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Ce que l’affaire « Bal Bannann Nan » révèle de notre société

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« Racisme, esclavagisme, sexisme : chaque fois, la victime a d’abord été dépouillée de sa pleine humanité pour être mieux avilie ». Barry Gifford

Les 6 minutes du carnaval de Michel Martelly (président d’Haïti pour encore quelques jours) ont provoqué un rejet phénoménal au sein la société civile haïtienne. Sur la toile, à la radio et à la télé, beaucoup de citoyens et d’organisations de défense des droits de l’homme ont dénoncé une attaque violente, bête et méchante contre la dignité de deux journalistes connus et dont l’opposition au régime Tèt Kale est notoire.

Monsieur Martelly n’en est malheureusement pas à son coup d’essai. Cet individu dont la grivoiserie et l’indécence divisaient déjà la société haïtienne du temps de sa sulfureuse carrière musicale a attaqué brutalement une femme en juillet de l’année dernière, pour avoir osé le mettre en face de ses mensonges et de ses contradictions.

À chaque fois, le schéma se répète. Les femmes qui lui tiennent tête sont renvoyées à leurs féminités comme preuve de leurs infériorités. Et pour cela, elles sont méprisées, humiliées et injuriées par celui censé être le premier citoyen du pays.

Au machisme arrogant et ignorant du personnage, il faut y ajouter sa haine de la presse et de la parole dissidente. En effet, dans cette chanson inepte, capitulation de la pensée chez quelqu’un incapable d’aligner deux arguments consécutifs sans tomber dans les bas-fonds de l’invective, Sweet Micky s’en est aussi pris à Jean Monard Métellus, un autre journaliste, animateur populaire de débat radiophonique. Il accuse ce dernier de blanchir sa peau. La dépigmentation étant culturellement considérée comme un attribut féminin, c’est son appartenance à la classe des hommes que le président a remis en question. Quel homme véritable se rabaisserait effectivement au niveau de la femme pour arriver à commettre l’infamie qui est de blanchir sa peau ? Sans commentaires.

Ces affaires disent beaucoup sur le caractère exceptionnel de la démocratie en Haïti. En effet, il est difficile d’imaginer un pays démocratiquement solide et viable qui élirait un tel personnage comme président de la République. Les tendances dictatoriales de l’individu sont connues de tous. Il a depuis toujours soutenu et défendu la dictature sanguinaire des duvaliers. Si bien qu’au mépris des nombreuses victimes et de leurs enfants, à la mort de Jean Claude Duvalier, Michel Martelly a « salué le départ d’un fils authentique d’Haïti ». À sa nostalgie de la dictature, il y a ajouté l’humiliation de la mémoire du peuple haïtien en voulant organiser des funérailles nationales pour l’ancien dictateur. N’était-ce pas la vigilance de la société civile, les protestations des victimes et l’indignation de la société internationale, Sweet Micky déroulerait le tapis rouge aux frais de l’état pour celui qu’il convient considérer comme son principal modèle politique.

Ces affaires disent aussi beaucoup sur l’état de la société haïtienne. S’il n’étonne quiconque de constater le manque de gêne, le peu de discernement et la complicité à la dégradation de la dignité humaine dont se rendent coupables certains nervis du PHTK, quelques médias irresponsables et de rares citoyens en défendant et en diffusant ce qui n’est autre qu’une honte nationale et le symbole d’une société effondrée, la réaction de la bien-pensance est aussi à questionner.

L’attaque, par le statut de son auteur et la presse, rempart de la démocratie, rare symbole d’un heureux héritage post-86 qu’elle dégrade, consacre une abjection absolue. C’est un fait. Pourquoi dès lors orienter l’ESSENTIEL des hommages vers madame Liliane Pierre-Paul ? Elle est atteinte dans sa dignité certes, mais qu’en est-il de M. Métellus ? Estimons-nous par là que seule la femme, par son sexe, mériterait notre attention, notre compassion, nos hommages ou pire, notre pitié ? Est-ce dire que ces sensibleries ne siéent guère à son collègue masculin qui de par son sexe serait naturellement immunisé ? Pourquoi peu de personnes ne parlent du dévoiement de la liberté d’expression ? Ni de la presse et de la liberté d’opinion qui semblent exaspérer au plus haut point notre illustre démocrate et commandant en chef ? N’est-ce pas encore renvoyer Liliane à sa « féminité » que d’essentialiser les crispations autour de sa personne dans un déluge « rosé » d’amour et de bons sentiments frisant la puérilité ?

Pour ces questions, je ne saurais y apporter de réponses définitives. Mais, ne pas les poser serait refuser d’y déceler, et par là de combattre les tentacules effrayants du sexisme et du machisme qui étouffent la société haïtienne. Des tentacules géants qui l’amputent de plus de 50 % de son potentiel créatif et opérationnel susceptible de favoriser son développement.

Sweet Micky et son cortège bruyant de vilénies passeront. Souhaitons le même sort à sa fameuse clique où les individus intègres et compétents sont de rares exceptions. Notre honte sera atténuée, mais qu’adviendra-t-il des mécanismes structurels ayant favorisé son arrivée au pouvoir et la commission impunie d’actes, que « l’immoral le plus intégriste » n’aurait même pas envisagé dans la plus désordonnée des anarchies ?

Widlore Mérancourt est éditeur en chef d’AyiboPost et contributeur régulier au Washington Post. Il détient une maîtrise en Management des médias de l’Université de Lille et une licence en sciences juridiques. Il a été Content Manager de LoopHaïti.

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