Informer ses proches ou s’afficher publiquement comme membre de la communauté LGBTI demeure un acte de courage dans la société haïtienne
« Outing » est un mot anglais qui se veut contraire au « coming-out ». Dans le premier cas, un membre de la communauté LGBTI est révélé au grand jour, sans son consentement. Le second scénario constitue son opposé.
L’« outing » se fait souvent dans la douleur. Steve Grandjean, un journaliste dans la trentaine, en sait quelque chose, puisqu’un épisode similaire lui a coûté son mariage de trois ans.
Quelques mois après les noces, Grandjean a fait la rencontre d’un jeune homme qui passait dans son quartier, à Santo. Il est venu à la rescousse de l’inconnu qui disait être perdu. Des coordonnés s’échangent. Dans les jours et mois qui s’ensuivent, ils flirteront… et des messages passionnés les uniront.
Plus tard, en mars 2019, la femme de Grandjean tombe des nues, en lisant les échanges SMS de son mari avec cet autre homme. Elle s’en prend à ce « rival » au téléphone. Et furieuse, la blessée convoque une réunion de famille où l’homosexualité de son mari constituait le centre des préoccupations. Les passions de la situation ont eu raison du mariage.
Bien que drapé dans la volonté, le « coming-out » aussi se fait parfois dans la douleur en Haïti. Naïcha Marie Sherby Brisson, ne dira pas le contraire. Il est un homme transgenre et s’appelle à présent Ondy. Comme le ciel est bleu, le jeune homme, aujourd’hui dans la vingtaine, sait depuis toujours qu’il affectionne les femmes.
Pour ne plus aimer en cachette, pour briser ce qu’il considère comme une « prison », Ondy appelle sa mère qui travaillait en province pour tout lui avouer. Une subite crise d’hypertension a failli emporter la dame au tombeau. Choquée, elle n’adressera plus la parole à Ondy pendant environ cinq mois.
L’événement est vieux de dix ans, mais Ondy n’est pas près de l’oublier. Son « coming-out » a failli lui coûter sa relation avec sa mère, et a définitivement scellé sa séparation avec certains de ses amis à l’époque et quelques camarades de classe.
Une vérité éternelle
Traditionnellement, les débats sur le mariage, l’orientation sexuelle et la détermination du genre alimentent des passions. Des décrets du président Jovenel Moïse, dénoncés pour leur illégalité par des spécialistes, relancent en Haïti les débats sur l’homosexualité.
Par exemple, le nouveau Code pénal sorti le mois dernier réprime les discriminations contre les citoyens en raison de leur orientation sexuelle. En réaction, la Conférence des Évêques d’Haïti déclare que ces instruments juridiques risquent de saper les bases de la société haïtienne « déjà chancelante ».
La société haïtienne véhicule encore beaucoup de stéréotypes et de stigmatisation autour de l’homosexualité, analyse Jacqueline Beaussan, psychologue clinicienne. « Cela va de la moquerie à l’hostilité franche, et à l’exclusion sociale. Et cette situation crée de la souffrance au niveau psychologique qui justifie parfois des demandes de consultation psychologiques. »
Quand le milieu est hostile, l’affirmation de soi demande des ressources personnelles pour faire face au rejet de l’environnement. Certaines personnes homosexuelles vivent une sexualité cachée et « honteuse » qui génère beaucoup de souffrance et bloque l’épanouissement personnel, rajoute la psychologue.
FICTION | Du dilemme d’être manifestant et homosexuel en Haïti
Selon une enquête menée par PSI-Haïti en 2015, il y aurait 55 000 hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes dans le pays. Aucune étude ne vient estimer la population des autres minorités sexuelles. Mais à chaque fois que le sujet surgit dans le débat public, un déluge de commentaires homophobes vient accueillir ceux qu’on accuse d’avoir « choisi » une orientation sexuelle déviante.
Les témoignages de membres de la communauté LGBTI font état d’un sujet bien plus complexe. Ondy a essayé de nier son amour pour les femmes pendant une bonne partie de sa vie, malgré sa démarche résolument masculine et son goût pour les jeux « réservés aux garçons », selon ses dires. Puis, il a fini par fréquenter des femmes, en cachette. « Je devais monter sur le toit pour parler avec ma copine, partage Ondy. Je me rappelle qu’une fois, je suis resté sous la pluie pour pouvoir lui parler. »
Au travail aussi, il faut être prudent. Anne Eunice St Vil s’appelle aujourd’hui Dominique St Vil, car il est un homme transgenre, comme Ondy. Il est étudiant en droit et responsable de l’Organisation Trans d’Haïti (OTRAH). Agent de cargo, il travaillait dans une grosse compagnie de la ville. Dominique se souvient que c’est un mail contenant une citation controversée qui lui a coûté ses relations avec ses collègues et finalement son travail. Depuis, il s’est consacré à l’activisme pour le droit LGBTI à plein temps.
Steeve Grandjean porte un témoignage similaire. La peur d’être soi-même et du qu’en-dira-t-on l’ont terrassé. Cet homme a décidé de se marier pour ne pas vivre son homosexualité. Il avoue même que c’était très difficile pour lui d’avoir des rapports sexuels avec sa femme sans s’imaginer avec un homme. Depuis le scandale qui a explosé son mariage, ce père d’un petit garçon de deux ans a cessé de se rebeller contre son attirance pour les hommes. Il embrasse désormais la communauté LGBTI.
