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Y a-t-il une « épidémie de césariennes » en Haïti ?

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La césarienne est une intervention qui a lieu quand l’accouchement par voie basse est difficile, voire impossible. Des citoyens craignent que des médecins privilégient cette intervention parce qu’elle rapporte plus d’argent qu’un accouchement par voie vaginale

Les accouchements par césarienne augmentent en Haïti. Moins de 2 % des naissances étaient concernées en 1995, selon une étude périodique sortie par les autorités sanitaires du pays. Le dernier rapport publié en 2018 enregistre 5,3 % de naissances par césarienne, ce qui constitue une légère baisse par rapport au 5,5 % de 2013.

Certes, ces chiffres se situent en dessous des 10 et 15 % préconisés comme « taux de césarienne idéal » par l’Organisation mondiale de la santé.

Mais des citoyens s’inquiètent des critères mis en place par les centres hospitaliers. Dans un système où les soins ne sont pas gratuits, les femmes craignent que « les accouchements par césarienne soient parfois privilégiés au détriment des accouchements naturels moins coûteux et qui demandent moins d’intervention », analyse la spécialiste de la santé maternelle Vavita Leblanc pour le Fonds des Nations unies pour la population.

Les césariennes semblent être l’apanage des hôpitaux privés en Haïti. Une analyse des naissances enregistrées sur une année dans six hôpitaux de la capitale — 3 privés et 3 publics — a révélé que près de 60 % des accouchements effectués dans les hôpitaux privés étaient des césariennes, contre 30 % dans les hôpitaux publics. Ce travail a été réalisé il y a trois ans par le Dr Jean Jumeau Basch, président de la Société haïtienne d’Obstétrique et de gynécologie (SHOG). Pour ce spécialiste, il y a une « épidémie de césariennes » dans le pays.

Une procédure risquée

Entre temps, la mortalité maternelle stagne.

Le taux de mortalité maternelle était estimé à 523 décès pour 100 000 naissances dans l’enquête EMMUS 3, sorti en 2001. Le même travail publié dix-sept ans plus tard fait état de 529 décès maternels pour 100 000 naissances vivantes. « Notre expérience nous a montré que le taux de mortalité se trouve plus élevé dans les hôpitaux où il y a le plus de césariennes », dit Dr Batsch qui fait office de président de la SHOG.

L’expert ne croit pas que les médecins provoquent des césariennes dans le but de tirer du profit. « La césarienne comporte trop de risques pour que des professionnels puissent s’amuser à la pratiquer sans qu’il n’y ait d’indication, analyse-t-il. Après une section de césarienne, les risques sont énormes pour la mère et l’enfant, donc les médecins n’ont aucun intérêt à la provoquer. »

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Des écarts peuvent quand même être enregistrés. « Dans toutes les professions, il y a des escrocs », déclare le Dr Jean Hugues Henrys, directeur de l’Association médicale haïtienne. Toute personne qui estime avoir subi un forfait d’un médecin peut porter plainte, souligne le médecin. Puisqu’il n’y a pas d’Ordre de médecin en Haïti, la victime présumée peut saisir les tribunaux. Dans un tel procès, le juge devrait faire appel à un expert dans le domaine médical, car seuls les médecins peuvent juger l’acte d’un autre médecin, rajoute Jean Hugues Henrys.

La hausse des cas de césarienne n’est pas un phénomène haïtien. Le nombre de naissances par cette procédure a quasiment doublé dans le monde en quinze ans. Elle est passée de 12 % à 21 % entre 2000 et 2015, dépassant même 40 % dans 15 pays, conduisant les gynécologues à s’interroger sur une « épidémie », dans un dossier publié il y a deux ans dans le Lancet, un journal scientifique.

Selon une autre étude publiée l’année d’après dans « le Lancet », le taux de mortalité maternelle après une césarienne en Afrique serait cinquante fois supérieur à celui des pays riches : près d’une femme sur 200 est décédée après une césarienne.

«90000 gourdes» par opération

À côté des risques encourus, la c-section (autre nom donné aux césariennes) demeure onéreuse en Haïti. L’intervention dépasse 50 000 gourdes dans certaines institutions privées.

