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Pourquoi les autorités restent silencieuses face à la disparition de Vladjimir Legagneur ?

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Ce 14 mars 2019 marque, jour pour jour, la première année de la disparition de Vladjimir Legagneur. Le photojournaliste qui s’est rendu à Martissant pour un travail professionnel n’y est jamais revenu. Douze mois après, le mépris des autorités face à cette disparition pèse lourd et démontre comment la pratique du journalisme reste fragile en Haïti.

Où est Vladjimir Legagneur ? Cette question, au cours de l’année dernière, a mobilisé les proches du photojournaliste et des journalistes issus de plusieurs médias. Ces derniers n’ont pas ménagé leurs efforts sur le macadam et auprès des institutions estimées compétentes pour exiger que lumière soit faite sur la disparition de Vladjimir Legagneur. La presse et quelques institutions étrangères se sont aussi mêlées de la partie, mettant ainsi la pression sur les autorités haïtiennes qui gardaient jusque-là une indifférence borgne sur le dossier.

Le 28 mars, 14 jours après la disparition, le directeur Départemental de l’Ouest, Berson Soljour, a annoncé à la presse que « des ossements, sans le crâne » d’un corps et « un chapeau » ont été déterrés sur un terrain vague à Grand-Ravine. Ces restes, toujours selon M. Soljour, ont été confiés à la police scientifique qui devait se charger « de déterminer s’il s’agit ou non du journaliste Vladjimir Legagneur ».

« Vladjimir mérite des funérailles dignes et nous sommes prêts à continuer à faire preuve de solidarité envers la famille », avait déclaré Edine Célestin, photojournaliste de K2D très proche du disparu qui comptait même sur un résultat révélant une « issue fatale » du dossier. Mais, les autorités policières ne sont jamais ressorties du laboratoire pour communiquer les résultats des examens et pensent, avec leur silence, faire oublier le dossier.

Un silence non innocent

Ce silence de nos autorités sur la disparition de Vladjimir fait resurgir des souvenirs lugubres pour le journalisme. Il rappelle qu’en 2019, ce métier vit encore dans l’ombre des sombres époques où la liberté d’expression était violemment sanctionnée sous le silence compromettant de la Justice. Jean Léopold Dominique, Mireille Durocher Bertin, Jacques Roche, Brignol Lindor. La liste serait trop longue si l’on se mettait à faire le bilan des journalistes qui ont été doublement victimes de l’indifférence des différents pouvoirs qui ont succédé aux commandes de la justice du pays.

En réalité, cette indifférence de nos acteurs politiques est la manifestation d’une attitude bien calculée. « Le journalisme et la démocratie sont des institutions interdépendantes ; elles se transforment par le jeu de leurs contradictions internes et par les changements qui surviennent dans les conditions de leur pratique. » explique clairement Jean Charron, membre du Département d’information et de communication de l’Université Laval. Or, en Haïti, on assiste, sous la manipulation de ces gourous politiques, à la déliquescence des institutions de représentations démocratiques.

Le journalisme dont la pratique dépend de principes tels que la liberté d’expression, l’objectivité, l’intérêt public, le service public, l’universalité ou encore la spécificité est un métier qui évolue en Haïti sur des bases fragiles. Seul un État dont les acteurs manifestent  la volonté d’aboutir à un idéal démocratique peut réunir ces principes, laissant ainsi une marge légitime au métier de l’information.

Cette réalité pose, en partie, des limites très restreintes au journalisme. Le journaliste se préoccupe d’abord aux aléas pouvant atteindre sa vie avant de traiter d’un sujet. S’ensuivent les contraintes de rétention de l’information, les tentatives de monnayage, le manque de temps et de ressources formant les dessous d’un métier très critiqué pour son manque de critique.

La suspension des actes arbitraires contre les journalistes haïtiens n’est donc pas l’expression d’un virage réel de la société vers la démocratie. Les menaces pèsent encore. Michel Martelly, dans ses sorties médiatiques nous rappelle très souvent qu’il n’apprécie que les « journalistes » qui le soutiennent même dans l’indécence. Le maire démissionnaire des Cayes, Jean Gabriel Fortuné, a fièrement repris en août 2017 que le journaliste, Jean Nazaire Jeanty, méritait d’être « tué » pour avoir produit un reportage informant de la mauvaise gestion de son administration communale de la plage Gelée.

Dans un État dirigé par des esprits nostalgiques de l’autoritarisme, le droit d’informer sur tous les faits avec objectivité sans accepter d’être marchandé peut être un délit. Les principes de cette forme de journalisme menacent les intérêts des maîtres du modèle social. En se rendant à Martissant, Vladjimir Legagneur, n’a voulu que réunir ses principes pour démontrer la vie des habitants de ce quartier troublé quotidiennement par la violence. Un quartier où l’État définit ses fonctions autrement.

Hadson Albert

Journaliste et communicateur

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