L’eau “potable” consommée par la plupart des citoyens haïtiens contient des traces de matières fécales. Ce sont des agents pathogènes connus sous les noms de coliformes fécaux.
« Port-au-Prince a besoin de quelque 320 000 mètres cubes d’eau par jour. Avec 17 sources et 18 forages, la DINEPA fournit en moyenne 140 000 mètres cubes », déclare Emmanuel Molière, directeur du centre technique d’exploitation (CTE) de la région métropolitaine de Port-au-Prince.
Cette rareté occasionne la consommation d’eau de mauvaise qualité dangereuse pour la santé humaine. Les risques sont liés surtout à la présence des agents infectieux comme les bactéries et les virus. Les coliformes fécaux sont des bactéries utilisées comme indicateur de la pollution fécale de l’eau. Ils sont entre autres, les Escherichia coli (E.coli), les genres citrobacter, enterobacter, klebsiella. « L’eau potable doit être exempte de toutes formes de coliformes fécaux », a fait savoir le directeur du CTE.
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Depuis plusieurs décennies, la Plaine du Cul-de-sac, jadis réservée à l’agriculture, est transformée en zone de résidence. Le sous-sol de cette région est l’une des plus grandes réserves d’eaux souterraines en Haïti. L’incapacité de la DINEPA à approvisionner certaines régions en eau favorise l’exploitation de cette ressource par des individus sans aucun contrôle minutieux. À côté de la salinisation, c’est-à-dire l’intrusion d’eau salée de la mer dans les nappes phréatiques, le numéro un du CTE ajoute sans hésitation le risque de la pollution fécale.
L’eau des puits artésiens contient aussi des coliformes fécaux
Le mercredi 16 janvier 2019, sur un échantillon de 10 ménages recensés à Lizon (dans la plaine du Cul-de-sac), 100 % possèdent un puits artésien et une latrine. 60 % de ces ménages boivent de l’eau traitée par osmose inversée et se servent de l’eau du puits pour d’autres usages. 40 % révèlent avoir bu l’eau directement du puits.
À l’entrée de Lizon, au bord de la route, est creusé un puits artésien public. Sur 10 personnes utilisant l’eau de ce puits, 9 déclarent en avoir bu avec ou sans traitement préalable. « Lè nou gen trètman pou nou mete nan dlo a, nou trete l, lè nou pa genyen nou bwè l konsa », révèle Marlène, une jeune fille du quartier, rencontrée avec un seau, près de ce puits.
Moins de dix mètres de forage dans la plaine du Cul-de-sac permettent d’accéder à la réserve d’eau de ce sous-sol, que le forage soit destiné à un puits artésien ou à une latrine. Des études démontrent la présence des coliformes fécaux dans l’eau de boisson à cause du contact entre les latrines et les nappes phréatiques.
Ces mêmes réserves d’eau contaminées remplissent quotidiennement de nombreux camions-citernes qui transportent le liquide vital à une grande partie de la population de Port-au-Prince.
Des analyses démontrent la présence de coliformes fécaux
Selon un rapport de la Direction du contrôle de la qualité et de la protection du consommateur (DCQPC) du ministère du Commerce et de l’Industrie (MCI), publié en mars 2017, la majorité des microorganismes pathogènes (virus, bactéries, protozoaires pouvant causer des maladies) susceptibles de se trouver dans l’eau proviennent de déjections humaines ou animales.
Dans le cadre de cette étude, 110 échantillons d’eau traitée par des entreprises localisées à Port-au-Prince ont subi une évaluation de qualité. Bien que ces entreprises soient des lieux de traitement et/ou de vente d’eau “potable”, 17 % des échantillons d’eau analysés contenaient des coliformes fécaux et donc étaient impropres à la consommation humaine.
Si l’analyse de l’eau “traitée” révèle la présence de matières fécales, que dire de l’eau des puits artésiens consommée sans aucun traitement préalable ? Qu’en est-il des milliers de litres d’eaux distribués sans le moindre contrôle de qualité par des camions-citernes privés à Port-au-Prince et dans les zones avoisinantes ?
Le chlore élimine les bactéries coliformes
« Des équipes au sein de la DINEPA prélèvent régulièrement des échantillons au niveau des forages et des sources pour faire des analyses physico-chimique et bactériologique », confie Emmanuel Molière sur l’aspect sanitaire des eaux. En cas de contamination par des coliformes fécaux, le directeur confirme que le chlore est le meilleur traitement. « La présence du chlore dans l’eau peut détruire les germes de la bactérie », ajoute-t-il.
« Boire de l’eau contaminée par les coliformes fécaux peut causer des maladies diarrhéiques », affirme Emmanuel Molière. Rappelons que le choléra est apparu en octobre 2010 suite à la contamination du fleuve de l’Artibonite par les déjections des soldats népalais de la MINUSTAH. Les symptômes de cette affection se présentent sous forme de violentes diarrhées parfois accompagnées de vomissements.
Des périmètres de protection immédiats sont indispensables autour des sources. Ces périmètres doivent être des espaces stériles. Ils devraient être exempts de toutes constructions et activités agricoles. « Depuis ces 30 dernières années, les périmètres de protection immédiats des sources ne sont pas respectés », a fait savoir l’ingénieur Molière. Cela entraîne, selon l’ingénieur, la diminution de débit des sources et le risque de la pollution fécale des eaux.
Emmanuel Moïse Yves
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