Marie-Rockette Malvoisin, une dame vivant à Gressier, a payé 90 000 gourdes l’année dernière pour un accouchement par césarienne dans un hôpital sur la route de Carrefour. « On m’a fait payer pour les paires de gants jusqu’aux toiles de gaz. Le rasoir que j’achète à dix gourdes près de chez moi, on me l’a fait payer au prix de cinquante gourdes à l’hôpital », se rappelle la dame.

Danielle Polydor, une autre maman, a versé le même montant pour césarienne dans un hôpital privé à Pétion-Ville.

Mais ce n’est pas tout. Polydor a payé d’autres frais supplémentaires. « Dès que je suis arrivée à l’hôpital, j’ai payé 25 000 gourdes pour une chambre. Je devais verser au moins 50 000 gourdes au gynécologue obstétricien et jusqu’à 40 000 gourdes à l’anesthésiste. Il fallait avoir pas moins de 30 000 gourdes disponibles pour le pédiatre. Ce bilan devait s’ajouter aux 90 000 gourdes de la césarienne », explique la dame d’une trentaine d’années.

Les hôpitaux publics n’offrent pas nécessairement un répit. Pour son deuxième enfant, en 2013, Christella Reïmers, une jeune dame de 29 ans, s’est rendue à la maternité Isaïe Jeanty, le seul hôpital public du pays spécialisé dans les soins obstétrico-gynécologiques. Dans ce centre, elle a versé une somme de 15 000 gourdes pour l’accouchement par césarienne.

Un médecin à la maternité Isaïe Jeanty requérant l’anonymat confirme ce montant. « Les autorités de l’hôpital refusent que cette information soit divulguée parce que pour un hôpital universitaire, le prix est trop élevé. »

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Quand elle devait accoucher de son troisième enfant trois ans plus tard,  Reïmers a dû payer 20 000 gourdes pour la césarienne à l’hôpital de l’OFATMA. « J’ai dû m’endetter pour payer cette somme parce que ma famille n’avait pas de grands moyens. Heureusement, la mère de mon mari était couverte par une assurance. On nous a remboursé la moitié des 20 000 gourdes », se souvient la dame qui n’entretient aucune activité économique.

Pour atténuer le problème des prix exorbitants, la SHOG a établi en 2012 un barème pour les soins obstétriques et gynécologiques, dans un contexte où la majeure partie des gens n’est pas couverte par une assurance santé. Pour des soins pendant la grossesse et l’accouchement, le coût devrait être compris entre 80 000 et 100 000 gourdes. Cependant, ce barème est un guide de référence non contraignant.

Une intervention salvatrice

La césarienne a lieu quand l’accouchement par voie basse est difficile, voire impossible. « Il faut des indications pour recourir à la césarienne. Si la femme enceinte a une hémorragie par exemple, c’est urgent », lâche le Dr Jose François, médecin résident au centre Isaïe Jeanty.

Il s’agit d’une intervention chirurgicale assez répandue. L’on incise « les couches de l’abdomen au niveau du bas ventre et l’utérus afin d’extraire le nouveau-né.  La césarienne doit avoir lieu sous anesthésie », explique Rodrine Janvier, gynécologue obstétricienne.

Pourquoi faut-il pratiquer une césarienne ? Normalement, pour sauver soit la vie de la mère soit celle du bébé ou les deux. Mais chaque pays détermine sa liste de critères, puisqu’il n’y a pas de consensus universel.

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Cette opération comporte des risques. Ce n’est pas la césarienne en soi qui pose un problème, mais les complications de santé de la gestante, dit Dr Jose Franois. « Certaines femmes enceintes arrivent trop tard à l’hôpital après avoir vu plusieurs matrones ou des médecins feuilles. Dans de tels cas, elles risquent la mort. »

Les spécialistes ont aussi constaté que les femmes césarisées ont beaucoup plus de chances d’attraper des infections nosocomiales — infections associées aux soins, contractées au cours ou au décours d’une hospitalisation — surtout dans les structures publiques.

Il existe aussi des risques pour le nouveau-né. Celui-ci peut présenter des difficultés respiratoires qui doivent être prises en charge rapidement par le pédiatre présent dans la salle d’opération.

Laura Louis

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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