Le criminel qui n’a jamais purgé sa peine parcourt les rues de la ville, en toute liberté.
Mercredi 16 mai 2007, le journaliste Alix Joseph est abattu aux Gonaïves, à l’angle des rues Liberté et Louverture, à proximité du Mémorial de l’Indépendance, à environ cinq minutes de marche du commissariat principal de la ville.
L’ancien professeur de philosophie au Lycée Fabre N. Geffrard venait d’animer une conférence avec l’historienne Bayyinah Bello au local de l’Alliance française des Gonaïves en hommage à l’ancien musicien légendaire Antoine Rossini Jean Baptiste (T-Manno) quand il s’est fait tirer dessus.
L’assassin d’Alix Joseph, Jerry Bien-Aimé, qui a été condamné à vingt ans de prison fut gracié par l’ancien président Michel Martelly en 2014 alors qu’il était en fuite. Il a passé moins de deux ans en prison. De nos jours, ce dernier arpente les différents quartiers de la Cité de l’indépendance en toute impunité et bien armé selon l’ancien commissaire du gouvernement qui défendait la société dans son procès.
Après la conférence, Alix Joseph s’était rendu chez sa conjointe Josiane Pélissier qui habitait la zone. Alors qu’il regagnait sa maison, quelques minutes après, deux malfrats lourdement armés l’ont attaqué et ont emporté sa valise qui contenait son matériel de travail. Selon un rapport du Réseau national de Défense des Droits Humains (RNDDH) publié en mai 2011, la victime a été atteinte de 11 projectiles.
« Quelques jours après, nous allons retrouver son sac près du cimetière principal de la ville, à l’entrée du quartier Jubilé Blanc », rapporte l’un de ses frères cadets.
Un journaliste qui dérange
On est en 2007, la ville des Gonaïves qui a été le bastion de la lutte armée contre le président Jean-Bertrand Aristide en 2004, fait face à une situation d’insécurité généralisée. D’anciens rebelles du Front Résistance de l’Artibonite convertis en chef de gang défient la police nationale et la mission des Nations Unies.
Entre vol nocturne, assassinat et viol, la population de la Cité de l’indépendance est face au mur. Le désarmement devient une de ses principales préoccupations en vue d’un retour à l’ordre.
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Dans son émission présentée tous les dimanches matin sur les ondes de la Radio Provinciale, le journaliste Alix Joseph invite des notables, des autorités religieuses à interroger les différents problèmes sociopolitiques auxquels la ville est exposée. D’où l’émergence d’une parole libre qui menace les intérêts politiques de certains acteurs, dont des anciens membres du Front Résistance et consorts.
Des actes d’intimidation et des appels anonymes s’ensuivent. À ce propos, le directeur de la station, Frantz Justin Altidor a révélé que lui et Alix avaient reçu des menaces d’un individu qui « les a prévenus qu’il n’aimait pas le point de vue de Radio-Télé Provinciale sur le désarmement des gangs locaux ».
Les malfrats n’ont pas eu gain de cause, le média a continué à faire son travail. C’est ainsi qu’ils sont passés à l’acte dans la nuit du 16 mai 2007 en assassinant Alix Joseph.
« C’était un homme humble. Je me rappelle qu’un jour au Lycée Fabre Geffrard, on s’était mobilisé en classe pour chahuter le professeur Alix après qu’il ait enregistré plusieurs jours d’absence. Nous avons fait beaucoup de bruit pour perturber son cours de philosophie. Pourtant, il était là dans la salle, les bras croisés, à nous regarder droit dans les yeux, sans rien dire. Au bout du compte, nous avons abandonné. C’était un homme humble, doté d’une grande sagesse », raconte Piteau Jackson, un ancien élève d’Alix Joseph, 13 ans après l’assassinat.
Un sénateur indexé
Le jeudi 24 mai 2007, ils sont des milliers de citoyen-n-es de la ville, munis de banderoles, pancartes, dans l’enceinte et à l’extérieur de la Cathédrale du Souvenir des Gonaïves pour participer aux funérailles du journaliste.
Un sentiment de colère, de révolte anime la foule qui scande des slogans hostiles à l’égard du sénateur Youri Latortue. Un ancien collègue d’Alix Joseph qui était le directeur de radio Etincelles, Esdras Mondélus, a même tenté d’empêcher le président du parti Ayiti An Aksyon de prendre la parole.
