars, Emil Wistenley, résident d’un quartier difficile de Delmas 31, a du mal à se concentrer et préparer son bac. Il s’efforce, mais le nombre grandissant de cas confirmés et l’atmosphère anxiogène n’aident pas le bachelier. Wistenley a depuis un moment arrêté les sorties inutiles de la maison.

Des jeunes du grand bidonville, Jalousie en répétition pour leur court-métrage en vue d’alimenter leur chaîne You tube – mais aussi dans l’objectif de sensibiliser les communautés à faire obstacle au nouveau coronavirus qui progresse ces derniers jours dans le pays.

Louisina Belly, âgée de plus de 75 ans, a dû quitter depuis deux mois son quartier Christ-Roi, très dense pour rejoindre son fils qui vit à Lalue.

Partie de dominos entre voisins et amis dans un quartier précaire de Turgeau. Très peu de campagnes de sensibilisation et/ou d’informations sur le Coronavirus ont été faites dans les quartiers défavorisés. Le respect des mesures barrières pour faire obstacle à la progression de la pandémie est aléatoire d’un individu à un.

 

Dans le quartier Citron à Delmas 33, tous les après-midis, le foot constitue le principal loisir des jeunes de la zone. Pour un des joueurs, le coronavirus ne fait que passer, mais les maladies que vont laisser le stress qui marche avec vont rester longtemps.

 

Pour ces jeunes du quartier de Delmas 31, il est impossible de rester à la maison comme l’exigent les autorités. Ils n’ont pas d’électricité et aucune activité de loisir. Ils n’ont que ce moment de regroupement pour occuper leurs journées qui se ressemblent presque toutes.

Kilyan, élève de la terminale, doit sillonner les nombreux corridors de Ménard tous les jours pour aller recharger son portable afin de recevoir ses devoirs sur WhatsApp et surtout pour promouvoir sa chaine YouTube.

 

Reportage photo de Georges Harry Rouzier / K2D

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