Des civils armés se mettent aux côtés des policiers pour repousser les bandits, témoigne un officier proche du groupe. Cette alliance soulève des questions légales et éthiques
Les bandits semaient la terreur à Mariani le 4 mars dernier quand un groupe armé de Carrefour est venu à la rescousse.
Beaucoup d’entre eux étaient policiers. De simples citoyens en civil et armés composaient le reste de la bande, selon deux témoignages recueillis sur place.
Dans la zone, le regroupement est connu sous le nom Karavàn, témoigne le responsable d’une entreprise à Mariani. Il requiert l’anonymat pour des raisons de sécurité.
« Ils étaient venus pour aider la population à rechercher les bandits parce que des informations faisaient croire que certains d’entre eux étaient encore cachés dans la zone », explique le commerçant.
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Difficile de trouver une définition claire pour l’association. « Karavàn n’est pas un gang armé », précise à AyiboPost un policier qui habite à Carrefour. Il souhaite garder l’anonymat parce qu’il n’est pas autorisé à prendre la parole au nom du groupe. « Il n’y a pas de chef de file dans ce mouvement, déclare le membre de la PNH. La Karavàn développe des relations avec la communauté afin de protéger la zone. »
Cet officier de la PNH confie avoir participé avec ses collègues dans des opérations de la Karavàn en novembre 2020 afin de repousser les caïds de Village-de-Dieu et de Grand-Ravine lors d’une tentative pour instaurer un groupe armé à Mahotière.
Les civils armés aident dans cette guerre de territoire. « Il y a des espaces difficiles d’accès et hors de notre portée, déclare le policier. S’il y a d’anciens militaires et des gens armés de la population qui offrent leur soutien pour contrôler la zone, je ne vois pas le problème. »
« Karavàn n’est pas un gang armé », précise à AyiboPost un policier qui habite à Carrefour.
Selon des rumeurs circulant sur les médias sociaux, la plupart des membres du groupe auraient des liens avec des bandits. L’agent interrogé estime l’information plausible. « Certains policiers pourraient avoir des liens étroits avec des bandits, dit-il. On ne peut pas nier cette réalité ».
Mariani est une localité de Gressier située à environ 24 km du centre-ville de Port-au-Prince. AyiboPost a contacté le maire intérimaire de la commune, mais il n’a pas voulu réagir. « Je ne veux pas commenter, déclare Jean Vladimir Bertrand. Il y a une enquête en cours. La Direction centrale de la Police judiciaire (DCPJ) travaille sur le dossier. Je laisse l’institution effectuer son travail », a-t-il répondu.
Carrefour compte plus de 500 000 habitants. Dans cette localité on trouve une centrale électrique ainsi que le terminal Thor, un point de stockage de produits pétroliers.
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« Ces caïds veulent prendre le contrôle de Mariani dans le but d’encercler la commune de Carrefour, déclare le policier membre de la Karavàn. Ils veulent y venir imposer leur loi. On ne veut pas que Carrefour devienne Martissant », conclut-il de manière catégorique.
Très proche de Martissant qui est déjà sous le contrôle des gangs armés de Grand-Ravine et de Village-de-Dieu, Carrefour arrive en tête de la liste des cibles des bandits en soif de nouveaux territoires. L’attaque perpétrée au début du mois de mars avait pour objectif de prendre le contrôle du marché de Mariani et de l’abattoir, avait révélé au Nouvelliste le maire Jean Vladimir Bertrand.
Ce n’est pas une première que des policiers et des civils se mettent ensemble au service d’un objectif commun en Haïti. Carrefour-feuilles abrite Baz Pilat qui est un puissant groupe armé établit à la deuxième avenue Bolosse. Ce regroupement se compose de policiers et de civils armés.
« Il y a des espaces difficiles d’accès et hors de notre portée, déclare le policier. S’il y a d’anciens militaires et des gens armés de la population qui offrent leur soutien pour contrôler la zone, je ne vois pas le problème. »
« Ces groupes sont nés le plus souvent d’un besoin de sécurité parce que les forces publiques n’accomplissent pas leurs missions à savoir protéger des biens et des vies » analyse Roberson Édouard, sociologue et professeur à l’université d’Ottawa au Canada.
« Ce n’est pas un phénomène nouveau », continue l’expert qui a fait des recherches sur le vigilantisme en Haïti. C’est une adaptation d’un modèle qui existe en Haïti depuis les années 1990. C’est ce qu’on appelle brigade de vigilance. Donc, l’idée de Karavàn n’est pas différente, c’est juste une recomposition du phénomène ».
D’après le sociologue, ce genre de brigade peut bien vite se transformer en des groupes politiques ou gangs armés.
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« C’est une pratique illégale, déclare Roberson Édouard. La constitution définit le statut et les attributions des forces de sécurité dans le pays ». Mais, pour le sociologue, ce qu’il faut d’abord aborder et résoudre, c’est le problème de l’inefficacité des forces publiques.
« Haïti n’a pas à l’interne les moyens pour résoudre le problème de l’insécurité, estime Édouard. Il nous faut une force de dissuasion qui soit capable d’imposer le monopole de la violence afin de traquer les bandits pour permettre à la population de reprendre sa vie normale, » rajoute l’expert. Il précise que cette force ne viendra pas effectuer le travail de la police. Elle se contentera d’affronter les groupes armés « dans le but de rétablir l’ordre dans zones dits non-droit. »
Plus d’une dizaine de personnes ont été tuées lors de l’attaque du 4 mars dernier.
« Ces groupes sont nés le plus souvent d’un besoin de sécurité parce que les forces publiques n’accomplissent pas leurs missions à savoir protéger des biens et des vies »
J. M est étudiant en sociologie à la Faculté d’Ethnologie de l’Université d’État d’Haïti. Durant ses douze ans à Mariani 15, c’est pour la première fois qu’il assiste à une telle violence.
T. M qui vit à Mariani 10 depuis 23 ans se montre surpris également. « Il y a toujours de petites querelles entre quelques jeunes, mais rien de cette ampleur n’est jamais arrivé dans la zone », signale-t-il.
Tout de suite après l’attaque, la police arrive sur les lieux. J. M a été surpris de voir des civils armés aux côtés des policiers sillonnant la zone.
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« Quand j’avais vu des gens sans uniforme circuler à bord d’une moto avec des armes lourdes alors qu’il y avait une voiture de police à quelques mètres, je pensais qu’il allait y avoir un autre affrontement, mais les policiers n’avaient pas réagi, témoigne J. M. Du coup, j’ai vite compris qu’ils travaillaient ensemble », se souvient l’étudiant en sociologie. « Ils étaient venus pour rétablir l’ordre. »
Image de couverture : Mariani. Juin 2014
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