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700 enfants ont fui la guerre à Cité Soleil. Maintenant un autre problème les guette

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À la veille de la prochaine rentrée scolaire, un doute plane sur la possibilité de faire cohabiter les réfugiés et les élèves 

Il est 10h du matin le samedi 23 juillet 2022. A l’ombre, dans un coin de la cour de l’Institution Saint Louis de Gonzague, quatre femmes font la lessive. Elles viennent de Cité Soleil, commune en proie à une féroce guerre de gangs, qui a déjà fait plus de 471 morts en dix jours, selon des chiffres de l’ONU.

Parmi elles, Nerlande André enceinte de cinq mois, une robe noire, est assise à même le sol, et frotte vigoureusement des habits sales. 

Elle s’est réfugiée à Saint Louis de Gonzague avec ses deux enfants, dont un en bas âge. Son aîné gambade dans la cour, et joue avec d’autres enfants qui ont aussi trouvé refuge dans cet établissement. 

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Comme lui, ses camarades de jeu sont pour la plupart en âge d’aller à l’école. Mais la nouvelle année académique s’annonce incertaine, tant pour leur scolarité, que pour leur lieu de refuge. À la veille de la prochaine rentrée scolaire, un doute plane sur la possibilité de faire cohabiter les réfugiés et les élèves. 

Nerlande André, en noir, en train de faire la lessive. Crédit: Melissa Beralus/Ayibopost

C’est ce doute qu’exprime Betchina Louis, porte-parole de la communauté religieuse Famille Kizito, qui a recueilli les déplacés à Saint Louis de Gonzague. 

« Les parents vont bientôt visiter l’école pour y inscrire leurs enfants, payer leur écolage etc. Nous ne savons pas encore comment nous ferons », dit-elle. 

Les responsables de l’Institution Saint Louis de Gonzague ne se sont pas encore exprimés sur la question. 

300 enfants ont trouvé refuge dans les salles de classe de cet établissement, qui a été la première école à répondre à l’appel à l’aide de Famille Kizito. 400 autres sont répartis dans quatre centres, dont le Collège Saint Paul. 

Famille Kizito est une communauté religieuse à but non lucratif dont le travail vise les enfants qui vivent dans les quartiers défavorisés, explique Betchina Louis. 

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Beaucoup parmi ces enfants fréquentent les écoles non officielles animées par la communauté. Ces écoles, à la différence des écoles traditionnelles, enseignent à des enfants dont l’âge avancé ne correspond pas aux classes inférieures dans lesquelles ils se trouvent. 

Ces écoles reçoivent aussi des enfants qui, malgré leur âge, n’ont jamais été scolarisés et leur apprennent à lire et écrire. 

Sœur Paësie Claire Joëlle Philippe, qui dirige les centres d’éducation non formelles de Cité Soleil, a commencé à contacter les parents encore vivants des enfants rescapés, afin de trouver une solution pour la prochaine rentrée des classes. C’est elle qui avait pris l’initiative de faire sortir les enfants de la cité.

« Nous ne pouvons pas renvoyer les enfants à leurs parents qui sont encore à Cité Soleil, explique la religieuse. Nous discutons avec des organisations afin de leur apporter une aide financière de sorte qu’ils puissent quitter la commune. »

Dans la cour de Saint Louis de Gonzague, loin de penser à leur avenir immédiat, les enfants sautent à la corde, rient aux éclats, et courent les uns après les autres. Ils paraissent heureux. Rien ne laisse deviner l’horreur qu’ils ont vécue pendant plusieurs jours, à Cité Soleil. Les quelques parents qui sont là, eux, pensent à l’avenir qui s’annonce sombre. La nouvelle année scolaire est loin d’être leur principale préoccupation. 

« Mon mari est mort, et on a brûlé ma maison, dit Nerlande André. Je m’inquiète seulement pour le bébé à venir. J’ai fui la cité uniquement avec les vêtements que je portais. Je n’ai vraiment rien.» 

Melouse Laurore, âgée d’une quarantaine d’années, ne cesse de penser à ses enfants encore vivants, qui n’ont pas pu quitter la cité. Les yeux humides, Laurore n’a qu’un soupir comme réponse à l’approche des ouvertures de classes. 

Emmanuela Desir, morte d’une balle à la poitrine alors qu’elle tentait de fuir. Crédit: Melissa Beralus/Ayibopost

Dès les premiers moments du conflit, Emmanuela Désir, une de ses filles âgée de 17 ans, a été tuée par balle. Endeuillée et endettée suite aux obsèques de son enfant, c’est chez des membres de sa famille, à Cité Soleil même, que sa mère et ses petits ont dû se réfugier.

«Quand j’ai entendu dire que les sœurs venaient les chercher, je lui ai mis son uniforme pour qu’elle quitte la cité. Quand nous sommes arrivés à proximité de Drouillard, il y a eu une fusillade. Elle a reçu un projectile », raconte Désir. 

Le traumatisme subi par les enfants est aussi un obstacle face à une prochaine rentrée des classes. À leur arrivée au centre d’accueil, certains présentaient des blessures, confie la porte-parole de Famille Kizito. Mais en plus des séquelles physiques, il y a les séquelles psychologiques. 

« Un des enfants n’a pas dit un mot depuis qu’il est là. Quand on essaye de lui en tirer quelques-uns, il nous mord », explique Betchina Louis. 

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Après l’expérience violente de ce conflit, les enfants ont besoin d’aide de spécialistes. Plusieurs agents de l’OCCED’H, organisation des cœurs pour le changement des enfants démunis d’Haïti, en collaboration avec l’Unicef, organisent avec eux des jeux et des animations. Malgré ces initiatives, certains restent à l’écart, préférant jouer seuls, loin des adultes. 

Quelques médecins de cette organisation sont aussi sur place, pour leur apporter des soins. Des maladies très contagieuses comme la gale ou la piastre circulent parmi les déplacés. 

Jusqu’au mardi 26 juillet, il n’y a pas eu une visite ou un appel d’un membre quelconque du gouvernement ou des autorités locales, confie Louis. Le seul à être passé fut le maire de la commune en guerre, qui avouait quelques semaines plus tôt les limites de sa capacité à intervenir dans la situation actuelle. 

Sœur Paësie Claire Joëlle Philippe a quant à elle renoncé à demander l’aide de l’Etat par l’entremise de la mairie de Delmas qui n’a répondu, d’après ses dires, à aucune de ses sollicitations.

 

Image de couverture: des enfants sautent à la corde dans la cour de l’institution Saint Louis de Gonzague. Crédit: Melissa Beralus/Ayibopost

Melissa Béralus est diplômée en beaux-arts de l’École Nationale des Arts d’Haïti, étudiante en Histoire de l’Art et Archéologie. Peintre et écrivain, elle enseigne actuellement le créole haïtien et le dessin à l’école secondaire.

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