Un enfant, enrôlé par les gangs, questionné avant sa mort, déclare avoir été envoyé en mission à Pétion-Ville
L’agent de sécurité pensait à « un coup d’État ».
C’était pour lui la seule explication à ces détonations soutenues entendues dans la Vallée de Bourdon, tôt ce mardi 19 novembre.
Mais quelques instants après le début des tirs, trois jeunes s’engouffrent à l’entrée de Garnier, à seulement deux minutes de la Villa d’Accueil, espace de travail du gouvernement haïtien.
Les jeunes, dont deux lourdement armés, dévisagent l’agent de sécurité posté à l’entrée de Garnier. Ce dernier reste stoïque, les assaillants passent leur chemin.
« J’ai vite compris qu’ils étaient des bandits », témoigne l’agent de sécurité à AyiboPost. Selon ses estimations, le plus jeune de l’équipée avait peut-être huit ans, et les deux autres respectivement douze et trente ans.
L’agent de sécurité lance l’alerte.
En quelques minutes, ses collègues, la police et la brigade de quartier se mettent aux trousses des fugitifs.
Une trentaine de bandits sont tués dans cet affrontement matinal, selon Lionel Lazarre, un porte-parole de la police interviewé par AyiboPost.
Les forces de l’ordre ont aussi saisi trois kalachnikovs, une génératrice, un drone et plusieurs centaines de projectiles.
D’après la police, les bandits, transportés dans deux véhicules, se rendaient à Pétion-Ville quand ils ont été interceptés par les forces de l’ordre.
L’agent de sécurité, armé d’un fusil de chasse, a attrapé un des assaillants avec d’autres membres de la population.
Questionné, l’enfant, non armé, a déclaré venir de Village de Dieu. Il était, selon ses dires, « envoyé en mission » à Pétion-Ville et à Delmas par un commandant appelé Didier ou Didi.
La foule tue l’enfant et met le feu à son cadavre, d’après deux témoins interviewés par AyiboPost.
Un autre groupe de bandits, assiégé à Djobel, une localité à proximité de la Vallée de Bourdon, a fait feu sur la population.
l’enfant, non armé, a déclaré venir de Village de Dieu. Il était, selon ses dires, « envoyé en mission » à Pétion-Ville et à Delmas par un commandant appelé Didier ou Didi.
Deux citoyens sont tués sur place et au moins un autre est transporté à l’hôpital, selon un témoin.
Vers quatre heures du matin, la police a entrepris de fouiller chaque maison dans la Vallée à la recherche des bandits.
Les zones avoisinantes comme Canapé Vert ou Turgeau participent aussi à la chasse aux bandits dans une capitale en ébullition quelques jours après l’entrée en fonction d’un nouveau Premier ministre et de son cabinet.
Cette attaque échouée, attribuée par la police à Viv Ansanm – dirigé par Jimmy Cherizier – illustre l’ambition du regroupement de gangs le plus important d’Haïti.
L’ancien policier devenu gangster a appelé hier au départ du Conseil présidentiel de la transition dans une vidéo.
Trois membres du Conseil, présidé par Leslie Voltaire de Fanmi Lavalas, sont impliqués dans un scandale de corruption, selon un rapport de l’Unité de lutte contre la corruption, sorti en octobre.
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Le Conseil voulait un remaniement ministériel, refusé par l’ancien Premier ministre Garry Conille.
Conille a été remplacé par l’homme d’affaires Alix Didier Fils Aimé en ce mois de novembre.
Viv Ansanm avait lancé une attaque d’une rare violence contre des institutions publiques. Ils ont fermé l’aéroport et cassé les deux plus importantes prisons de Port-au-Prince, libérant des milliers de détenus en mars.
Le Premier ministre de l’époque, Ariel Henry, avait été contraint de démissionner.
En juin, un contingent de policiers kényans a débarqué en Haïti avec pour mission d’aider les forces de l’ordre locales à rétablir l’ordre.
Cinq mois après, les bandits poursuivent leurs assauts contre la population.
