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500 000 armes à feu circulent dans le pays. Seulement 45 000 sont légales.

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Le processus de légalisation est pourtant clément

En novembre 2019, lors d’une entrevue accordée à Radio Vision 2000, le responsable de désarmement au sein de la Commission nationale de Désarmement,  Démantèlement et Réinsertion, Jean Rebel Dorcenat, a dévoilé qu’environ 500 000 armes à feu illégales circulent dans le pays. 

Les chiffres de Jean Rebel Dorcenat représentent le double de ceux que l’ancien directeur général de la PNH, Godson Orélus, avait fournis en janvier 2015, en marge d’une cérémonie de destruction d’armes à l’Académie de police, à Pétion-Ville. 

Par rapport à la quantité d’armes illégales dans le pays, les armes légales sont une goutte d’eau. Selon le responsable du Service de permis des armes à feu, le commissaire Max Hilaire, il n’y a que 45 000 armes légalisées dans le pays, approximativement. Ce chiffre a été communiqué le 14 décembre 2020.

La Constitution reconnaît aux citoyens haïtiens le droit de se procurer une arme à feu,  pour protéger les limites de leur domicile. Mais le circuit des armes illégales a pris le pas sur les armes reconnues par le service compétent de la police.

En provenance de l’étranger

Selon le porte-parole adjoint de la PNH, Gary Desrosiers, la Police haïtienne accorde des permis de détention pour des pistolets, des revolvers et des fusils de calibre 12. Les propriétaires de pistolets et de revolvers peuvent aussi solliciter un permis de port, qui leur permet de circuler avec leur arme. 

Mario Andrésol, directeur général de la PNH de juillet 2005 à août 2012, apporte quelques précisions. Selon lui, seules les armes achetées « chez un armurier dans un pays étranger comme les États-Unis, après une autorisation du directeur général de la PNH, peuvent être légalisées en Haïti. »

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Mario Andrésol souligne que cette « procédure interne » était en vigueur sous son administration, afin d’éviter la légalisation des armes déjà en circulation dans le pays, pour ne pas augmenter la contrebande.

D’après l’ancien directeur,  dans la lettre d’autorisation signée par le DG de la PNH, tout un paragraphe est consacré au fait que l’arme qui sera légalisée plus tard doit être achetée dans un pays étranger. 

Cependant, il souligne que depuis quelque temps, « des politiciens puissants font pression sur le directeur général de la PNH en vue de la légalisation d’armes déjà en circulation dans le pays. »

En septembre 2016, lors d’une rencontre avec la commission justice du Sénat de la République, le Premier ministre d’alors Enex Jean Charles, a annoncé qu’il a incité la police à légaliser environ 38 000 armes à feu, dans le cadre des mesures adoptées pour garantir le bon déroulement des élections qui se tenaient cette année-là. 

Processus aléatoire

Pour avoir accès à une arme à feu légalement, le citoyen haïtien doit répondre à certains critères. Il doit avoir par exemple une attestation prouvant qu’il possède une activité commerciale dans le pays, ou une lettre prouvant qu’il travaille, en plus de l’obligation qu’il a de l’acheter à l’étranger. 

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Mais certains sont parvenus quand même à légaliser des armes qu’ils possédaient déjà. Pierre André, un journaliste travaillant pour un média de la capitale, a légalisé en 2015 une arme qu’il possédait depuis cinq ans. 

L’insécurité qui sévit dans le pays a obligé ce reporter accrédité au Parlement haïtien à se procurer une arme à feu qu’il gardait chez lui illégalement. En 2015, il a pris la décision de la légaliser, afin d’obtenir un permis de port d’armes.

André dit avoir écrit au directeur général de la police, lui demandant une autorisation, afin de suivre le processus de légalisation à travers la Direction centrale de la Police judiciaire. Aujourd’hui, Pierre détient son permis. Grâce à des contacts haut placés, le journaliste a obtenu sa carte en l’espace de trois jours.

Comme André Pierre, Paul Batravil qui dirige une agence de produits pharmaceutiques dans la capitale est aussi parvenu à légaliser son arme à feu qu’il possédait lui aussi depuis cinq ans. Mais pour lui, tout a duré près d’un an et demi.

« J’ai écrit une lettre au directeur général de la police, puis j’ai apporté l’arme à la DCPJ pour enquêtes. Il y a eu ensuite un rendez-vous à l’académie de police pour la balistique, et un autre au Service de Permis d’Armes à feu pour avoir le permis », raconte-t-il.

Différents problèmes se sont posés.  « Il n’y a qu’une seule imprimante pour les cartes et lorsqu’elle tombe en panne, il faut patienter longtemps. J’ai des amis qui ont abandonné le processus en cours de chemin à cause de ces difficultés », poursuit-il.

Manque de volonté politique

Jean Rebel Dorcenat a récemment assuré que seules onze familles contrôlaient la vente des armes dans le pays. Mais des armes passent également la frontière en contrebande. Des saisies d’armes à feu en grande quantité sont souvent effectuées dans les ports du pays, notamment au port privé de Lafito. 

Pourtant aucune mesure ne semble être prise pour contrôler le circuit des armes. 

Aux États-Unis d’Amérique, l’ATF (Bureau of alcohol, Tobacco, Firearms and explosives), travaille avec les pays de la région pour identifier les armes qui proviennent des USA, en circulation illégale dans ces pays.

En clair, l’ATF aide les États à identifier les acheteurs d’armes à feu, afin de déterminer si ces marchands d’armes écoulent leurs stocks dans l’illégalité, dans les pays concernés.

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Malgré la hausse de la criminalité, Haïti figure parmi les pays qui ont le moins sollicité l’appui de ce bureau.

En juillet 2019, le Sénat de la République a voté en faveur d’une proposition de loi relative à la fabrication, la commercialisation, la détention et le contrôle des armes à feu en Haïti. 

Cependant, aucune décision n’a été prise à la Chambre des députés pour entériner cette proposition de loi, au grand dam de son initiateur, le sénateur Jean Renel Sénatus.

Cette loi propose une vaste opération de légalisation des armes existant sur le territoire afin de pouvoir mieux résoudre certaines affaires liées à la criminalité dans le pays.

 Samuel Celiné

Poète dans l'âme, journaliste par amour et travailleur social par besoin, Samuel Celiné s'intéresse aux enquêtes journalistiques.

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