SOCIÉTÉ

Les horreurs de la dictature des Duvalier racontées par Bernard Diederich

0

Une histoire d’amour et d’engagement

En décembre 1949, un jeune Néo-Zélandais du nom de Bernard Diederich, venant fraichement de participer à la Seconde Guerre mondiale dans le Pacifique, débarque dans la rade de Port-au-Prince. Le gouvernement haïtien ayant à sa tête le président Dumarsais Estimé, commémore à l’époque les deux cents ans de fondation de la ville. Une exposition internationale s’organise au Bicentenaire, à proximité de la baie de la capitale.

Collage de photos de l’exposition du Bicentenaire. Photo: Archives BRH

Parades militaires, cérémonies religieuses, performances artistiques, une ambiance festive et chaleureuse bat son plein au bas de la ville. Bernard Diederich tombe sous le charme et décide de ne pas repartir dans son pays natal. C’est ainsi que ce jeune homme de 23 ans seulement à l’époque, va s’installer en Haïti et se construire une solide carrière de journaliste.

Alors qu’Haïti célèbre ce 7 février 2020 le début de la transition démocratique faisant suite au départ du dictateur Jean-Claude Duvalier en 1986, un retour sur l’œuvre de ce grand journaliste qui a permis de faire la lumière sur les 29 années sombres de la dynastie duvaliériste, s’avère nécessaire.

Les élections de 1957 racontées par Bernard Diederich

Les quatre principaux candidats aux présidentielles de 1957. Photo: Archives BRH

En 1957, des élections sont annoncées dans le pays. Quatre candidats partent favoris parmi les 10 inscrits : le professeur Daniel Fignolé qui a un solide soutien populaire ; l’ancien sénateur Louis Déjoie, industriel expérimenté, très proche de l’oligarchie économique ; Clément Jumelle, économiste formé aux États-Unis et qui a été ministre au gouvernement de Paul Eugène Magloire et enfin François Duvalier dont le profil était celui « d’un modeste médecin de campagne, inoffensif ».

L’opinion publique ignorait encore l’autre face de « Papa Doc ». Ce futur président à vie de la République détenait déjà un réseau occulte de malfrats dont « l’expertise était assurée par un éventail de talents, allant de la désinformation à la fabrication de bombes artisanales ». L’un des actes perpétrés par ses sbires, avec à leur tête le cubain Temistocles Fuentes Rivera, Clément Barbot (futur chef de la police secrète duvaliériste avant de devenir opposant) et Fritz Cinéas, fut l’incident de Thor. Dans ce quartier de la commune de Carrefour, une bombe artisanale explose dans un entrepôt appartenant à M. Daniel Francis. Deux officiers de l’armée d’Haïti décèdent. Le candidat François Duvalier est pointé du doigt, une partie de l’opinion publique exige son exclusion de la course électorale. Pour se dédouaner des accusations portées à son encontre, il intervient sur les ondes de la radio Port-au-Prince.

Quelques semaines après ce drame, un gouvernement collégial est mis en place sous la direction du général Léon Cantave. Le 25 mai 1957, des affrontements ont lieu entre les hommes de Cantave et ceux du colonel Armand. À l’issue de cette journée sanglante, environ 17 personnes sont mortes. Pour éviter au pays une guerre civile, Daniel Fignolé, candidat très influent dans le milieu populaire, est choisi comme président provisoire. L’ancien professeur priorisait la compétence dans la formation de son gouvernement, pour paraphraser Bernard Diederich.

Coup d’État contre Daniel Fignolé

Moins d’un mois après son investiture, soit le 14 juin 1957, Daniel Fignolé est démis de ses fonctions par suite d’un putsch orchestré par le général Antonio Kébreau et le lieutenant Jean Beauvoir. Le président déchu et son épouse Carmène ont été forcés de monter à bord d’un avion au Môle St-Nicolas à destination des États-Unis.

La junte militaire étouffe dans l’œuf le soulèvement populaire à La Saline qui allait suivre le départ de Daniel Fignolé. Un couvre-feu est décrété avant la lettre. Plusieurs dizaines de victimes sont enregistrées. L’ex-ministre de la Santé, Camille Lhérission, fait état de 1000 personnes assassinées ; des chiffres démentis par le putschiste Antonio Kébreau.

Finalement, le 29 août 1957, le gouvernement militaire ratifie une loi électorale fixant la date des élections ainsi que la durée du mandat présidentiel. Le 22 septembre, François Duvalier, supporté par le général Antonio Kébreau, est élu président d’Haïti pour un mandat de 6 ans. Il prête serment le 22 octobre 1957.

