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Les hôtels choisis pour accueillir des ressortissants haïtiens pendant la pandémie n’étaient pas au courant

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L’un des hôtels est fermé. L’autre fonctionne au ralenti

La route de l’aéroport est calme malgré l’heure avancée. On est loin du blocus interminable dont sont souvent témoins les habitants de Clercine, Tabarre et des environs. L’aéroport est fermé, sur décision du gouvernement.

Le 9 avril 2020, le Premier ministre Joseph Joute fait parvenir une correspondance à son ministre des affaires étrangères et des cultes, Claude Joseph. Dans cette correspondance, le chef du gouvernement communique sa décision par rapport aux ressortissants haïtiens qui rentrent dans le pays.

Seul lui a le droit d’autoriser des vols exceptionnels à destination d’Haïti. Pour tout rapatriement de ressortissants haïtiens, ils devront se mettre en quarantaine, à leurs frais, pendant 14 jours à l’hôtel Visa Lodge, ou à Servotel, tous deux à quelques minutes de l’aéroport international Toussaint Louverture. Ils devront aussi présenter un certificat négatif du test du nouveau coronavirus.

Contactés à ce sujet, pour savoir combien d’Haïtiens sont déjà passés chez eux, les deux hôtels affirment qu’ils n’avaient fait aucun préparatif. Ils assurent qu’au moment de la déclaration du Premier ministre, ils n’étaient pas au courant que leurs établissements avaient été choisis pour recevoir d’éventuels rapatriés.

Ces faits illustrent le manque de coordination et l’amateurisme reprochés à l’administration en place dans la gestion de la pandémie. Précédemment, le Premier ministre Joseph Jouthe avait annoncé avoir trouvé un accord avec les « factories » du secteur textile pour la production d’un million de masques gratuitement. Ces entreprises devaient ensuite vendre 10 millions de cache-nez au prix de 50 centimes l’unité au gouvernement.

Lors d’une entrevue à la radio le 5 mai dernier, M. Jouthe a admis qu’aucun accord « formel » n’a réellement été paraphé, alors que son administration en avait fait l’annonce sans cette précision. De plus, le prix a été unilatéralement fixé par le gouvernement, sans discussion préalable avec ces institutions.

«Dans les médias, comme tout le monde»

Tout près de l’aéroport, les deux grandes barrières noires de l’hôtel Servotel sont fermées, ce mardi 28 mai 2020. Dans une guérite placée entre les deux entrées, seul un agent de sécurité montre signe de vie. Dans l’allée qui mène jusqu’à l’entrée du bâtiment, il n’y a aucun véhicule. Servotel ne fonctionne pas, et c’était le cas bien avant la décision du Premier ministre.

C’est ce que confirme l’un des responsables de l’hôtel. Il veut garder l’anonymat comme il n’a pas été autorisé par le directeur général, Jean Sébastien Buteau, à s’adresser à la presse.

« Nous sommes à l’arrêt depuis la deuxième semaine de mars, dit-il. Dès que nous étions au courant que l’aéroport serait fermé, nous avons anticipé une absence de réservations. Il y avait quelques clients à l’hôtel, nous avons attendu qu’ils partent pour fermer. Maintenant nous profitons du moment pour procéder à quelques rénovations. »

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La décision du gouvernement l’a pris par surprise. « Nous l’avons apprise par voie de presse, dit-il. Quand j’ai entendu cela, j’étais curieux parce que si la décision avait été prise en commun accord avec l’hôtel, j’aurais été au courant. »

Jean Sébastien Buteau, directeur général de Servotel confirme qu’il n’y a pas eu d’échanges avec le gouvernement. « Il n’y a pas grand-chose à dire, dit-il. Ils ne nous ont jamais contactés. Nous ne les avons pas contactés non plus. De toute façon, l’hôtel était fermé. »

C’est aussi le cas pour Visa Lodge, selon les déclarations d’un employé de la réception joint au téléphone. Si des ressortissants haïtiens rentraient dans le pays, ils n’auraient pu se rendre à l’hôtel. « Aucune préparation particulière n’a été faite, dit-il. C’est à la télé et à la radio qu’on l’a su. Mais l’hôtel est ouvert normalement. »

En effet, ce même jeudi, la barrière principale de l’établissement était grande ouverte. Dans la cour, il y avait quelques voitures.

AyiboPost a en vain tenté de joindre Stefan Malebranche, le directeur général de l’hôtel. Ses commentaires seront ajoutés à l’article s’il réagit à nos sollicitations.

 Manque de préparation?

Face aux critiques que la décision avait provoquées, le Premier ministre l’avait justifiée en assurant que le gouvernement n’avait pas les moyens de payer les hôtels pour les personnes qui rentraient.

Un ministre du gouvernement, très au fait du sujet, mais qui n’a pas voulu faire de déclaration officielle assure que les hôtels avaient informé le gouvernement qu’ils n’acceptaient pas d’être choisis.

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Contacté par AyiboPost, il a affirmé que le sujet était révolu, sans préciser ce que cet adjectif signifie. « Nous n’avons pas de cas d’Haïtiens qui sont entrés dans le pays pendant la période et qui sont allés à l’hôtel », dit-il.

Il assure que le gouvernement a tourné la page sur cette histoire il y a longtemps. Mais rien n’est clair sur les nouvelles procédures qui seraient mises en place, ou si d’autres hôtels ont été choisis. Aux questions « Est-ce qu’un Haïtien qui trouve un moyen de rentrer dans le pays est autorisé à le faire ? » et « Où et comment devra-t-il observer sa période de quarantaine ? », le ministre n’a plus réagi. Cet article sera mis à jour s’il le fait.

Un désastre pour les hôtels

Avec le Covid-19 qui a déjà fait officiellement 35 morts et 1443 infectés dans le pays, les hôtels qui arrivent encore à tenir leurs portes ouvertes sont de plus en plus rares. La plupart des établissements de Jacmel, ville touristique par excellence, ne fonctionnent pas. Mais s’occuper d’un hôtel est une charge permanente, même quand il n’y a aucun client. La période est difficile.

Nous avons pu payer les mois de mars et d’avril aux employés, dit le responsable de Servotel. Pour le mois de mai, nous ne savons pas encore. De toute façon pour le moment, seuls les employés responsables de la maintenance sont présents. Si cela dure jusqu’au mois de juin, ce sera encore plus difficile. »

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Dans des pays comme la France, l’État dispose de l’argent pour soutenir les structures de ce secteur d’activité essentiel. À date, il n’y a aucune mesure annoncée par le gouvernement du pays quant aux hôtels et autres lieux touristiques.

Certains hôteliers ont toutefois informé qu’ils ont reçu un formulaire du ministère du Tourisme, à compléter avec le salaire de leurs employés. Ils sont dans l’attente.

Jameson Francisque

Journaliste. Éditeur à AyiboPost. Juste un humain qui questionne ses origines, sa place, sa route et sa destination. Surtout sa destination.

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