« La clameur publique accusait Youri Latortue d’être le commanditaire de l’assassinat de mon frère », rapporte l’un des quatre frères du défunt interviewé par Ayibopost.
Les funérailles d’Alix Joseph se transforment en manifestation. Les soldats pakistanais de la Minustah ont dû faire usage de gaz lacrymogène pour disperser la foule.
Des menaces et un enlèvement
La police de la ville des Gonaïves sous la direction du commissaire Ernst Bouquet Dorfeuille, fraichement nommé à la direction départementale de l’institution, a procédé à l’arrestation de plusieurs suspects dont Jackson Elusmé, Alix Souffrant et Emmanuel Rémillien dit Tinason.
Quelque temps après, à Port-au-Prince, Jerry Bien-Aimé, le suspect numéro un, allait être appréhendé par la police nationale d’Haïti. Cet ancien membre de l’Armée Cannibale qui a participé dans la lutte armée contre le président Jean-Bertrand Aristide en 2004 aux côtés de Guy Philippe sera condamné à 20 ans de travaux forcés par suite d’un procès qui avait débuté en décembre 2013. L’année suivante, il a réussi à s’évader.
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« Lors du procès, le juge Berry Petit-Frère siégeait comme doyen tandis que moi je représentais le ministère public », rapporte Me Enock Géné Génélus. « J’y ai amené l’arme du crime, un fusil HKG3. J’ai sollicité une condamnation à perpétuité contre Jerry Bien-Aimé. Le doyen lui a donné 20 ans pour des raisons d’ordre social », explique l’ancien chef du parquet des Gonaïves qui fera l’objet de nombreuses menaces.
Des malfrats attaquent sa maison en 2014. Sa fille de douze ans est atteinte par un projectile au niveau du sein gauche. La même année, son fils qui étudie en République dominicaine a été kidnappé. « C’est un crime transnational qui a des ramifications en Haïti. Des gangs de Delmas 2, des Gonaïves et du Plateau Central y étaient impliqués. J’ai un cousin qui avait participé à cet enlèvement. C’est lui qui m’a permis de récupérer mon fils », raconte Me Génélus.
Face à toutes ces menaces, l’ancienne première dame Sophia Martelly lui aurait promis de l’accompagner pour obtenir un asile politique au Canada. « Je l’ai rencontrée au Palais national, elle m’a donné son numéro de téléphone. Jusqu’à aujourd’hui, je n’ai jamais eu de ses nouvelles », continue l’ancien numéro un du parquet des Gonaïves.
Une grâce présidentielle
En décembre 2014, Michel Martelly a accordé la grâce présidentielle à 340 prisonniers, dont Jerry Bien-Aimé alors qu’il était en cavale. À l’époque, le sénateur Youri Latortue faisait partie des principaux conseillers du président de la République. De l’avis de Me Enock Génélus, il est à l’origine de la grâce présidentielle dont a pu bénéficier l’assassin d’Alix joseph. Même son de cloche du côté de la famille du défunt qui a dû quitter définitivement la ville des Gonaïves depuis mai 2007.
Youri Latortue a été contacté sans succès à plusieurs reprises. Des messages lui ont été adressés via WhatsApp et son téléphone en a accusé la réception. S’il réagit, cet article sera mis à jour.
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13 ans après l’homicide de l’ancien administrateur de Radio-Télé Provinciale, les journalistes continuent d’être la cible de certains malfrats travaillant à la solde de grands barrons politiques et de l’oligarchie économique.
De Vladjimir Legagneur à Rospide Pétion et Néhémie Joseph pour ne citer que ceux-là, les travailleurs de la presse font les frais de l’ordre social injuste, brutal et inégalitaire haïtien.
Aujourd’hui, Haïti se situe 83e sur 180 pays au classement mondial de 2020 de la liberté de la presse, élaboré par Reporters Sans Frontières. En comparaison à l’année dernière, le pays régresse de 21 places. Ainsi, la liberté d’expression qui est un acquis de la lutte populaire de 1986 poursuit sa chute libre dans cette société où règne l’impunité.
Feguenson Hermogène
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