Lisez également: Les « Duvalier » dans l’histoire d’Haïti : corruption au service du luxe

La presse haïtienne a joué un rôle important avant et pendant le déroulement de ce scrutin. Le journal La Phalange, le plus influent à cette époque lance un appel au discernement et à la modération aux différents camps politiques, alors que les stations de radio Jean-Jacques Dessalines et Port-au-Prince supportent respectivement les candidats Clément Jumelle et François Duvalier.

Le journal Haiti Sun, créé par Bernard Diederich en 1950 en collaboration avec T.J Grant (écossais, ancien vétéran de l’armée américaine lors de l’occupation de 1915-1934), Daniel Arty, Lucien Montas et les poètes Félix Morisseau Leroi et Émile Roumer, a assuré la couverture de ces différents moments historiques. Des tribunes ont été consacrées aux différents acteurs politiques ; régulièrement l’équipe du journal produit des reportages sur l’actualité politique locale. Les publications se font en trois langues : anglais, français et créole. Bernard muni de son appareil de photo et de son enregistreur, arpente les rues de la capitale haïtienne à la recherche d’informations de première main.

Une fois, nous raconte-t-il lors d’un entretien qu’il nous a accordé en 2015 :

« J’ai été à Carrefour Dufort, sur la route du Sud, pour couvrir un meeting du candidat Louis Déjoie, une zone réputée pour son attachement à Daniel Fignolé. Une pluie de pierres a souhaité la bienvenue à Déjoie. Son équipe a riposté via des armes à feu. Une personne a été tuée. J’en ai fait un reportage pour le Time Magazine. Ce qui n’a pas plu à Déjoie. Il voulait me faire expulser du pays. J’ai dû partir pour New York pendant trois semaines en attendant que la tempête passe. »

L’événement du 26 avril et l’expulsion de Bernard Diederich

Gérald Benoit, fils de François Benoit, porté disparu à 18 mois. Photo archive familiale

Alors que son mandat arrive à son terme, François Duvalier refuse de partir. Il renforce sa main mise sur l’ensemble des institutions du pays. Le 26 avril 1963, l’ancien chef de la police secrète de Duvalier, Clément Barbot tente d’enlever Jean-Claude Duvalier, le fils du chef de l’état, alors que le jeune garçon se rendait à l’école. Le président accuse le lieutenant François Benoit d’être à l’origine de cet incident. Une chasse à l’homme sans merci est lancée. En représailles, le fils de François Benoit, Gérald, âgé de 18 mois seulement disparaîtra après que les sbires de Duvalier aient mis feu à la maison de la famille.

Bernard Diederich qui vivait à l’époque sur la route des Frères gagne le centre-ville de Port-au-Prince pour couvrir l’événement. Une fois encore, cela ne plaît pas au régime qui ne tarde pas à l’expulser du pays.

Quatorze ans après son arrivée au pays, le propriétaire du journal Haiti Sun, son épouse, une psychiatre haïtienne, et leur premier fils âgé d’à peine 40 jours vont s’installer en République Dominicaine. De là, Diederich fréquente des exilés haïtiens, dont Jean-Claude Barjeux, le père Georges et Fred Baptiste. Ce dernier allait par la suite diriger une guérilla sur les hauteurs de la forêt des Pins, dans la commune de Thiotte, en juin 1964.

L’héritage de Bernard Diederich

Bernard Diederich est mort à 93 ans, le 14 janvier dernier, chez lui à Pétionville. Son décès est une perte immense pour la presse haïtienne et internationale. Il était aussi un fidèle reporter freelance pour Associated Press, le New York Times ou encore NBC.

 

Tout au long de sa carrière, il a analysé la vie politique et sociale du pays qu’il aimait au point de ne plus repartir chez lui. De ses 22 ouvrages publiés, environ une dizaine est consacrée à Haïti, interrogeant les 29 ans de la dictature duvaliériste. De Papa Doc et les Tontons Macoutes, en passant par Le Prix sang I et II, le Trophée, Fort Dimanche la machine exterminatrice, les livres de Bernard Diederich constituent une source intarissable de l’histoire politique et sociale haïtienne des soixante dernières années.

Le travail documentaire, méticuleux et pointu de ce Néo-Zélandais, amateur de rhum Barboncourt dès son premier jour sur le sol haïtien, en décembre 1949, a marqué profondément l’histoire du journalisme en Haïti.

Feguenson Hermogène est journaliste et cinéaste. Il a intégré l’équipe d’Ayibopost en décembre 2018. Avant il était journaliste à la radio communautaire 4VPL (Radyo Vwa pèp la, 98.9 FM) de Plaisance du Nord.

    Comments

    Leave a reply

    Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *