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Affaire Nice Simon : un cas d’impunité soutenu au plus haut niveau de l’Exécutif

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L’agresseur de la mairesse de Tabarre, Yves Léonard, circule en voiture officielle, escorté par des hommes d’une unité spéciale de la Police. L’inculpé est un « bon ami » du Premier ministre. Il est proche du président de la République et entretient des relations avec certains bandits notoires. La mairesse cherche justice contre un homme qui a tout l’appareil d’État à son service.

  

Nice Simon vient de faire appel contre la décision du juge Wando Saint Villier qui a suspendu le mandat d’amener décerné contre Yves Léonard, l’agresseur qui l’a sauvagement violentée le 1er octobre 2018. La mairesse de Tabarre a été agressée dans l’exercice de ses fonctions par son compagnon, pour avoir refusé d’obéir à ses volontés dans le cadre d’un dossier concernant l’Unité de lutte contre la corruption.

Les images des hématomes sur son visage et son corps volontairement publiées par Mme Simon ont fait le tour des réseaux sociaux et ont suscité un grand émoi. Ce 1er octobre 2018, la mairesse avait pris son courage à deux mains, pour sortir de son silence et dénoncer publiquement l’agresseur qui a failli la tuer .

« Avant, j’avais peur de dénoncer les violences verbales et physiques parce que je me disais qu’il a la République à ses pieds », confie t-elle.

Nice Simon avait également saisi la justice en déposant plainte contre Yves Léonard le 3 octobre 2018. C’est ainsi qu’un premier mandat d’amener a été décerné contre M. Léonard le même jour par le substitut commissaire du gouvernement de la juridiction de la Croix-des-Bouquets pour séquestration, voies de faits et tentative d’assassinat. Le commissaire du gouvernement d’alors, Yvon Jean Noël, a été suspendu de ses fonctions pour avoir été de mèche avec l’agresseur. Le 25 octobre 2018, le juge d’instruction Wando Saint-Vilier émet un deuxième mandat d’amener contre Yves Léonard pour séquestrationvoies de faits et tentative d’assassinat. Ce même juge a renvoyé l’affaire devant le tribunal correctionnel en ne retenant comme chef d’accusation que les voies de faits suivies de coups et blessures.

« Il a tout l’appareil d’État entre ses mains »

 Selon Nice Simon, Yves Léonard utilise l’argent et les accointances politiques pour s’imposer et se faire craindre. « Il contrôle le système judiciaire et il a des amis qui sont de hautes autorités du pouvoir central. Il a des doyens, des avocats, des ministres au niveau du pouvoir », révèle t-elle.

Il se trouve que le président de la République, Jovenel Moïse, est le locataire d’une maison qui appartient à Yves Leonard. « Quand le président de la République habite chez vous, il existe quand même un rapport de force, souligne Nice Simon. Il y a des lobbies qu’on peut faire avec ça. Je voyais des ministres et des directeurs défiler chez Yves Léonard pour demander des postes. »

L’inculpé est aussi l’ami du Premier ministre, Jean Henry Céant, qui est membre fondateur et ancien candidat à la présidence du parti Renmen Ayiti. C’est le parti sous la bannière duquel Nice Simon a été élue Maire de Tabarre. Rappelons que le Premier ministre est aussi chef du Conseil supérieur de la Police judiciaire. « S’il avait été émis un ordre formel pour arrêter Yves Léonard, il serait déjà arrêté. Pourtant, la direction de la Police judiciaire est à quelques mètres de sa résidence, affirme la mairesse. Comment peut-on l’arrêter lorsqu’il a des policiers [d’unités] spécialisées qui assurent sa protection  et qu’il circule en voiture officielle ? »

Selon certaines sources dignes de foi, ce sont des voitures de l’Unité de Sécurité générale du Palais national qui escortent Yves Léonard avec des agents de l’unité. Nous avons essayé en vain d’obtenir une réaction du responsable de l’USGPN et du Premier ministre.

Nice Simon rapporte que Yves Léonard déclare circuler avec trois mille dollars américains en liquide pour soudoyer tout policier qui tenterait de l’appréhender. « Il dit qu’il sait que les policiers sont de petits vicieux. Il leur donnerait les trois mille dollars », révèle la mairesse.

« Comment le système peut-il gérer d’autres cas plus complexes s’il se montre incapable de gérer un petit cas comme celui-ci ? », s’interroge Nice Simon. Sa question a tout son poids dans la mesure où, le gouvernement que dirige Jean Henry Céant a promis de faire la lumière sur la dilapidation des fonds Petrocaribe. Cette affaire concerne l’un des plus grands scandales de corruption de l’histoire d’Haïti. Dans une adresse à la nation, le Premier ministre admet que l’argent a été détourné et promet de poursuivre en justice les coupables contre lesquels le gouvernement entend porter plainte.

Nice Simon dénonce une série de stratagèmes qu’utilise le juge d’instruction pour nier qu’elle a été séquestrée et que Yves Leonard a failli l’assassiner. Elle soutient qu’en éliminant les premiers chefs d’accusation, le juge entend faire diminuer la peine que risque d’encourir l’inculpé. « Je constate tout cela avec consternation », déclare t-elle en appellant les dirigeants à ne pas banaliser l’État avec les histoires de copinages.

« Il contrôle les juges, il a en poches, ministres, policiers et autres hauts dignitaires de l’État. »

Aujourd’hui, Nice Simon se sent prise dans l’engrenage. Elle fait l’objet de menaces de la part « d’alliés » de Yves Léonard. Des manifestants réclament sa démission à la tête de la mairie de Tabarre et son nom est graffé sur les murs de la capitale avec des « propos indécents ». L’église de l’un des maires assesseurs qui la supporte dans son combat est régulièrement badigeonnée de matières fécales.

La mairesse prend toutes les précautions pour sa sécurité. Elle limite ses déplacements parce qu’elle sait que son agresseur n’est pas n’importe qui. « Les gens qu’on identifie comme des criminels notoires, il leur parle au téléphone», affirme t-elle.

La victime se croit convertie en bourreau aux yeux de beaucoup de gens de la société. Elle estime qu’on est en train de retarder l’affaire pour la jeter dans l’oubli.

Nice Simon a mis plus de deux mois avant de circuler librement dans l’espace de la mairie de Tabarre. « Je ressentais une gêne. Je sentais mon autorité diminuer.  Je me demandais ce que mes collaborateurs pensent de moi ? Obéiront-ils à mes ordres ? »  La mairesse qui se définit comme « une battante » a fini par tout surmonter pour affronter aujourd’hui son démon. Elle appelle les organisations féministes en renfort pour faire écho de son cas. « Je mène cette lutte au nom de la République. Si moi, je perds confiance dans le système, qu’en est-il des autres ? »

Après sept ans de relation, Nice Simon et Yves Léonard ont un enfant de deux ans.

 Ralph Thomassaint Joseph

Directeur de la Publication à AyiboPost, passionné de documentaire.

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