Au moins 700 000 citoyens sont déplacés et plus de 1 740 personnes ont été tuées ou blessées de juillet à septembre 2024, selon les Nations Unies.
Au moins trois avions ont été touchés par balles aux environs de l’aéroport international Toussaint Louverture la semaine dernière, obligeant les autorités américaines à interdire les vols des États-Unis vers Haïti pendant un mois.
Cette interdiction et la paralysie de l’aéroport isolent davantage Haïti, un pays où la majorité de la consommation locale provient de l’extérieur, dans un contexte où le port le plus important est régulièrement attaqué par des bandits.
Des armes, en majeure partie américaines selon un récent rapport des autorités étatsuniens, permettent aux gangs de paralyser le pays.
Les bandits sont « des terroristes », analyse pour AyiboPost Pierre Espérance, directeur exécutif du Réseau national de défense des droits humains.
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Espérance appelle le nouveau gouvernement à outiller les forces de l’ordre et à remettre les institutions régaliennes en activité.
« À chaque fois que la police arrête des bandits, ils sont libérés par la justice, qui joue un rôle important dans la gangsterisation du pays », déclare le défenseur des droits humains.
L’insécurité s’étend en dehors de la capitale.
Le 10 octobre, les membres du gang Kokorat san ras, opérant à La Croix-Périsse, ont kidnappé deux employés de l’État.
Le 6 novembre, des membres de ce gang ont attaqué l’école presbytérale congrégationaliste de l’Estère, tuant une personne et blessant au moins deux autres par balles.
Au moins 700 000 citoyens sont déplacés et plus de 1 740 personnes ont été tuées ou blessées de juillet à septembre 2024, selon les Nations Unies.
Depuis le 10 octobre, le gang de Canaan attaque la commune de l’Arcahaie, contraignant plus de 21 000 personnes à fuir la zone.
Viv Ansanm – lié au trafic de drogue, selon des rapports – s’empare de nouvelles zones.
Le bidonville de Solino fait partie des nouveaux territoires conquis par la réunion de gangs en novembre.
L’un des assauts les plus violents contre cette zone commence samedi 26 octobre.
Solino était convoitée parce qu’il offre un accès à d’autres localités de Port-au-Prince comme Nazon et une partie de Delmas, selon Jelin Esaï Jules, un ancien leader communautaire de la zone.
Jules a dû fuir Solino en août pour émigrer aux États-Unis à cause des attaques. Son père est mort en septembre 2023, en marge d’un de ces assauts.
La maison de Jules a aussi été mise en feu par les gangs en novembre, obligeant sa mère et plusieurs membres de sa famille à s’enfuir.
Les bandits ont incendié des centaines de maisons, selon des images aériennes obtenues par AyiboPost. Plusieurs citoyens et au moins un policier sont assassinés au passage.
Le 23 octobre, l’organisme humanitaire local Comité central, coordonné par Genson Jean Baptiste, avait dénombré pour AyiboPost 10 000 déplacés dans différents camps.
Dans un rapport sorti le 8 novembre, les Nations Unies ont estimé les déplacés à 12 619 pour Solino, Tabarre et Fort National.
Cet homme de 27 ans, agent de sécurité, a reçu une balle le 27 août dernier alors qu’il tentait de défendre Solino.
« Je poursuivais les bandits avec les policiers », relate-t-il à AyiboPost.
Les bandits ont incendié des centaines de maisons, selon des images aériennes obtenues par AyiboPost. Plusieurs citoyens et au moins un policier sont assassinés au passage.
Un ferronnier ayant vécu à Solino pendant 32 ans s’est vu obligé de rejoindre la résistance.
« Je suis né en Haïti et je n’ai pas l’intention de quitter le pays, a-t-il déclaré à AyiboPost. Même si je suis le dernier parmi nous à rester en vie, je resterai pour combattre les gangs. »
Par Widlore Mérancourt & Jérôme Wendy Norestyl
Image de couverture | Un adolescent curieux scrute des yeux un corps calciné dans les rues de Port-au-Prince, le 4 mars 2024, dans la Rue Oswald Durand, à quelques mètres du Palais national. ©AyiboPost
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