« Cela faisait des années que je vivais avec ce secret caché au fond de moi, sous prétexte que ce n’était pas bien, révèle Steeve Grandjean, alors qu’il évoque son chemin de croix. Après tous ces efforts pour garder une ligne, je me suis même marié, pour correspondre à ce que veut la société. »
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De son côté, Evenson Serum, aujourd’hui qui se nomme Gabrielle, est née avec des organes reproducteurs masculins. Celle qu’on disait efféminé et à qui des voisins et membres de la famille prédestinaient un avenir homosexuel s’est depuis identifiée comme une femme transgenre.
« En grandissant, je ne savais pas ce que signifiait une personne trans. Je me savais différent, mais je n’avais pas le vrai terme pour me décrire », fait savoir Gabrielle. Le « coming-out » de la jeune femme, toujours bien maquillée, féministe et membre de l’organisation Kouraj, a déconcerté ses parents qui ne comprennent toujours pas « pourquoi cette enfant qu’ils savaient être un homme continue-t-elle à vouloir se comporter en femme. »
Il est nécessaire à la personne de faire cette sortie du placard, pour qu’elle se sente bien, estime la psychologue Jacqueline Beaussan. Ceci reste important pour pouvoir marcher librement dans la rue, avoir une relation sentimentale normale. La spécialiste explique que le « coming out » est une forme de libération. Malheureusement, cela peut occasionner des conséquences catastrophiques lorsque la personne a été victime d’« outing », comme dans le cas de Steeve Grandjean.
« La situation des adolescents ou des jeunes qui n’osent pas dévoiler leur orientation sexuelle à leur entourage est particulièrement difficile, expose Jacqueline Beaussan. Cet état de fait s’exprime souvent dans les difficultés scolaires (abandon de l’école), la phobie ou le retrait social (la personne n’ose plus sortir de chez elle), les troubles anxieux (crise de panique, maladie physique…), les affects dépressifs (sentiment de solitude, envie de mourir ou tentative de suicide), prise de risque (abus de substance, fugue…). »
Des relations transformées
Si le coming-out ou l’outing occasionnent des drames au sein des familles, conduit parfois des parents à chasser leurs enfants du toit familial, les relations amicales et professionnelles s’en trouvent parfois altérées. Certains en Haïti refusent tout contact avec des membres de la communauté LGBTI, de peur d’être identifiés comme homosexuel.
« Tu imagines ? Le mec est mon pote, je mate des filles et toi, tu mates des mecs, expose Marco qui a vécu le “coming out” d’un ami. Je ne peux pas lui dire “hey, cette nana est sexy, qu’en penses-tu ? Le fait qu’il soit homo est une grosse divergence pour moi. Ce n’est pas la même chose pour les femmes. »
De son côté, Gabrielle a du mal à expliquer sa transsexualité à ses proches. « Une personne m’a dit : “tu m’avais déclaré être gay, je n’ai pas de problème avec toi. Mais maintenant, tu m’apprends que tu es une femme, abandonnant ainsi le côté fort pour le côté faible.” » Donc, pour cette personne, continue Gabrielle, « ce n’est pas un problème si je suis gay et efféminé. Ce qui le dérange, c’était de savoir que je suis trans. »
L’État haïtien n’en est pas exempt
Le sociologue Jean Ronald Joseph, en 2017, a réalisé une étude sur les représentations sociales des LGBTI en Haïti. Les représentations sociales, concept largement étudié en sociologie, permettent d’approfondir la structure de la société et son mode de pensée collective, explique Joseph.
Dans son étude, le sociologue a observé que 80 % des répondants ne considèrent pas vraiment les droits identitaires ou catégoriels comme des droits humains. ‘Quant à la notion du respect des droits humains, l’étude montre que cela se réfère davantage aux droits civils et politiques, écrit-il.
L’étude a été réalisée sur cinq départements géographiques du pays en collaboration avec les organisations des communautés LGBTI comme institution d’accueil. Les répondants ont été catégorisés en universitaire, professionnel, classique, journaliste et artiste.
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Respectivement, dans la catégorie des professionnels et des journalistes, 53 % et 11 % pensent que l’homosexualité est une manière d’aimer. 47 % et 10 % pensent que c’est un droit ou une orientation sexuelle. Tandis que 44 % et 9 % le voient comme une mode.
Selon les résultats de cette étude, 49 % des universitaires en Haïti pensent que l’homosexualité est une maladie mentale. 33 % d’entre eux la conçoivent comme un péché et 75 % la considèrent comme une orientation sexuelle déviante. Est-ce une déformation biologique ? 36 % des universitaires disent oui.
Dans ce travail, Jean Ronald Joseph a aussi pris en compte la corrélation entre l’homosexualité haïtienne avec la pédophilie et la problématique des citoyens étrangers. Il est arrivé à découvert que 30 % des répondants pensent que l’homosexualité en Haïti découle ‘de l’acculturation et l’imitation des étrangers notamment les travailleurs étrangers des organismes internationaux et multinationaux couramment appelés les expatriés.’
Toutes ces représentations de la communauté LGBTI en Haïti rentrent dans le cadre de l’homophobie pour le sociologue. Apparu dans les années 1970, le terme désigne la manifestation de mépris, rejet, et haine envers des personnes, des pratiques ou des représentations homosexuelles ou supposées l’être.
Les représentations homophobes produisent des violences psychologiques, symboliques ou physiques. Même l’État haïtien n’en est pas exempt, d’après le sociologue. En ce sens, il rappelle les réactions suscitées par le festival ‘Masimadi’, en 2016.
Hervia Dorsinville
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